Brèves du 22 au 28 mai 2023

Bonsoir à tous,

Les brèves du 22 au 28 mai 2023 sont disponibles.

En vous souhaitant une bonne lecture ainsi qu’une bonne semaine,

Le Collectif

 

1,2 milliard d’euros : une amende record prononcée à l’égard de Meta pour violation du RGPD

Rebelote pour Meta !

Le 22 mai 2023, la Data Protection Commission (DPC) a condamné Meta pour avoir continué le transfert de données personnelles vers les Etats-Unis, en violation des règles européennes.

Verdict : une amende record de 1,2 milliard d’euros. La dernière plus haute amende avait été prononcée à l’encontre d’Amazon : 746 millions d’euros. Outre ce cas, les amendes n’excèdent jamais plus de 50 millions d’euros.

Il faut noter que même si l’amende a été prononcée par la DPC, elle n’a été que le porte-parole de l’European Data Protection Board (EDPB) qui rassemble les régulateurs européens, alors même que la DPC désapprouvait cette décision.

Certes, le Privacy Shield a été invalidé pour son niveau de protection insuffisant dans l’arrêt Schrems II de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 juillet 2020. Les clauses contractuelles types avaient toutefois été validées par la CJUE. Cependant, l’EDPB a estimé que ces clauses ne garantissaient pas d’une protection satisfaisante. Ces violations « sont très graves puisqu’il s’agit de transferts systématiques, répétitifs et continus » affirme Andrea Jelinek, présidente de l’EDPB.

Il faut dire que Meta est le dernier de la classe en la matière… En 2022, il a dû s’acquitter de 80% du montant total des amendes prononcées pour violations au RGPD en Europe.

En outre, la DPC a enjoint Meta pour cesser ces transferts transatlantiques dans un délai de 5 mois et pour supprimer les données déjà transférées dans un délai de 6 mois.

Meta a annoncé interjeté appel, espérant d’ici-là un nouvel accord juridique plus souple pour encadrer le transfert de données à caractère personnel entre l’Union européenne et les Etats-Unis. L’effet dissuasif des amendes prononcées dans le cadre du RGPD par les autorités de régulation semble bel et bien inopérant pour Meta…

Sur la Croisette, ce week-end, Meta aurait pu recevoir la palme d’or du non-respect du RGPD.

Ninon VANDEKERCKHOVE

 

Sources :

https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/union-europeenne-meta-la-maison-mere-de-facebook-ecope-d-une-amende-record-de-1-2-milliard-d-euros-pour-avoir-envoye-les-donnees-d-utilisateurs-aux-etats-unis_5840483.html

https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/donnees-meta-ecope-d-une-amende-record-d-1-2-milliard-d-euros-en-europe-20230522

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/05/22/meta-condamne-a-une-amende-record-de-1-2-milliard-d-euros-par-le-regulateur-irlandais-des-donnees-personnelles_6174333_4408996.html

 

Microsoft demande au gouvernement américain de réglementer l’IA

L’intelligence artificielle (IA) est un outil de plus en plus convoité par les entreprises. Lors d’un discours aux Etats-Unis, le président de Microsoft, Brad Smith, a demandé à ce que l’IA soit davantage réglementée. En effet, selon lui, le gouvernement doit agir “plus rapidement”.

Depuis quelques mois, les entreprises sont entrées en compétition dans le domaine de l’IA, et cela au détriment de la sécurité. C’est pourquoi les législateurs ont publiquement fait part de leurs préoccupations concernant cette technologie, en particulier en ce qui concerne la propagation de la désinformation, l’impact sur l’emploi et les risques de cybercriminalité.

Jeudi 26 mai lors d’une audience avec des législateurs, Brad Smith a donc décidé d’exposer en détail les mesures qu’il estime nécessaires pour prévenir les abus potentiels de l’IA. Il a appelé le gouvernement américain à les adopter rapidement. Par exemple, il a préconisé la mise en place d’obligations à respecter pour les entreprises “fournissant des applications basées sur des systèmes d’IA puissants.

Le président de Microsoft a également défendu l’idée de créer une nouvelle agence qui aurait pour objectif de délivrer des licences pour les principaux systèmes d’IA. Il ajoute que c’est ainsi que nous nous assurerons que l’humanité reste aux commandes de la technologie. Il soutient aussi le fait que les entreprises doivent assumer la responsabilité juridique des dommages liés à l’utilisation de l’IA.

Si le gouvernement américain décide de ne pas intervenir sur l’IA, le président de Microsoft a révélé que l’entreprise avait engagé des discussions avec d’autres acteurs de l’industrie afin d’établir un ensemble de normes pour les systèmes d’IA : “Il existe une opportunité pour l’industrie de partager les meilleurs pratiques, les principes communs et même d’adopter un ensemble de normes”.

Aujourd’hui, pour l’instant, l’Union européenne est en avance sur les Etats-Unis sur ce sujet. En effet, certaines de ces mesures sont déjà incluses dans l’IA Act européen.

Lili POURHASHEMI

 

Sources : 

https://siecledigital.fr/2023/05/26/a-son-tour-microsoft-appelle-le-gouvernement-americain-a-encadrer-lia/

https://www.usine-digitale.fr/article/pour-reglementer-l-ia-microsoft-propose-de-creer-des-licences-delivrees-par-les-gouvernements.N2135927

https://www.tomsguide.fr/chatgpt-microsoft-reclame-la-creation-dune-autorite-de-regulation-de-lintelligence-artificielle/

L’affaire Metabirkin, M. Rothschild contre Hermès

 

©️ Mason Rothschild

 

     La numérisation et la compression des données ont des conséquences importantes sur le droit de la propriété intellectuelle. De plus en plus d’objets protégés par ce droit sont reproduits sous forme numérique. L’opportunité du « on line » est en effet intéressante pour les utilisateurs d’Internet car, dans le monde numérique participatif, ceux-ci peuvent peut télécharger, copier, ou reproduire des œuvres sans perdre en qualité et de façon plus accessible. Critiquée de toutes parts, la propriété intellectuelle est devenue, pour les internautes, le symbole d’une forme d’archaïsme à l’heure de la société de l’information. Pour autant, la propriété intellectuelle continue de s’appliquer dans le monde numérique. Il est en effet indispensable de renforcer sa protection, afin qu’elle soit pour le moins équivalente à celle accordée aux œuvres, inventions et signes distinctifs dans le monde physique.

     En droit des marques, la contrefaçon se modernise. Aujourd’hui, un nouveau contentieux voit le jour à travers la contrefaçon de marque par des NFTs. Le recours à la blockchain et aux NFTs, uniques et infalsifiables, permet en effet aux consommateurs de retrouver les sentiments d’exclusivité et d’appartenance ainsi que la promesse d’unicité traditionnellement recherchés dans l’acquisition d’un bien de luxe. Or, la contrefaçon de marque peut être admise lors d’une action impliquant une marque et un NFT litigieux comme en témoigne l’affaire Metabirkin.

 

I. Les faits

     En l’espèce, Mason Rothschild, le défendeur, a décidé de lancer courant 2021 à l’adresse <metabirkins.com> ce qu’il qualifiait d’un projet artistique, soit la mise en vente de 100 reproductions digitales inspirées du sac Birkin en fausse fourrure, commercialisées sous forme de NFTs. Si l’artiste avait pris le soin de préciser, sur le site internet <metabirkin.com>, l’absence de lien entre les NFT Metabirkin et la maison Hermès, le 14 janvier 2022, Hermès International et Hermès of Paris ont tout de même intenté une action en violation du droit des marques et de la concurrence déloyale à l’encontre de Mason Rothschild devant la Southern District Court of New York (SDNY), craignant un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

 

                   

  ©️ Hermès International                                  ©️ Mason Rothschild

 

 

II. La décision de la Southern District Court of New York

        La loi fédérale américaine « Lanham Act » confère en effet un monopole d’exploitation sur la marque, c’est-à-dire le droit pour son titulaire d’en interdire toute utilisation identique ou similaire non autorisée dès lors qu’il existe un risque de confusion ou un risque de dilution d’une marque renommée. Si en l’espèce, le terme « Metabirkin » fait directement référence aux sacs Birkin d’Hermès, l’auteur des NFTs, Mason Rothschild prône la liberté d’expression. Il fait en effet valoir que son projet était artistique de sorte qu’il ne constituait pas une violation du droit des marques. Au regard de la jurisprudence américaine, l’appréciation juridique concernant l’utilisation de la marque d’un tiers dans le cadre d’un projet présenté comme artistique ou pouvant prétendre à la protection du premier amendement doit se faire à l’aune de deux précédents : lorsque le projet poursuit avant tout des velléités commerciales, le test à appliquer est celui de Gruner + Jahr ; lorsque le projet intègre en revanche un véritable concept artistique nonobstant son caractère lucratif, c’est alors le test Rogers. En vertu du premier, les juges vont simplement identifier s’il existe un risque de confusion entre les marques en cause. En vertu du second, au nom de la liberté d’expression artistique, chacun est libre d’exploiter une marque protégée dès lors que cette exploitation constitue une expression artistique qui n’induit pas explicitement les consommateurs en erreur. Or, les juges ont estimé que l’on ne pouvait pas exclure que le projet ait été considéré, à l’origine, comme présentant un intérêt artistique. En effet, indépendamment du caractère lucratif du projet, Rothschild souhaitait expérimenter si l’aspect iconique et luxueux du sac Birkin pouvait être transposé en une forme uniquement numérique en recourant de surcroît de manière ironique à de la fausse fourrure pour les orner, à une époque où les grandes maisons de cette industrie disent se libérer de toute fourrure.

        Toutefois, les juges ont considéré que Rothschild ne pouvait pas se prévaloir de la protection conférée par le premier amendement de la Constitution des États-Unis car le test Rogers démontrait qu’un risque de confusion manifeste entre la marque et l’œuvre litigieuse existait. En effet, dans le cadre du procès, Hermès avait produit une étude de marché témoignant d’un risque de confusion de 18,7% auprès du public potentiellement acquéreur de NFTs. Par ailleurs, les juges ont également retenu que Rothschild a eu recours de façon conséquente aux marques d’Hermès. Même si cette décision ne lie pas les juges de l’Union européenne de façon significative, elle indique que les droits sur une marque existante pour les produits et services qu’elle commercialise sont renforcés contre les emplois non-autorisés dans l’environnement virtuel, malgré le fait que la marque antérieure ne soit pas enregistrée pour des produits et services propres à la classe 9.

       La décision indique également que les images digitales associées aux NFTs qui reproduisent des marques antérieures peuvent constituer des formes d’expression artistique aux États-Unis. Il y a une conséquence importante à ce principe. Le juge reconnait l’expression artistique de Mason Rothschild et constate ainsi que la subtile distinction que Hermès cherchait à faire entre l’image digitale du sac Birkin d’une part et le NFT associé à cette image d’autre part, n’avait pas de raison d’être. Seul importe le point de vue de l’acheteur, déterminant en droit des marques. Or, pour ce dernier, le NFT et l’image qui lui est associé forment un tout : le NFT est l’image qu’il reproduit. La prise en compte du consommateur comme standard de référence dans la caractérisation de la contrefaçon est primordiale et le juge américain et rend sa décision en conséquence.

 

 

III. La persistance de certaines limites et interrogations

       Si la décision est bienvenue, certaines limites demeurent. En effet, elle est rendue sur le territoire américain par la SDNY. Aussi, elle n’a pas vocation à s’appliquer sur le territoire européen. Il y a donc une limite territoriale considérable. De plus, la décision n’est pas définitive puisqu’il ne s’agit que de l’interprétation des juges du fond. Mason Rothschild a en effet interjeté appel de ladite décision. L’affaire est donc à suivre.

      Enfin, même si les juges européens calquent leurs futures décisions au regard des arguments tirés de l’affaire Metabirkin contre Hermès, il s’agit encore une fois d’une jurisprudence propre aux marques de renommée. Quid des marques non-enregistrées en classe 9 qui ne bénéficient pas de la dérogation au principe de spécialité ? Si la classification de Nice s’est modernisée, conseiller les entreprises à procéder à l’enregistrement de leur marque en classe 9, par précaution, ne résout pas de façon absolue le problème puisque l’absence d’activité de la marque dans cette même classe pourrait lui faire perdre son monopole d’exploitation pour défaut d’usage sérieux de la marque.

      C’est pour cette raison que la qualification juridique du NFT est primordiale en ce que cela permettrait d’assurer une certaine harmonie juridique quant à son régime. En effet, les NFTs sont des biens immatériels diffusés très largement sur Internet. Cela signifie que le public qu’ils visent est international. Dans ce monde numérique transcontinental, une qualification juridique des NFTs est donc indispensable pour assurer l’harmonie des décisions rendues à leur égard. Or, on remarque rapidement que les quelques États qui se sont positionnés sur cette qualification n’ont pas la même conception des NFTs. La plus grande divergence tenant à la qualification ou non d’œuvre de l’esprit des NFTs.

      Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a déposé un rapport de mission en juillet 2022 sur les NFTs en tentant de définir juridiquement ce que recouvre réellement la notion. Selon ledit Conseil, les NFTs ne sont pas des œuvres d’art. Autrement dit, le propriétaire du NFT ne pourra se défendre sur le fondement du droit d’auteur ou encore de sa liberté d’expression en cas de contentieux. Le contrôle de proportionnalité, conséquence de la fondamentalisation de la propriété intellectuelle, ne bénéficiera donc pas aux titulaires de NFTs. Cette position se comprend car le NFT est un code qui transporte une image numérique. Cette distinction entre code et image sous-jacente peut être justifiée sous l’angle du droit d’auteur. En effet, le législateur est réticent à l’idée de faire entrer dans le champ de protection du droit d’auteur des « œuvres » qui ne retracent pas réellement la personnalité de l’auteur (originalité). Si une protection au titre du droit d’auteur est par exception accordée aux logiciels (lignes de code également) par la loi Lang de 1985, les critères d’appréciation de l’originalité pour ces œuvres sont plus restrictifs. La Cour de cassation est stricte à ce sujet puisqu’elle refuse d’octroyer une protection au titre du droit d’auteur aux logiciels non-originaux, témoignant d’une simple « mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, la matérialisation de cet effort résultant en une structure individualisée » (Cass, 1ère civ 17 octobre 2012, n°11-21541).

      Aussi, une question subsiste : si les NFTs ne sont que des lignes de code, non-protégeables par le droit d’auteur, le juge français écartera-t-il toute contrefaçon, dès lors que l’image contrefaisante d’une marque protégée par le droit des marques ne fait pas partie intégrante du NFT ? Autrement dit, si l’on considère que le NFT est un bien distinct de la chose qu’il représente, empêchant son titulaire de se défendre au regard de sa liberté d’expression, la contrefaçon de marque n’est-elle pas alors impossible ? Une ligne de code ne peut en effet contrefaire une marque tridimensionnelle ou verbale. À cet égard, la Cour Suprême britannique a récemment décidé que les NFTs devaient être considérés comme des biens distincts de la chose qu’ils représentent, appelant donc un protection légale autonome, ce qui soulève des enjeux relatifs à la protection des marques actuellement enregistrées pour des biens matériels et non pour leur représentation numérique, notamment dans le secteur du luxe.

Cette conception du NFT n’est pas envisageable. En effet, la contrefaçon de marque et la contrefaçon en générale doivent s’apprécier par rapport au standard de référence qu’est le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Or, le consommateur moyen ne fait pas de distinction entre le NFT en tant que code pur et l’image associée à celui-ci. Le NFT est compris par le consommateur comme un tout indissociable : il s’agit de l’image numérique téléchargeable. Aussi, la décision de la Southern District Court of New York dans l’affaire Metabirkin contre Hermès est tout à fait compréhensible dans le sens où les juges prennent en compte ce facteur afin de qualifier la contrefaçon de marque. Selon eux, seul importe le point de vue de l’acheteur déterminant en droit des marques. Or, pour ce dernier, le NFT et l’image qui lui est associée forment un tout. On estime alors que c’est dans cette même logique que le juge américain considère que si le consommateur perçoit le NFT comme image numérique, alors le créateur du NFT peut également se défendre en évoquant le projet artistique derrière celle-ci. D’où la qualification d’œuvre du NFT.

Ainsi, en France et en Angleterre, il y a une tendance forte à distinguer le NFT en tant que code, de l’image qu’il renvoie. Or, dans l’Union européenne, le standard de référence est toujours ce consommateur d’attention moyenne en ce qu’il est l’acteur principal dans la caractérisation de la contrefaçon. Les juges sont nécessairement contraints de prendre en compte le fait que le consommateur ne distingue pas le code de l’image. Autrement dit, la théorie de la dissociation code/image parait discriminatoire au regard du créateur du NFT. En effet, pourquoi, en référence au consommateur moyen, le juge prendrait en compte le NFT dans sa totalité, sans pour autant accorder cette conception du NFT à son titulaire et limitant ainsi ses moyens de défense ? On estime ainsi que les prochaines solutions des tribunaux français ou anglais, voire européens, seront dans le sillage de la décision rendue par la Southern District Court of New York et se conformeront à son approche de la contrefaçon. Reste à savoir s’ils abandonneront la qualification juridique restrictive actuelle accordée aux NFT.

En attendant, cette divergence quant à la qualification ou non d’œuvre d’art du NFT limite considérablement sa compréhension et son appréhension. Il est nécessaire de légiférer afin de pallier les discordances en la matière. Si ce travail de régulation a d’ores et déjà débuté, il reste aujourd’hui insuffisant.

Laure MICHELOT et Lucie DOLLA

Sources : 

Nathalie (D.), Marques et Internet, protection, valorisation, défense, LAMY axe de droit, LAMY, 2011, 470p

Anne-Sophie (C.), « Deuxième acte dans l’affaire des NFT « MetaBirkin » », Twelve avocats, Dalloz actualité, 25 novembre 2022

Philippe (G)., Wilhem (G)., « Droit des marques et NFT : que faut-il penser d’Hermès v Rothschild ? », 20 février 2023

Premier Amendement de la Constitution des États-Unis de 1791

Us Court of Appeals for the Second Circuit, 5 May 1989,  Rogers v Grimaldi, 875 F.2d 994, 1989

Us Court of Appeals for the Second Circuit, 28 April 1993, Gruner + Jahr USA Publishing v Meredith Corporation, 991 F.2d 1073, 1993

EUIPO, « Are trademarks protected in the metavers? », case law comment, March 30, 2023, [En ligne]. https://urlz.fr/lCAX

Article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle

U.K. High Court of Justice, 10 mars 2022, Lavinia Deborah Osbourne and Person Unknown and Ozone

CJCE, 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, aff. C. 342/97

Brèves du 16 au 21 mai 2023

Bonsoir à tous,

Les brèves du 16 au 21 mai 2023 sont disponibles.

Nous remercions Ambre SANANES pour sa contribution !

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Le Collectif

 

Clearview condamné par la CNIL au paiement d’une amende de 5,2 millions d’euros

Clearview AI est une entreprise américaine utilisant des algorithmes d’apprentissages automatiques afin d’analyser des images et d’identifier des individus à partir de photographies provenant d’Internet et des réseaux sociaux. Son modèle économique repose sur la commercialisation d’un moteur de recherche permettant aux utilisateurs d’identifier des personnes à partir d’une simple photographie. Cette technologie est notamment utilisée par les forces de l’ordre afin de les aider à appréhender les auteurs d’infractions.

Cependant, Clearview a été confronté à des problématiques juridiques liées à la collecte et au traitement des données biométriques des individus. En conséquence, en octobre 2022, la CNIL a condamné cette entreprise au paiement d’une amende de 20 millions d’euros pour non-respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). L’enquête menée par la CNIL a révélé que Clearview AI ne respectait pas les exigences légales prévues par le RGPD, notamment l’article 6 qui impose une base légale pour le traitement et la collecte des données personnelles, ainsi que les articles 12, 15 et 17 qui garantissent les droits d’accès, de rectification et de suppression des données personnelles.

La sanction imposée par la CNIL incluait également une astreinte de 100.000 euros par jour de retard à l’issue d’un délai de deux mois, avec un plafond fixé à 5,2 millions d’euros. La CNIL a estimé que « Clearview AI n’avait adressé aucun justificatif de mise en conformité dans le délai imparti », ce qui a entraîné la condamnation de la société au paiement d’une amende de 5,2 millions d’euros.

En 2022, d’autres autorités de protection des données, telles que celles du Royaume-Uni et de l’Italie, ont également infligé des amendes à Clearview AI, de respectivement 8,85 millions d’euros et de 20 millions d’euros. Suite à ces décisions, ces pays ont décidé d’interdire les activités de Clearview AI sur leur territoire et ont demandé à l’entreprise de supprimer les données personnelles de leurs résidents.

Ambre SANANES

 

Sources :

https://www.nextinpact.com/article/71660/la-cnil-inflige-5-millions-deuros-dastreinte-a-clearview-mais-comment-contraindre-a-payer

https://datanews.levif.be/actualite/securite/confidentialite/une-astreinte-infligee-a-la-firme-de-reconnaissance-faciale-clearview-ai/

https://www.cnil.fr/fr/reconnaissance-faciale-la-cnil-liquide-lastreinte-prononcee-lencontre-de-clearview-ai

https://www.cnil.fr/reconnaissance-faciale-sanction-de-20-millions-deuros-lencontre-de-clearview-ai

www.lefigaro.fr/flash-eco/clearview-ne-paie-pas-son-amende-la-cnil-lui-reclame-5-millions-d-euros-d-astreinte-20230510

 

Le roi de la pop art Andy Warhol a violé les droits d’auteur de la photographe Lynn Goldsmith

« Le travail des photographes mérite d’être protégé par le droit d’auteur, même contre des artistes connus », affirme la juge Sonia Sotomayor dans le cadre de l’affaire très suivie par le monde de l’art, opposant la photographe Lynn Goldsmith à la fondation Andy Warhol.

La source du litige : le cliché du chanteur Prince pris par Lynn Goldsmith et exploité par la fondation. La première avait assigné la seconde pour violation de ses droits d’auteur, n’ayant reçu aucune contrepartie financière de cette utilisation.

En effet, en 1984, l’artiste Prince fait la une du magazine Vanity Fair après le succès de son album Purple Rain. Lynn Goldsmith conclut avec le magazine un contrat de licence à usage exclusif de sa photographie pour la somme de 400 dollars.

Seulement, Andy Warhol décline le cliché de Lynn Goldsmith afin de créer une de ses mythiques photographies sérigraphiées, dont le principe consiste à reproduire des photographies de personnalités comme Marilyn Monroe pour les dupliquer en plusieurs exemplaires à fonds colorés différents.

A la mort d’Andy Warhol, Vanity Fair publie son œuvre composite. Dans cette optique, la fondation perçoit plus de 10 000 dollars. Lynn Goldsmith prend connaissance de cette atteinte à son droit d’auteur et contacte la fondation Andy Warhol pour revendiquer ses droits, mais sans résultat escompté…

Un juge de première instance avait donné raison à la fondation, considérant qu’Andy Warhol avait suffisamment modifié l’œuvre initiale. Selon lui, Lynn Goldsmith a représenté Prince comme une personne « vulnérable, mal à l’aise », alors qu’Andy Warhol a montré son image d’ « icône, plus grand que nature ». La photographe a donc interjeté appel devant une cour d’appel qui a infirmé le jugement de première instance. La Cour a effectivement estimé que, conformément à l’indifférence du mérite de l’œuvre, le juge ne pouvait s’ériger en « critiques d’art et analyser les intentions et les messages des œuvres ». La Cour a retenu que les portraits d’Andy Warhol n’avaient pas fait l’objet « d’ajout ou de modification » suffisants.

Jeudi 18 mai 2023, la Cour suprême des Etats-Unis a statué, à la majorité de sept juges sur neuf, en faveur de la photographe. En ce sens, la Cour a estimé que la requérante aurait dû être rémunérée au titre de son droit d’auteur en raison du caractère « commercial » de l’utilisation illicite de la photographie, en l’espèce, pour la couverture d’un magazine.

Une vive bataille judiciaire dont le dénouement prouve une nouvelle fois que, dans le cadre de la réalisation d’une œuvre composite, le respect des droits de l’auteur de la première reste primordial.

Ninon VANDEKERCKHOVE

 

Sources :

https://www.lefigaro.fr/culture/la-cour-supreme-des-etats-unis-la-fondation-warhol-a-verser-des-droits-d-auteur-a-lynn-goldsmith-20230518

https://www.liberation.fr/culture/photographie/droit-dauteur-la-cour-supreme-des-etats-unis-donne-raison-a-la-photographe-lynn-goldsmith-contre-la-fondation-warhol-20230518_SHYOVULZ6NCPHDSCIKOA3KQI3Y/

https://www.radiofrance.fr/franceinfo/podcasts/le-monde-est-a-nous/etats-unis-la-fondation-andy-warhol-sanctionnee-par-la-justice-americaine-pour-un-portrait-de-prince-1394408

 

Intelligence artificielle : le nouveau plan d’action dévoilé par la CNIL

L’intelligence artificielle générative, « système capable de créer du texte, des images ou d’autres contenus (musique, vidéo, voix, etc.) à partir d’une instruction d’un utilisateur humain », prend une place de plus en plus prépondérante au sein de notre société. Alors que cette dernière pose un certain nombre d’enjeux juridiques et éthiques, il convient de légiférer son usage. Et c’est ce à quoi s’attèle la Commission nationale de l’Informatique et des libertés, en lançant son plan d’action 2023.

S’étant déjà penché sur le sujet en procédant à des travaux sur notamment l’encadrement de l’usage des caméras augmentées, la CNIL dévoile un dispositif dédié entièrement à l’IA.

Cette régulation se structure autour de quatre volets, dans un objectif d’ « instaurer des règles claires, protectrices des données personnelles des citoyens européens afin de contribuer au développement de systèmes d’IA respectueux de la vie privée », comme l’a souligné le communiqué de la CNIL.

D’abord, celui d’appréhender le fonctionnement des systèmes d’IA et leurs impacts pour les personnes. Les outils d’IA posent des questions nouvelles sur la protection des données. De fait, des axes de travail vont alors se constituer notamment sur la loyauté et la transparence des traitements de données, la protection contre les abus et les discriminations, les collectes de données lors de l’utilisation de l’IA, les conséquences sur les droits des personnes sur leurs données, ou encore les enjeux de sécurité.

Le second volet est celui de permettre et encadrer le développement d’IA respectueuses des données personnelles, autrement dit la question de la conformité du Règlement général pour la protection des données (RGPD) à l’IA. Sur ce point, la CNIL souhaite orienter les entreprises d’IA générative en proposant des documents sur l’IA, à vocation pédagogique, qui constituent en fait des guides sur les règles applicables au partage et à la réutilisation de données. Elle poursuit également ses travaux sur la conception de systèmes d’IA et la constitution de bases de données pour l’apprentissage automatique. Dans un même temps, ces travaux permettront de préparer l’entrée du règlement européen sur l’IA qui est toujours en cours de discussion.

Le troisième volet est la fédération et l’accompagnement des acteurs innovants de l’écosystème IA en France et en Europe. Ce dernier vise à instaurer un dialogue nourri avec les équipes de recherche, centres de R&D et entreprises françaises développant, ou souhaitant développer, des systèmes d’IA dans une logique de conformité aux règles de protection des données personnelles, via notamment le lancement d’un « bac à sable » qui a vu le jour depuis deux ans ; cela permet de fournir des conseils aux acteurs innovants de l’IA.

La dernier concerne l’audit et le contrôle des systèmes d’IA ainsi que la protection des personnes. Cela implique ainsi que la CNIL doit veiller à que le développement de systèmes d’IA respecte les droits et libertés individuelles. Pour se faire, la Commission s’engage à contrôler le respect de la position sur l’usage de la vidéosurveillance augmentée par les acteurs publics comme privés (publiée en 2022), et de l’usage de l’intelligence artificielle pour la lutte contre la fraude ; enfin, la CNIL souhaite perfectionner son rôle d’instruction des plaintes qui lui sont déposées, telles que celles qu’elle a reçu à l’encontre d’OpenAI, la société américaine qui développe ChatGPT.

Louise FOUQUET-CRISTOFINI

 

Sources :

https://www.cnil.fr/fr/intelligence-artificielle-le-plan-daction-de-la-cnil

https://www.euractiv.fr/section/economie/news/protection-des-donnees-la-cnil-presente-un-plan-daction-concernant-lia-et-chatgpt/

https://www.journaldugeek.com/2023/05/17/intelligence-artificielle-la-cnil-devoile-son-plan-daction/

 

TikTok : l’application est bannie du Montana

Mercredi 17 mai, le gouvernement du Montana a promulgué une loi bannissant l’application TikTok de son territoire.  

Après plusieurs restrictions américaines entourant l’application chinoise, notamment concernant son utilisation par les fonctionnaires, le Montana devient ainsi le premier État américain à totalement l’interdire. Concrètement, à partir du 1er janvier 2024, les magasins d’applications mobiles d’Apple et Google ne devront plus distribuer TikTok, sous peine d’une amende de 10 000 dollars par jour d’infraction.

En justification de cette interdiction, il est reproché à l’application d’utiliser les informations de ses utilisateurs au profit du gouvernement chinois, de les désinformer, ainsi que d’avoir des effets néfastes sur la santé des plus jeunes, tels que l’addiction ou la dépression. Alors, selon le gouverneur Greg Gianforte, interdire TikTok vise à « protéger les données personnelles et privées des utilisateurs du Parti communiste chinois ».

Les accusations à l’encontre de l’application possédée par l’entreprise ByteDance ne sont pas nouvelles. En effet, si le propriétaire du réseau-social l’a toujours nié, de nombreux élus considèrent qu’il commet de l’espionnage pour le compte du gouvernement chinois, et c’est d’ailleurs pour cette raison que la Maison-Blanche lui avait demandé de céder la plateforme s’il souhaitait qu’elle reste accessible depuis le territoire américain.

Bien que les inquiétudes entourant l’application soient souvent partagées, cette loi ne fait pas consensus. La branche locale de l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a déclaré que « avec cette interdiction, le gouverneur Gianforte et le Parlement du Montana bafouent la liberté d’expression de centaines de milliers d’habitants du Montana qui utilisent cette application pour s’exprimer, trouver des informations et promouvoir leur petite entreprise, au nom d’un sentiment antichinois ». C’est pour cette même raison que des utilisateurs ont intenté une action en justice, arguant que cette loi est une violation de leurs droits protégés par le 1er amendement et qu’elle outrepasse le pouvoir du gouvernement du Montana. Dans un contexte où le Congrès américain envisage actuellement une interdiction nationale de l’application TikTok, le verdict risque d’être déterminant.

Esther PELOSSE

 

Sources :

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/05/18/etats-unis-tiktok-interdit-dans-le-montana_6173812_4408996.html?random=1060300283

https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/etats-unis-le-montana-premier-etat-a-interdire-tiktok-1944511

https://www.nytimescom/2023/05/18/business/media/tiktok-ban-free-speech-montana.html

Les défis juridiques des jeux vidéo basés sur la blockchain : propriété intellectuelle, contrats intelligents et NFT

            Les jeux vidéo connaissent une popularité incontestable tant ils parviennent à offrir des expériences uniques et immersives pour les joueurs. Œuvres complexes, les jeux vidéo qui peuvent comprendre des logiciels, bases de données et autres éléments audiovisuels, introduisent de nouvelles opportunités économiques et technologiques, complexifiant déjà le régime distributif qui permet leur légifération. En propriété intellectuelle, dans les domaines du droit d’auteur, des brevets, des marques et des secrets commerciaux, les jeux vidéo interrogent la sphère juridique avec l’émergence des contrats intelligents et des actifs numériques dont les jetons non fongibles (NFT) qui complexifient le travail des juges et du législateur quant à leur réglementation et à leurs implications pour les industries concernées.

Cet article examine ces problèmes juridiques et explore les décisions récentes qui pourraient façonner l’avenir de cette industrie en constante expansion.

I.              Propriété intellectuelle et jeux vidéo

Les jeux vidéo qui utilisent la blockchain se caractérisent par leur structure décentralisée. Ils utilisent cette structure pour stocker des données et pour permettre aux joueurs de réaliser des transactions entre eux ou dans le jeu. Ainsi, il est possible pour les joueurs de posséder des actifs numériques gagnés dans le jeu et de les échanger. C’est le cas du jeu de cartes Cometh qui est alimenté par la finance décentralisée et les NFT.

Cette caractéristique soulève des questions fondamentales. Les actifs numériques peuvent revêtir différentes formes et servir à différentes fins d’après la loi Pacte du 22 mai 2019. Les cryptomonnaies, les NFT, ainsi que les objets virtuels dans les jeux semblent entrer dans cette catégorie. Ils peuvent être achetés, vendus ou échangés par les joueurs quand bien même le caractère non fongible des NFT incite certains membres de la doctrine à considérer qu’ils ne répondent pas à la définition législative de l’actif numérique, les NFT excluant toute fonctionnalité d’unité de compte.

Propriété littéraire et artistique

En ce qui concerne les droits d’auteur, il est essentiel de déterminer si ces éléments du jeu sont soumis à une protection par le droit d’auteur. Les tribunaux ont la charge d’évaluer si ces actifs numériques créés dans le cadre des jeux vidéo satisfont aux critères d’originalité et de mise en forme. En ce qui concerne la catégorie des personnages, les juges s’étaient d’abord montrés réticents à l’idée d’attribuer la qualité d’œuvre à certaines formes de personnages. C’était notamment le cas dans un jugement du Tribunal correctionnel de Nanterre qui avait considéré que des pingouins, des créatures hostiles ou des monstres constitués de lignes géométriques ne présentaient pas de caractère original. Cependant, cette décision était isolée et la caractérisation de l’originalité pour les personnages suit aujourd’hui une logique bien moins critiquable.

Les NFT, en revanche, ont déjà été écartés de la qualification d’œuvre, car leur statut de biens meubles incorporels les rend inaptes à être considérés comme étant le fruit d’une activité humaine.

Propriété industrielle

Dans le cadre de la propriété industrielle, les brevets peuvent être pertinents pour les innovations technologiques spécifiques aux jeux vidéo basés sur la blockchain. Les développeurs peuvent chercher à protéger des inventions tels que des algorithmes de consensus qui permettent au système décentralisé de s’accorder sur les données à ajouter parmi les bases de données distribuées, des systèmes de tokenisation pour la sécurisation des données informatiques ou des méthodes d’échange décentralisées. Toutefois, l’admissibilité des inventions basées sur la blockchain aux brevets peut être sujette à débat en raison de l’exigence d’une application industrielle, de l’activité inventive et de la question de la nouveauté.

Les inventions basées sur la blockchain connaissent un nombre de dépôts de plus en plus important à travers le monde. Ainsi, un brevet américain de 2017 a pu protéger un système de suivi et de validation d’un utilisateur dans le réseau distribué blockchain. Cependant, on peut constater notamment à l’égard des brevets européens, une appréciation plus sévère des brevets attribués aux inventions mises en œuvre par un ordinateur. L’invention devant présenter un caractère technique et devant produire des effets techniques, la question se posait de savoir si un logiciel blockchain, mis en œuvre par un ordinateur, pouvait être protégé. La jurisprudence actuelle de l’Office européen des brevets (OEB) considère à ce titre qu’un logiciel blockchain pourrait faire l’objet d’une protection dès lors qu’il offrirait des fonctionnalités démontrant d’un caractère technique suffisant (exemple avec le brevet EP 3 200 167 « Information Transaction Infrastructure » de Mastercard). Il serait donc potentiellement possible d’accorder à un logiciel de jeu vidéo basé sur la blockchain une protection.

La protection des marques est également un aspect important pour les jeux vidéo basés sur la blockchain. Les développeurs peuvent souhaiter protéger les noms des jeux, les logos et les symboles distinctifs afin d’éviter toute confusion avec d’autres jeux ou marques similaires. L’enregistrement de marques peut fournir une protection juridique et contribuer à renforcer la valeur commerciale de ces jeux vidéo.

Enfin, les secrets commerciaux, tels que les codes sources confidentiels, les stratégies de conception et les modèles économiques, sont des atouts précieux pour les développeurs de jeux vidéo. Les entreprises doivent prendre des mesures pour protéger leurs secrets commerciaux contre toute divulgation non autorisée, qu’elle soit intentionnelle ou accidentelle, afin de préserver leur avantage concurrentiel.

II.              Les défis juridiques des contrats intelligents et des NFT

Contrats intelligents

Certaines configurations de blockchain permettent d’exécuter des contrats numériques dit intelligents. Ces contrats issus de programmes informatiques autonomes sont exécutés sur la blockchain et leur automatisme peut poser un certain nombre de défis juridiques dans le contexte spécifique des jeux vidéo.

Tout d’abord, la question de l’autonomie des contrats intelligents se pose. Le contrat numérique s’exécutant automatiquement, une fois déployé, son exécution est prédéterminée et il peut donc s’avérer difficile de modifier ou de stopper son exécution en cas de dysfonctionnement ou comportement inattendu. Dans le cas d’un jeu vidéo où les transactions et interactions sont régies par des contrats numériques, des problèmes peuvent se produire si ces dysfonctionnement adviennent ou simplement si l’utilisateur ne considère pas que le contrat numérique ait répondu à ses attentes. Ainsi, il est nécessaire pour les tribunaux d’évaluer les principes du droit des contrats pour déterminer si les contrats intelligents peuvent être considérés comme des accords juridiquement contraignants, ainsi que d’examiner les mécanismes de gouvernance et de résolution des litiges prévus dans ces contrats. Il est important de rappeler que la nature décentralisée de la blockchain et l’absence d’autorités centrales peuvent rendre la résolution des litiges plus difficile.

De plus, l’évolution de ces contrats nécessite également un encadrement. En cas de modifications ou de mises à jour de ceux-ci, les parties prenantes peuvent avoir intérêt à ce que des mécanismes de décisions collectives ou de vote soient mis en place pour permettre de respecter le principe de gouvernance de la blockchain et protéger les parties au contrat.

La limite à ces différentes réglementations réside cependant bien évidement dans la nature technique complexe du contrat intelligent. En cas de jeux complexes avec interactions multiples et conditions complexes, la rédaction et la programmation de ces contrats peut nécessiter une expertise technique et juridique supplémentaires pour éviter les désagréments.

Il est important de noter que malgré ces défis, les contrats numériques offrent également des avantages évidents, tels que l’automatisation des transactions, l’immutabilité et la transparence. Certains contrats peuvent notamment servir à faire appliquer des instruments de propriété intellectuelle comme des licences au profit des titulaires de droits. C’est le cas de la plateforme de gestion des droits à l’image lancée par Kodak qui est basée sur une blockchain et sur sa propre cryptomonnaie.

Non-fungible token (NFT)

Les NFT utilisés dans les jeux vidéo basés sur la blockchain soulèvent des questions sur la propriété et la circulation des actifs numériques. Les NFT permettent de créer des actifs uniques et indivisibles, tels que des personnages de jeu ou des objets virtuels, qui peuvent être achetés, vendus et échangés sur la blockchain. Cependant, la propriété et les droits associés à ces actifs soulèvent des problèmes complexes en matière de propriété intellectuelle et de droits des consommateurs.

En ce qui concerne la propriété intellectuelle, il convient de clarifier si la vente d’un NFT implique également le transfert des droits de propriété intellectuelle associés à l’actif numérique correspondant. Les tribunaux devront examiner la nature juridique des NFT et leur classification en tant que biens tangibles ou intangibles. La doctrine a déjà émis plusieurs possibilités quant à la question du transfert des droits. Certains auteurs jugent qu’il faudrait considérer la composante logicielle du NFT (le contrat intelligent) comme relevant du droit de distribution, ce qui le soumettrait à la théorie de l’épuisement des droits après le premier usage, mais d’autres considèrent que la vente du NFT s’assimilerait au transfert de propriété d’un support intangible et qu’il relèverait donc du droit de communication au public, nécessitant de ce fait un accord du titulaire des droits.

En outre, les problèmes de contrefaçon et de violation des droits d’auteur peuvent se poser si des NFT reproduisent des éléments protégés par le droit d’auteur sans autorisation.

Les contrats intelligents et les NFT soulèvent également des préoccupations en matière de protection des consommateurs. Les joueurs doivent être informés de manière claire et transparente des caractéristiques des NFT, notamment de la possibilité de revente, des droits associés et des limitations éventuelles. Les régulateurs peuvent être appelés à examiner la conformité des pratiques commerciales liées aux NFT avec les lois existantes sur la protection des consommateurs. 

III.            Les implications des décisions juridiques pour les industries concernées

Les décisions juridiques à venir dans le domaine des jeux vidéo et de la blockchain auront des implications significatives pour les développeurs, les joueurs et les régulateurs de cette technologie décentralisée.

Pour les développeurs, la clarté juridique et la protection de la propriété intellectuelle sont essentielles pour encourager l’innovation et l’investissement dans le développement de jeux vidéo basés sur la blockchain. Il est important de respecter les lois sur les droits d’auteur, les brevets, les marques et les secrets commerciaux tout en exploitant les avantages de la technologie blockchain. Une protection adéquate de la propriété intellectuelle peut garantir la valorisation des actifs numériques créés dans le cadre de ces jeux.

Les joueurs quant à eux ont besoin d’une plus grande sécurité juridique et d’une protection de leurs droits de propriété lorsqu’ils achètent, vendent et échangent des actifs numériques, tels que des NFT, dans les jeux vidéo. Les tribunaux et le législateur doivent s’assurer que les joueurs ont une compréhension claire de leurs droits en tant que propriétaires de ces actifs, y compris la possibilité de les revendre et de les transférer. De plus, des mesures doivent être prises pour prévenir les fraudes et les contrefaçons dans le marché des actifs numériques.

Du côté des régulateurs, il est nécessaire de mettre en place une réglementation appropriée pour encadrer les jeux vidéo. Cela implique de définir des normes en matière de protection des consommateurs, de lutte contre la fraude, de respect de la propriété intellectuelle et de responsabilité des acteurs impliqués. Une approche équilibrée est nécessaire pour encourager l’innovation tout en protégeant les intérêts des utilisateurs et en assurant l’intégrité du marché.

Finalement, on ne peut que constater que le domaine des jeux vidéo basés sur la blockchain ne cesse d’évoluer et de mettre le droit au défi par les nouvelles technologies qu’il applique. Les décisions juridiques doivent donc être flexibles et adaptées à ces évolutions, tout en maintenant un équilibre entre l’innovation et la protection des intérêts légitimes.

Lynn MBONGO

Sources :

La blockchain dans les jeux vidéo : quels enjeux ? quel développement ? (afjv.com)

Cometh : la météorite des jeux blockchains arrive grâce à sa levée de fonds – Journal du Coin

La réglementation, clé de l’adoption de la blockchain | Finance et Investissement (finance-investissement.com)

BARBET-MASSIN, A. KHATAB, « Les “ brevets blockchain ” : état des lieux et perspectives », HAL open science, 2018. ffhal-02284384.

CASANOVA, D. VERET, « Droit d’auteur et jeu vidéo », INPI, 2015. La propriété intellectuelle et la transformation numérique de l’économie | 1 INPI.fr

CLARK, « Blockchain et droit de la propriété intellectuelle : une combinaison idéale au pays de la cryptographie? », OMPI Magazine, février 2018.

ENSER, « Sacem : cap sur les NFT », Dalloz actualité, 13 décembre 2022.

FRICERO, « De la blockchain au smart jugement ? », Comprendre le nouveau schéma procédural à l’épreuve de la justice numérique, Dalloz action Droit et pratique de la procédure civile, 2021-2022.

GROFFE-CHARRIER, « Jeu vidéo et Droit d’auteur », Dalloz IP/IT, janvier 2020.

LAPOUSTERLE, « Les NFT artistiques à l’épreuve des droits d’auteur », Dalloz IP/IT, 2023, p. 84.

SERFATY, « Réflexions sur la nature juridique du NFT et son rapport à l’œuvre de l’esprit », Dalloz IP/IT, 2023, p. 77.

TAZROUT, « Vers un développement progressif de la blockchain dans les jeux vidéo ? », Siècle Digital, 31 mars 2022.

Corr. Nanterre, 29 juin 1984, Coreland c/ Sega, Expertises 1984, no67, p. 301; RIDA 1985, no 124, p. 171.

Brèves du 7 au 15 mai 2023

Bonsoir à tous,

Les brèves du 7 au 15 mai 2023 sont disponibles.

Nous remercions Juliette GUILLEMOT et Emma BARETTI pour leur contribution !

En vous souhaitant une bonne lecture ainsi qu’une bonne semaine,

Le Collectif

Quand la « gratuité des services Twitter est un leurre », le réseau social est condamné à revoir les clauses de ses conditions générales d’utilisation

Rendu visible depuis quelques jours, l’arrêt du 14 avril 2023 de la Cour d’appel de Paris condamne la société Twitter au paiement de 100 000 euros notamment au titre de l’atteinte portée à « l’intérêt collectif des consommateurs », et suggère la  « clarification » des clauses contenues au sein de ses conditions générales d’utilisation.

C’est en 2014 que l’association de défense des consommateurs a pu saisir pour la première fois la justice au dessein que celle-ci reconnaisse le caractère abusif ou illicite de « 256 clauses » disposées au sein des conditions d’utilisation du réseau social Twitter. Fait notamment partie de la catégorie des clauses contestées, la clause en vertu de laquelle Twitter s’accorde la possibilité de « copier, adapter, modifier ou même vendre les contenus postés (…)  des utilisateurs y compris ceux protégés par le droit de la propriété intellectuelle (…) ». Sans aucun doute, l’imprécision et le choix inopiné des termes utilisés au sein de ces clauses ont invité les juges à condamner le réseau social dans un jugement du 7 août 2018.

À la différence de Google et Facebook, Twitter n’a pas souhaité s’y conformer et a donc fait appel. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur l’applicabilité du Code de la consommation aux conditions générales d’utilisation. À cela, Twitter s’y est opposé en arguant la gratuité de ses services. Or, selon l’association UFC-Que choisir, « le contrat twitter » a bien « une contrepartie financière », car le réseau social repose « sur la valorisation des données à caractère personnel des utilisateurs (…) afin de transférer les données à des tiers qui vont en faire une exploitation commerciale ». Sensible à ces arguments, la Cour d’appel de Paris a relevé l’applicabilité des dispositions du Code de la consommation « aux conditions générales d’utilisation de Twitter ».

Poursuivant son appréciation des clauses, la juridiction a pu relever que la « suppression d’un certain nombre de clauses » par le réseau social permettrait « d’aboutir à des conditions facilement accessibles et intelligibles (…) pour l’utilisateur lambda ». En effet, le « maquis de clauses » et leur « répétition » nuisent à l’appréhension par l’utilisateur-consommateur des informations contenues dans les conditions d’utilisation.

Marquant la fin de « dix ans de procédure », l’arrêt du 14 avril 2023 est protecteur pour les utilisateurs du réseau social Twitter dont les conditions sont désormais soumises aux dispositions du Code de la consommation. Considérée comme un « exemple », il semble qu’une telle décision pourrait venir s’appliquer aux autres réseaux sociaux lesquels ne pourront notamment plus modifier le contrat sans l’accord de l’utilisateur….

Juliette GUILLEMOT

 

Sources :

https://www.lepoint.fr/justice/twitter-condamne-pour-atteinte-a-l-interet-des-consommateurs-09-05-2023-2519455_2386.php

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/05/04/twitter-condamne-a-payer-100-000-euros-pour-la-non-conformite-de-ses-conditions-d-utilisation_6172039_4408996.html

https://www.leparisien.fr/high-tech/twitter-condamne-a-100-000-euros-damende-pour-des-conditions-dutilisation-imprecises-04-05-2023-Z2D5PCV2LFEKJDI6TMWBRMFLUQ.php

https://www.usine-digitale.fr/article/twitter-condamne-a-100-000-euros-d-amende-dans-son-proces-face-a-l-ufc-que-choisir.N2129726

https://justice.pappers.fr/decision/3944a6b43efea55cc579aaec1dcd4d42?q=Cour%20d%27appel%20de%20Paris%2014%20avril%202023,%20UFC%20que%20choisir

 

 

La Commission européenne publie ses recommandations pour lutter contre le piratage des événements en direct

Après de nombreuses sollicitations du Parlement européen et des organisations des secteurs du sport et de la création, la Commission européenne a proposé, le 4 mai 2023, de nouvelles mesures pour lutter contre la diffusion illicite d’événements en direct. Les manifestations sportives sont particulièrement concernées par ce phénomène, mais des évènements culturels tels que les concerts ou les représentations théâtrales peuvent également faire l’objet de diffusions illicites.

L’enjeu de cette lutte contre le piratage des événements en direct est d’autant plus important que la valeur de ces contenus est éphémère et se limite souvent à la durée de l’événement.

À travers ces recommandations, la Commission entend agir contre les pertes de revenus subies par les artistes interprètes et par les organisateurs de ces évènements en raison des diffusions illicites, et ainsi renforcer la compétitivité des secteurs du sport et de la création de l’Union européenne.

Tout d’abord, la Commission européenne s’adresse aux fournisseurs de services d’hébergement en sollicitant la suppression rapide des contenus illégaux. Elle souligne « l’importance d’une action urgente de la part des fournisseurs de services d’hébergement pour réduire au minimum le préjudice causé par la diffusion en continu illégale ».

Ensuite, la Commission propose de mettre en place un système de blocage dynamique des liens qui transmettent frauduleusement ces manifestations. Les États membres sont encouragés « à accorder la qualité pour agir aux organisateurs de manifestations sportives afin de leur permettre de demander une injonction ». En France, des mesures ont déjà été prises en ce sens.

Enfin, la Commission recommande aux organisateurs d’événements en direct et aux radiodiffuseurs de rendre leurs offres commerciales plus abordables pour les utilisateurs de l’Union européenne. En d’autres termes, selon la Commission, si les abonnements aux chaînes sportives sont moins onéreux alors le recours au piratage devrait diminuer. Les États membres, quant à eux, sont invités à sensibiliser les consommateurs sur l’existence d’offres légales pour regarder ces contenus.

La Commission souligne que ces mesures doivent être mises en œuvre dans le respect des droits fondamentaux et des règles en matière de protection des données à caractère personnel.

Il convient également de noter que ces recommandations n’ont aucune valeur contraignante, de quoi décevoir les titulaires de droits et les parlementaires. Ces derniers souhaitant, en effet, l’adoption d’un « véritable instrument législatif ».

La Commission se donne deux ans et demi pour évaluer les effets de ces mesures, en vue d’une éventuelle législation ultérieure dans ce domaine. Les titulaires de droits devront donc faire preuve de patience…

Emma BARETTI

 

Sources :

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_23_2508

https://fr.euronews.com/my-europe/2023/05/04/recommandations-europeennes-contre-le-piratage-en-ligne-du-sport-et-de-la-culture

https://www.usine-digitale.fr/article/la-commission-europeenne-veut-intensifier-la-lutte-contre-le-piratage-audiovisuel.N2129616

https://www.euractiv.fr/section/economie/news/la-commission-europeenne-publie-sa-recommandation-pour-lutter-contre-le-piratage-des-evenements-en-direct/

 

 

Projet de loi sur l’espace numérique : l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence

La semaine dernière, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, a soumis au Conseil des ministres un projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique dont la finalité est de vivre dans une société « numériquement plus sûre », comme l’a indiqué le ministère.

À la suite de la saisine de l’Autorité de la concurrence par le ministre, ce projet de loi, qui instaure un paquet de mesures sur des enjeux omniprésents tels que la cybercriminalité, la protection des enfants sur Internet, les fournisseurs cloud ou encore la désinformation, a fait l’objet d’un avis par ledit organe, en vertu de sa compétence consultative. Ce dernier a été rendu le 11 mai.

Des recommandations concernant trois articles du projet, notamment ceux relatifs à la partie cloud, ont ainsi été rendues. Bien que l’Autorité « partage les préoccupations exprimées dans le projet de loi à l’égard de certaines pratiques ou défaillances de marché dans le secteur de l’informatique en nuage », cette dernière demande des éclaircissements principalement par souci de conformité au futur règlement européen (« Data Act »), qui est toujours en cours de négociation.

L’Autorité craint un décalage entre ces mesures proposées par le gouvernement et le futur règlement européen, ce qui pourrait mener à pénaliser les acteurs opérant sur le marché français. De fait, elle attire dans un premier temps l’attention du législateur sur le besoin de cohérence entre le régime transitoire prévu par le projet de loi et les dispositions du futur règlement sur les données (« Data Act »). L’Autorité demande également à clarifier les définitions de « service d’informatique en nuage » et « avoir d’informatique en nuage », mais également les conditions d’encadrement des durées et de reconduction des avoirs d’informatique en nuage. Alors que le projet vise à rendre les opérateurs du « cloud » plus interopérables, en permettant une « portabilité » des données entre les différents services concurrents, par l’interdiction des « frais de transfert » et par l’encadrement des avoirs commerciaux (aussi appelés « crédits cloud »), l’Autorité recommande de clarifier les frais liés au transfert de données. Enfin, elle demande que soit garantie la bonne articulation des mesures liées à l’interopérabilité et à la portabilité avec le futur Data Act.

Le gouvernement aura alors tout intérêt à suivre ces cinq orientations qui ressortent de cet avis, afin de ne pas risquer de détériorer le fonctionnement concurrentiel du secteur numérique.

 Louise FOUQUET-CRISTOFINI

 

Sources : 

https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/article/avis-sur-certaines-dispositions-du-projet-de-loi-visant-securiser-et-reguler-lespace

https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-projet-de-loi-sur-le-numerique-l-autorite-de-la-concurrence-veut-plus-de-coherence-90411.html

https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/competence-consultative

https://www.cbnews.fr/digital/image-autorite-concurrence-demande-clarification-du-projet-loi-reguler-espace-numerique

 

 

Droit moral de l’auteur : une proposition de loi contre la réécriture des œuvres littéraires

Une proposition de loi visant à protéger l’intégrité des œuvres des réécritures idéologiques a été déposée à l’Assemblée nationale par le député Les Républicains Jean-Louis Thiériot. Ce dernier se préoccupe de la réécriture d’œuvres littéraires dernièrement constatée dans le monde anglo-saxon.

« Aujourd’hui, des œuvres du patrimoine culturel de l’Humanité sont menacées de disparition sous la pression du mouvement « wokiste » et de la “cancel culture » », s’indigne Jean-Louis Thiériot.

En effet, cette proposition s’inscrit dans un contexte particulièrement tendu observé au Royaume-Uni. Un mouvement de sensitivity readers inspecte les livres et modifie les passages susceptibles d’offenser les « sensibilités modernes ». De nombreux ouvrages ont en fait l’objet comme ceux de Roald Dahl, Ian Fleming ou encore d’Agatha Christie. Pour illustrer, dans Mort sur le Nil, le personnage de Mrs Allerton proteste contre un groupe d’enfants. Dans l’ouvrage d’origine, il est écrit : « Ils reviennent et regardent, et regardent, et leurs yeux sont tout simplement dégoûtants, tout comme leur nez, et je ne crois pas que j’aime vraiment les enfants » ; dans la nouvelle version, « Ils reviennent et regardent, et regardent. Et je ne crois pas que j’aime vraiment les enfants ». Les termes « oriental », « gitan » ou « indigène » sont enlevés.

L’objectif du député LR est limpide : « inscrire dans la loi tous les garde‑fous qui permettront d’éviter que demain ce ne soit Molière qui soit passé au crible de la « relecture en sensibilité » ».

Sa proposition de loi se découpe en 2 articles :

  • Article 1er : L’article L. 121‑4 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Le droit de repentir et de retrait ne peut être exercé que par l’auteur luimême. Il n’est pas transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. Son exercice ne peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. »

En procédant de la sorte, le député souhaite rendre le droit de repentir ou de retrait intransmissible aux ayants droit de l’auteur. En droit positif, l’article L. 121 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ». Les attributs du droit moral étant transmissibles, les ayants droit d’un auteur pourraient ainsi imposer aux éditeurs de réécrire ou de faire retirer les exemplaires disponibles sur le marché.

Pour soutenir ses propos, le député s’appuie sur un arrêt du TGI de la Seine du 15 avril 1964, Les Misérables dans lequel la jurisprudence admet que le droit de retrait et de repentir n’est pas transmissible aux ayants droit de l’auteur décédé, contrairement aux autres prérogatives du droit moral.

  • Article 2 : Le chapitre Ier du titre II du livre Ier de la première partie du Code de la propriété intellectuelle est complété par un article L. 121‑10 ainsi rédigé : « Le ministre chargé de la culture dispose du droit au respect de l’œuvre qu’il peut exercer dans toute instance juridictionnelle afin d’en défendre l’intégrité. »

Il propose également que le ministre de la Culture soit détenteur du droit au respect de l’œuvre afin de pallier l’éventuelle carence des ayants droits.

Certes, les réécritures peuvent s’avérer discutables en ce qu’elles tracent une ligne de démarcation entre l’auteur et son œuvre dont la version d’origine est modifiée, mais contrarier la volonté originelle du législateur français de rendre le droit moral perpétuel n’est pas nécessairement une solution adaptée.

Ninon VANDEKERCKHOVE

 

Sources :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1199_proposition-loi#

https://actualitte.com/article/111655/droit-justice/une-loi-pour-s-opposer-a-la-reecriture-des-oeuvres-litteraires

https://www.tf1info.fr/culture/apres-roald-dahl-et-james-bond-au-tour-des-romans-d-agatha-christie-d-etre-reecrits-2252322.html