La danse, expression artistique vivante, aux multiples techniques et aux contours aussi divers que les possibilités pouvant être explorées, est un objet de droit singulier. En effet, cette discipline artistique occupe une place particulière au sein de la propriété intellectuelle, et plus précisément du droit de la propriété littéraire et artistique : la danse se situe à l’intersection même du droit d’auteur et des droits voisins, offrant une protection juridique aux chorégraphes et aux danseurs.
Dès lors, l’encadrement juridique nécessaire de cette discipline artistique est confronté au dessein même de cette dernière : permettre à l’artiste de dépasser des codes prédéfinis et se livrer à un art exprimé par le corps et ses émotions.
Partie I. La protection des œuvres chorégraphiques
Chapitre 1. Une assise juridique progressive
Comme assise même de l’encadrement de cet art, la reconnaissance juridique des œuvres chorégraphiques a connu une évolution significative, tant en France qu’à l’étranger. Cette progression témoigne de la prise de conscience progressive de la valeur artistique et intellectuelle de la danse, ainsi que de la nécessité de protéger les droits des créateurs dans ce domaine.
Toutefois, cela a été long et résulte d’un processus stratifié, aux inspirations multiples. En effet, les œuvres chorégraphiques ont longtemps été uniquement protégées par les coutumes et usages développés au sein même du milieu de la danse.
Par ailleurs, actuellement, la doctrine n’est toujours pas unanime sur cet encadrement. Chloé Bordon[1], au sein d’une analyse de droit comparé sur la protection juridique de la chorégraphie, estime à ce titre que « la protection intellectuelle désormais offerte aux œuvres chorégraphiques n’est compatible avec ni la nature ni l’essence de la chorégraphie dans aucun des deux systèmes juridiques ».
Section 1. L’évolution de l’encadrement juridique français
Avant 1957, la législation française ne prévoyait pas de manière explicite la protection des œuvres chorégraphiques. Bien que la loi du 11 mars 1957[2], qui marquait une avancée significative dans le domaine du droit d’auteur, ait permis de nombreux progrès, elle n’a pas reconnu formellement les chorégraphies parmi les créations protégées. Dès lors, cette absence de mention spécifique a plongé les chorégraphes dans une situation juridique incertaine, les contraignant à se reposer principalement sur la jurisprudence et leurs usages propres pour défendre leurs œuvres.
A ce titre, une décision du Tribunal civil de la Seine du 11 juillet 1862[3] illustre un fondement utile. Cette affaire opposait les célèbres chorégraphes Jules Perrot et Marius Petipa. Petipa était accusé d’avoir reproduit un pas de danse créé par Perrot, intitulé « Cosmopolitina ». Ainsi, le tribunal a reconnu que ce pas, qui mêlait plusieurs styles de danse, possédait une originalité suffisante pour être considéré comme une composition artistique distincte. En conséquence, Petipa a été condamné pour contrefaçon, marquant un tournant dans la reconnaissance de la chorégraphie comme une forme créative méritant une protection propre[4].
En parallèle, une protection légale pour le chorégraphe est soulevée dans la doctrine et la jurisprudence, sous l’assise d’une loi de 1791 relative aux spectacles[5].
Ce n’est alors qu’en 1985 que les œuvres chorégraphiques ont bénéficié d’une reconnaissance législative explicite, au titre de la loi du 3 juillet 1985[6]. Ainsi, l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle[7] inclut désormais les œuvres chorégraphiques dans la liste des créations protégées, en énonçant que « sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit […] les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement » [8]. Cette évolution législative résulte de débats parlementaires visant à moderniser et élargir la protection des créations artistiques.
Toutefois, un obstacle reste majeur : l’absence de définition de la chorégraphie. Encadrer cet art certes, mais comment l’encadrer efficacement et de façon pérenne en l’absence de toute délimitation ? La danse est un art large et mouvant : il ne faudrait négliger sa nature pour se satisfaire de sa législation. La protection de l’art semble ainsi suspendue à la stricte appréhension même de ce dernier.
Section 2. L’appréhension juridique à l’étranger
Aux Etats-Unis, une révision du Copyright Act, en 1909[9], a commencé l’encadrement de l’art chorégraphique. En effet, les « compositions dramatiques et dramatico-musical » ont été énoncé : les prémisses prudentes d’une législation. La danse a ainsi été appréhendée par le biais de son pan concret : un scénario. Il semble ainsi aisé de voir, en cette amorce délicate, la concrétisation de la complexité juridique d’encadrer l’art de la danse. Aujourd’hui, le Copyright Act protège les œuvres chorégraphiques, mais exige une fixation tangible de l’œuvre pour qu’elle soit éligible à la protection. Dans le même sens, cette exigence de fixation vise à fournir une preuve concrète de l’existence de l’œuvre, facilitant la protection juridique.
Au sein de l’Union européenne, la protection des œuvres chorégraphiques est encadrée par plusieurs directives visant à harmoniser le droit d’auteur entre les États membres. La directive 2001/29/CE du 22 mai 2001[10] sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information établit les bases de cette harmonisation. En effet, elle tend à adapter la législation sur le droit d’auteur aux évolutions technologiques et à garantir un niveau élevé de protection des œuvres, y compris les créations chorégraphiques. Plus récemment, la directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique a introduit des mesures supplémentaires pour renforcer la protection des créateurs à l’ère numérique.[11] Dès lors, les directives ont pour objectif d’établir un cadre juridique cohérent au sein de l’Union européenne, garantissant, notamment aux créateurs de chorégraphies, une reconnaissance et une protection adéquates de leurs droits d’auteur.
Chapitre 2. Les conditions de protection des œuvres chorégraphiques
Dès lors, la protection juridique des œuvres chorégraphiques en France est soumise à des conditions strictes, notamment en ce qui concerne l’originalité de l’œuvre et sa fixation.
Section 1. Une chorégraphie originale
Pour qu’une œuvre chorégraphique soit protégée par le droit d’auteur, en France, elle doit être originale, c’est-à-dire porter l’empreinte de la personnalité de son auteur.
Concrètement, l’originalité se manifeste par la combinaison unique des mouvements, l’expression artistique et la structure de la chorégraphie. Ainsi, la jurisprudence française a précisé que l’originalité réside dans la manière dont ces éléments sont agencés et interprétés, reflétant ainsi la créativité individuelle du chorégraphe. A titre d’illustration, dans une décision du 8 novembre 2017[12], la Cour de cassation a souligné l’importance de l’originalité dans la protection des œuvres chorégraphiques. Dans cette affaire, le tribunal a reconnu qu’un spectacle de ballet est une œuvre de collaboration entre l’auteur du livret, le chorégraphe, le compositeur de la musique, le créateur des décors et des costumes, chacun apportant une contribution originale à l’ensemble. Cette reconnaissance de l’originalité est ainsi essentielle pour assurer la protection juridique des œuvres chorégraphiques et des droits de leurs créateurs.
Section 2. La fixation probatoire utile de l’œuvre
La fixation de l’œuvre chorégraphique est un sujet davantage complexe en raison de la nature éphémère de la danse.
En France, la seconde condition à la protection littéraire et artistique est la mise en forme : « L’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur ». [13] Cela signifie que l’œuvre doit être extériorisée, formulée de façon précise. A la lueur de la philosophie du libre représentée par Richard Stallman[14], les idées ne sont pas protégeables. Tout le monde doit pouvoir se saisir des idées, puiser dans un fonds commun d’idées non appropriables.
La question de la fixation reste alors en suspens. Ainsi, bien que la loi ne l’exige pas explicitement, la fixation de l’œuvre, par exemple par un enregistrement vidéo ou une notation chorégraphique, peut rester utile en ce qu’elle facilite la preuve de l’existence et de l’originalité de la chorégraphie en cas de litige. Cette pratique est courante pour protéger les droits des chorégraphes et assurer une documentation précise de leurs créations.
Ainsi, en pratique, pour satisfaire cette fixation probatoire, l’œuvre chorégraphique doit pouvoir être reproduite en se basant sur sa concrétisation formelle. Il doit donc être possible d’effectuer une représentation exacte et suffisamment précise de la chorégraphie en question.
Toutefois, cela engendre de réelles problématiques d’exécution. En cas d‘écrit, le déchiffrage technique peut s’avérer complexe, voire long et coûteux. Et en outre, dans le même sens, le recours à la vidéo tend à des obstacles plus subjectifs que représentent le degré de l’implication de l’émotion, de l’interprétation et de la précision.
Partie 2. La protection juridique du chorégraphe : l’artiste
Chapitre 1. Les droits moraux du chorégraphe
Le droit moral, composante essentielle du droit d’auteur, confère au chorégraphe un lien unique avec son œuvre, garantissant le respect de sa personnalité et de son intégrité artistique. Fondé sur l’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle[15], ce droit est inaliénable, imprescriptible et perpétuel. L’auteur dispose ainsi du droit de divulgation, de retrait, de paternité et de respect. Les deux derniers aspects sont les plus questionnés en la matière.
Section 1. Le droit de paternité
Le droit de paternité permet au chorégraphe d’exiger que son nom soit associé à sa création lors de toute représentation ou reproduction. Cette prérogative assure la reconnaissance de la paternité de l’œuvre et protège l’auteur de toute appropriation indue. Dès lors, selon l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle[16], l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ainsi, toute représentation ou reproduction de la chorégraphie doit mentionner le nom du chorégraphe, sauf si ce dernier a consenti à l’anonymat ou à l’utilisation d’un pseudonyme.
La doctrine souligne l’importance du droit de paternité. Selon Chloé Bordon[17], la protection des droits moraux des chorégraphes est plutôt efficace « même aux États-Unis, en particulier le respect de l’œuvre et de la paternité de la chorégraphie ». Toutefois, elle ne manque pas de souligner un manque de protection évident. En effet, pendant longtemps, le droit moral des chorégraphes n’était protégé ni par le copyright, ni par les droits d’auteur. Toute l’importance des usages et coutumes a donc été utile. Parmi ces derniers, le « choreographic credit », toujours d’actualité, consiste, à juste titre, à citer le chorégraphe ayant créé la chorégraphie originale.
Les usages et coutume se dressent ainsi comme égide d’une protection « efficace » du droit moral des chorégraphes, à l’instar d’un droit textuel davantage mis en place pour les droits patrimoniaux.
Section 2. Le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre
Le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre interdit toute modification, déformation ou altération de la chorégraphie sans le consentement de son auteur. Toute adaptation non autorisée constitue une violation de ce droit moral. A ce titre, l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur a le droit au respect de l’intégrité de son œuvre. En ce sens, selon un article publié sur le site du Ministère de l’Économie des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, « le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre interdit toute modification de l’œuvre telle que réalisée par l’auteur« [18].
A titre d’illustration, dans une affaire jugée par le Tribunal de commerce de Paris[19] opposant une chorégraphe à une société, le Tribunal a reconnu une atteinte au droit moral de paternité de l’artiste sur une œuvre scénique dérivée du ballet Giselle, considérant que sa contribution chorégraphique et scénique avait été exploitée sans mention de son nom ni autorisation, illustrant ainsi la portée du droit de paternité même dans le cadre d’œuvres collectives ou composites.
Toutefois, les usages n’ont pas fini de laisser leurs empreintes ! En effet, en France, le recours à des contrats de représentation est fréquent. A ce titre, selon l’article L.132-18 du Code de la propriété intellectuelle[20], « le contrat de représentation est celui par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit et ses ayants droit autorisent une personne physique ou morale à représenter ladite œuvre à des conditions qu’ils déterminent ».
Chapitre 2. Les droits patrimoniaux du chorégraphe
Les droits patrimoniaux confèrent au chorégraphe la possibilité d’exploiter économiquement leurs créations. Ainsi, à travers l’art chorégraphique, le droit de reproduction et de représentation trouve une résonance particulière.
Section 1. Le droit de reproduction
Le droit de reproduction permet aux chorégraphes d’autoriser ou d’interdire la fixation de leurs chorégraphies sur divers supports. En effet, selon l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle[21], « la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ». Ainsi, toute reproduction de l’œuvre nécessite l’accord préalable de l’auteur, souvent formalisé par des contrats de cession de droits précisant les modalités de rémunération.
A ce titre, la jurisprudence a confirmé cette exigence. Par exemple, dans une décision du Tribunal de grande instance de Paris en date du 13 mai 2016[22], les juges ont reconnu le droit de reproduction d’un chorégraphe sur neuf chorégraphies, bien qu’étant composées de mouvements simples et communs : « chaque chorégraphie résulte de choix d’une combinaison de ces gestes et d’un rythme propre en harmonie avec la musique sélectionnée pour les accompagner, qui est également à l’origine de l’inspiration de la chorégraphe« . Cette décision, confirmée en appel le 13 mars 2018[23], illustre ainsi l’importance de l’autorisation préalable de l’auteur pour toute reproduction de l’œuvre.
Section 2. Le droit de représentation
Le droit de représentation, au titre de l’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle[24], constitue « la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque« . Ainsi, le chorégraphe doit autoriser toute performance de son œuvre, que ce soit lors de spectacles, de diffusions télévisées ou sur des plateformes en ligne.
En pratique, la gestion de ces droits est souvent confiée à des sociétés d’auteurs qui veillent à la collecte des redevances et à la protection des intérêts des créateurs. En France, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) joue un rôle clé dans la gestion des droits des chorégraphes. Elle assure la perception et la répartition des droits de représentation, garantissant ainsi une rémunération équitable aux auteurs.
Partie 3. La protection juridique du danseur : artiste interprète
Section 1. Des droits voisins utiles mais limités
Le régime des droits voisins confère aux danseurs, en tant qu’artistes-interprètes, certains droits patrimoniaux et moraux. Ainsi, l’article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle[25] leur reconnaît un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la fixation, la reproduction et la communication au public de leur prestation. Ce droit, en sa lettre, paraît donc protecteur. Il permet notamment aux danseurs de s’opposer à certaines exploitations commerciales non autorisées de leurs performances, en particulier dans les productions audiovisuelles, les diffusions en streaming ou les captations scéniques.
Cependant, cette protection se révèle bien souvent théorique. D’une part, dans la pratique professionnelle, les danseurs sont fréquemment tenus de céder leurs droits dès la signature de leur contrat de travail ou de production, sans véritable marge de négociation. D’autre part, la brièveté des durées de protection (50 ans à compter de l’interprétation), selon l’article L. 211-4 du Code de propriété intellectuelle[26], contraste avec la reconnaissance plus large accordée aux œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur. L’interprétation dansée, bien que vivante et expressive, semble donc ici réduite à une prestation plus éphémère, presque consumable, là où elle constitue souvent une création pleinement investie et incarnée.
D’autant plus que la notion même d’interprétation peut être fluctuante en danse. Une variation chorégraphique laissée à l’improvisation, une expression corporelle ajoutée par un danseur à une structure préexistante, une gestuelle habitée de sens : tout cela échappe parfois à une stricte catégorisation juridique. On touche ici à une tension inhérente au droit de la propriété intellectuelle : celle qui oppose la rigueur de ses définitions à la fluidité de la création vivante.
Section 2. La difficile articulation entre droits des auteurs et droits des interprètes
Les relations juridiques entre chorégraphes (auteurs) et danseurs (interprètes) sont ainsi marquées par un équilibre fragile, souvent déséquilibré au détriment de ces derniers. Concrètement, souvent, les danseurs ne peuvent pas revendiquer une copaternité de l’œuvre, même lorsque leur apport créatif est substantiel, par exemple dans les compagnies contemporaines qui travaillent en improvisation dirigée ou en cocréations.
Pourtant, certains auteurs[27], ont plaidé pour une reconnaissance plus équitable : « Lorsque l’interprétation dépasse la simple exécution pour devenir transformation créative, le droit devrait s’ouvrir à une forme de co-auteurialité. ». Cette position reste cependant minoritaire dans la jurisprudence française, qui s’attache à une conception stricte de l’œuvre originale et à l’identification précise d’un auteur déterminé.
De plus, les obligations contractuelles imposées aux danseurs les placent souvent dans une position de dépendance économique et artistique. Ainsi, l’artiste-interprète serait le premier exposé et le dernier reconnu. Un cas emblématique est celui de Martha Graham[28]. La justice américaine a statué que certaines des œuvres de Martha Graham ne lui appartenaient pas, mais à l’institution pour laquelle elle travaillait. La Cour applique le « instance and expense test », différenciant si l’œuvre a été créée à l’initiative de l’employeur (instance) et grâce aux ressources mise à disposition de l’artiste par l’employeur (expense). Cette décision, fondée sur la doctrine du « work-for-hire » a soulevé une problématique fondamentale : peut-on déposséder un artiste de ses propres créations lorsqu’il les réalise dans un cadre institutionnel ? Aujourd’hui, la réponse juridique reste incertaine et varie selon les juridictions.
Face à ces constats, des initiatives émergent pour tenter de revaloriser la place des interprètes dans l’économie des spectacles vivants. Certaines compagnies proposent des contrats plus équitables, reconnaissant l’apport créatif des danseurs et leur garantissant un droit de regard sur la captation et la diffusion des spectacles.
Partie 4. Les défis
Section 1. Diffusion en ligne des performances
Avec la popularité croissante des plateformes de streaming et des réseaux sociaux, les chorégraphies sont massivement diffusées en ligne. Cette accessibilité accrue facilite la promotion des artistes, mais complique également le contrôle de l’utilisation et de la monétisation de leurs œuvres. Les cas de violations des droits d’auteur sur ces plateformes se multiplient, notamment par le partage non autorisé de vidéos de performances ou l’utilisation de chorégraphies dans des contenus commerciaux sans consentement. Les chorégraphes doivent donc être vigilants et envisager des stratégies de protection, telles que l’enregistrement de leurs œuvres et la surveillance proactive des plateformes en ligne.
Section 2. Intelligence artificielle et création chorégraphique
L’émergence de l’IA dans le processus créatif pose également la question de la titularité des droits d’auteur. Lorsqu’une chorégraphie est générée par un algorithme, il est complexe de déterminer qui en est l’auteur : le programmeur, l’utilisateur de l’IA ou l’IA elle-même ? Cette situation remet en cause les concepts traditionnels de la propriété intellectuelle, qui reposent sur la notion d’auteur humain.
En outre, les implications pour la protection des chorégraphies traditionnelles sont également préoccupantes car les œuvres générées par l’IA pourraient concurrencer celles des créateurs humains, rendant nécessaire une adaptation du cadre juridique pour protéger équitablement toutes les formes de création.
Section 3. L’improvisation
Par définition, l’improvisation est souvent éphémère, non répétable à l’identique, et dépourvue de fixation préalable. Cela soulève alors une difficulté juridique majeure : sans fixation, il devient délicat d’identifier l’œuvre, d’en établir l’originalité, et donc d’en revendiquer la protection. Toutefois, au titre de l’article L. 111-2 du Code de propriété intellectuelle[29] « l’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur ».
Pour qu’une improvisation bénéficie effectivement de la protection au titre du droit d’auteur, même si cela est théoriquement possible, semble donc devoir en pratique faire l’objet d’une captation (vidéo, enregistrement, notation chorégraphique etc.). C’est cette fixation qui permettra de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un simple geste, mais d’un enchaînement porteur d’une expression personnelle et identifiable.
Ainsi, le paradoxe reste entier : l’improvisation, pour être réellement protégée, doit cesser d’être purement improvisée. Si elle veut s’inscrire dans la sphère du droit d’auteur, l’improvisation doit se plier à des exigences de permanence, ce qui peut entrer en tension avec la nature libre, immédiate et évanescente de la création dansée.
Section 4. La cocréation
Le droit d’auteur français reconnaît l’existence d’œuvres de collaboration, définies à l’article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle[30] comme des œuvres « créées par la collaboration de plusieurs personnes physiques ». Ces œuvres sont réputées indivisibles et font l’objet d’une copropriété entre les coauteurs, lesquels doivent exercer leurs droits « d’un commun accord » [31].
En danse, cette situation de cocréation est fréquente. Elle peut résulter d’un travail collectif entre un chorégraphe et ses interprètes, lorsque ces derniers participent activement à l’élaboration de la pièce, ou encore d’une création conjointe entre plusieurs chorégraphes.
La gestion des droits d’une œuvre de collaboration suppose alors une organisation juridique rigoureuse. Les droits moraux, notamment le droit à la paternité et au respect de l’intégrité de l’œuvre, doivent être exercés conjointement, ce qui peut susciter des tensions en cas de divergences artistiques. S’agissant des droits patrimoniaux, toute exploitation nécessite l’accord de tous les coauteurs. En pratique, des contrats de cocréations sont alors fortement recommandés afin de clarifier la répartition des droits, des revenus, et des responsabilités. À défaut, des contentieux peuvent naître, notamment autour de l’usage de l’œuvre par un seul coauteur ou de sa modification unilatérale.
Mais la co-création impose de concilier une pluralité de subjectivités avec l’unité juridique de l’œuvre. Dans le champ chorégraphique, où les processus de création sont souvent collaboratifs et évolutifs, cet équilibre demeure donc fragile, mais essentiel à la reconnaissance collective du geste artistique.
CONCLUSION
La danse échappe donc aux cadres, se dérobe aux définitions, et pourtant, elle mérite pleinement d’être protégée. C’est un art qui se vit dans l’instant, mais qui laisse une trace profonde sur scène, dans les mémoires, et parfois dans le droit. En lui offrant une reconnaissance juridique, on ne cherche ainsi pas à la figer, mais à lui donner la possibilité d’exister pleinement dans toute sa puissance expressive.
La propriété intellectuelle, dans ce contexte, devient plus qu’un outil technique : c’est un hommage silencieux à l’œuvre vivante. Protéger la danse, c’est aussi protéger ceux qui la font naître, ceux qui l’interprètent, la transforment, la transmettent.
Et peut-être est-ce là toute la beauté de cette rencontre entre droit et art : quand le langage juridique, souvent perçu comme rigide, s’incline devant la grâce du mouvement pour en garantir la liberté. Alors, il convient de rester vigilants, inventifs et sensibles car dans un monde où tout peut être copié, il est urgent de continuer à défendre ce qui ne peut jamais être vraiment reproduit : l’émotion de l’instant dansé.
Céliane FERRIN
Sources :
[1] Chloé Bordon, « Copyright et droit d’auteur des chorégraphies : la protection intellectuelle des chorégraphies est-elle adaptée à cet art ? », Les blogs pédagogiques, Université Paris Nanterre, 25 juin 2012, https://blogs.parisnanterre.fr/content/copyright-et-droit-d’auteur-des-chorégraphies-la-protection-intellectuelle-des-chorégraphies
[2] Loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique.
[3] Trib. civ. Seine, 11 juillet 1862, Perrot c. Petipa, D.P. 1864.1.49.
[4] Jean-François Batellier, « La protection et la conservation des œuvres chorégraphiques », Mouvements, n°61, 2010/1, p. 142-149.
[5] Loi du 13 janvier 1791 relative aux spectacles, article 1.
[6] Loi n°85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.
[7] Article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle.
[8] Jean-François Batellier, « La protection et la conservation des œuvres chorégraphiques », Mouvements, n°61, 2010/1, p. 142-149.
[9] United States Copyright Act of 1909, Pub. L. No. 60-349, 35 Stat. 1075 (1909).
[10] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
[11] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE.) ;
[12] Cass. 1re civ., 8 nov. 2017, n° 16-16.385, Formation restreinte RNSM/NA, Publié au bulletin.
[13] Article L.111-2 du Code de propriété intellectuelle.
[14] Richard Stallman.
[15] Article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[16] Article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[17] Article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[18] Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, « Utiliser une œuvre dans le respect du droit moral de l’auteur », economie.gouv.fr
[19] Tribunal de commerce de Paris, Chambre civile 3, 20 février 2008, 03/01644.
[20] Article L.132-18 du Code de la Propriété Intellectuelle.
[21] Article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle.
[22] TGI Paris, 3e ch., 13 mai 2016, n° 14/05221.
[23] CA Paris, 13 mars 2018, n° 17/10025.
[24] Article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle.
[25] Article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle.
[26] Article L. 211-4 du Code de propriété intellectuelle.
[27]Michel Vivant, Jean-Michel Bruguière, « Droit d’auteur et droits voisins », 5ᵉ éd., Paris, Dalloz, 2024.
[28] Chloé Bordon, « Copyright et droit d’auteur des chorégraphies : la protection intellectuelle des chorégraphies est-elle adaptée à cet art ? », Les blogs pédagogiques, Université Paris Nanterre, 25 juin 2012, https://blogs.parisnanterre.fr/content/copyright-et-droit-d’auteur-des-chorégraphies-la-protection-intellectuelle-des-chorégraphies
[29] Article L111-2 du Code de propriété intellectuelle.
[30] Article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle.
[31] Article L.113-3 du Code de propriété littéraire et artistique.