L’été 2018 a été indéniablement marqué par la tenue de la Coupe du Monde de football en Russie et la victoire de l’Equipe de France que l’on ne manquera pas de rappeler. Il est notoire que les recettes générées par la FIFA et ses partenaires commerciaux à l’occasion de tels évènement sont pharamineuses. Mais qu’en est-il de la place de la propriété intellectuelle dans ce marché plus que fructueux ? Quelques chiffres peuvent être donnés pour saisir l’envergure de ce marché. On peut d’abord citer l’OMPI qui affirme que « la vente de ces droits [de propriété intellectuelle] a représenté près de 88% du total des recettes générées par les éditions 2010 et 2014 de la Coupe du monde de la FIFA »¹. Plus précisément, l’enjeu financier se concentre majoritairement autour de l’audiovisuel et de la cession de droits de diffusion. Ainsi, « 1,7 milliard de dollars [ont été] versés par les radiodiffuseurs pour avoir le droit exclusif de radiodiffuser les jeux olympiques de Beijing en 2008 »².
La consécration légale d’un droit d’exploitation pour les organisateurs d’évènements sportifs
En la matière, le texte clé est l’article L.333-1 du Code du sport qui dispose que « Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l’article L. 331-5, sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent. » Par ces dispositions, les organisateurs de manifestations sportives bénéficient d’un droit d’exploitation large puisqu’il comprend « les droits audiovisuels, marketing, publicitaires, afférents aux photographies et ouvrages relatant les exploits des athlètes ou encore ceux relatifs à la billetterie, au merchandising, aux relations publiques et aux paris sportifs en ligne³». En d’autres termes, ils détiennent un droit exclusif qui leur permet de contrôler l’utilisation commerciale réalisée par des tiers et en lien direct avec l’activité sportive.
En raison de leur poids économique, il convient de d’abord s’intéresser au premier des droits cités par l’article du Code du sport : les droits audiovisuels. Les retransmissions des manifestations sportives peuvent-elles être qualifiées d’œuvre audiovisuelle qui, rappelons-le, consistent en des « séquences animées d’images, sonorisées ou non »⁴ ? A priori, la représentation de ces évènements à la télévision ou sur Internet rentre dans cette définition, mais la réponse est plus complexe en réalité. Il a été admis qu’une retransmission sportive peut être qualifiée d’œuvre de l’esprit « si le réalisateur choisit les paramètres techniques des prises de vues, imprime un rythme, crée le suspens, i.e. procède à une véritable mise en scène de l’événement ⁵» . Toute la difficulté réside donc dans la preuve de l’originalité pour pouvoir accéder à la protection par le droit d’auteur.
Si des interrogations ont été soulevées quant à la nature exacte du droit offert par l’article L.333-1 du Code du sport⁶ (on peut d’ailleurs souligner que ce droit n’est pas offert par le Code de la propriété intellectuelle qui consacre les droits d’auteur mais par le Code du sport), pour F. Rizzo ce droit appartient à la catégorie des droit voisins du droit d’auteur. Ces dispositions récompensent l’effort financier supporté par les organisateurs d’évènements en leur offrant un monopole d’exploitation.
En dépit de la qualification d’œuvre protégée ou non par le droit d’auteur, il est certain que les organismes désignés par les dispositions du Code de sport disposent un droit de propriété. D’où la guerre acharnée que se livre, les grands diffuseurs (Canal +, BeinSport, RMC Sport …) à chaque début de cycle pour obtenir les faveurs de la LFP, Premier League et autres fédérations sportives. Les droits audiovisuels touchent à tout ce qui tient à la diffusion de l’évènement par la télévision, la radio, Internet ou encore par la voie de la téléphonie mobile. Par manifestations sportives, on entend ici la tenue de compétitions où participent des sportifs professionnels. Ainsi, les organisateurs de ces évènements, qui sont donc les seuls à détenir originellement les droits d’exploitation, peuvent permettre à des entreprises de télécommunications de retransmettre les évènements en direct ou en différé. Pour cela, les acteurs de l’audiovisuel doivent conclure des contrats avec les premiers. Les contrats de cession d’exploitation des événements sportifs sont dans la majorité des cas accompagnés d’une clause d’exclusivité au profit de l’acquéreur, pour permettre au diffuseur de rentabiliser ses investissements.
Les contours de la prestation sportive sont aussi à définir. Les (très) scénarisées et spectaculaires rencontres avant combat entre boxeurs peuvent-elles être protégées sur le fondement de cet article ? L’usage d’un résultat sportif pour promouvoir un produit dans le cadre d’une publicité commerciale peut-il tomber dans l’assiette du droit des organisateurs sportifs ? C’est cette dernière question qui a été posée aux juges de la Cour de cassation⁷ . Une telle activité n’est pas « constitutive d’une exploitation directe » de la compétition. La notion de prestation sportive serait donc entendue restrictivement par les juges.
Mais les droits des organisateurs ou fédérations sportives ne sont pas limités aux droits audiovisuels, un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé qu’ils sont également propriétaires « des droits d’exploitation de l’image de cette manifestation notamment par diffusion de clichés photographiques réalisés à cette occasion⁸ ». C’est également ce qui justifie le retrait de posts d’internautes sur les réseaux sociaux qui contiennent des extraits de l’évènement sportif.
Les difficultés rencontrées dans l’exploitation audiovisuelle des manifestations sportives
Les progrès techniques dans le domaine de la télécommunication a, d’une part, permis à un plus grands nombre de spectateurs de suivre des évènements sportifs, d’autre part, fragilisé la protection des œuvres. Le numérique a permis l’essor de reproductions d’œuvres protégées non autorisées et cela se vérifie une nouvelle fois dans le domaine de la diffusion de ces manifestations sportives. En effet, depuis plusieurs années, le piratage des signaux d’émission de radiodiffusion est très répandu et permet de recourir au streaming. Ainsi, les utilisateurs de ces sites illégaux ont la possibilité d’accéder en simultané (plus ou moins) à la prestation exclusivement diffusée par une chaine ayant préalablement obtenu les autorisations nécessaires.
Selon Médiamétrie, le nombre d’internautes ayant visité au moins une fois par mois un site de streaming sportif en septembre 2018 serait de 2,31 millions⁹ . Le manque à gagner pour les exploitants est donc considérable. Par ailleurs, les diffuseurs français ainsi que quelques fédérations ont décidé de créer en 2018 « l’Association pour la protection des programmes sportifs » afin de remédier à cela. En plus des mesures techniques de protection, que peuvent mettre en place les acteurs privés du secteur, il apparait nécessaire qu’une protection juridique plus efficace soit adoptée au niveau national et/ou international.
En plus des limites imposées par la propriété intellectuelle, d’autres sont posées par le droit de la concurrence. Les contrats de cession d’exploitation font l’objet de contrôles au niveau national et européen, notamment parce qu’ils pourraient avoir des conséquences anti-concurrentielles sur le marché. La validité des clauses d’exclusivité « dépend non seulement de sa durée, de son étendue, de la structure et du degré de concurrence existant sur le marché des droits audiovisuels sportifs, mais également de la mise en œuvre, au préalable, d’appels d’offres afin de garantir la transparence et la fluidité de ce marché ». La Cour de Justice de l’Union Européenne avait d’ailleurs relevé que les stipulations d’un contrat entre la FAPL (Football Association Premier League) et une chaine de télévision qui posaient l’obligation au diffuseur de crypter sa chaine et d’interdire la fourniture de cartes en dehors du territoire couvert par la licence constituaient des pratiques anticoncurrentielles¹¹. Il y a donc une remise en question du caractère absolu de l’exclusivité territoriale.
En outre, la liberté d’information du public constitue une limite aux droits de propriété. En effet, on estime qu’il existe un droit à l’information sportive qui exige de rendre facile d’accès les informations autour des manifestations sportives. Au sein de cette exception figure, le droit de citation ou de droit aux courts extraits, qui permet par exemple aux chaines non bénéficiaires de droits de cession de diffuser les moments clés d’une rencontre sportive, ou encore la libre accessibilité des événements d’importance majeur , qui prévoit que les événements d’importance majeure ¹⁰ doivent pouvoir être diffusés par un service de télévision en clair. La liste de ces événements est fixée par décret. Par exemple, les Jeux Olympiques d’été et d’hiver y sont énumérés.
Un droit d’auteur sur la prestation sportive ?
L’on peut se demander si les sportifs eux-mêmes détiennent des droits d’auteur sur leur prestation. En effet, on sait que les prestations d’un athlète sont préparées à l’avance, mais les actions des athlètes sont parfois dictées par leur entraineur. Un parfait exemple peut être le patinage artistique ou encore la gymnastique rythmique qui se composent d’éléments chorégraphiques prédéterminés. Or, il est tout à fait possible de protéger les chorégraphies par le droit d’auteur. Dans pareil cas, une protection peut être accordée à la prestation sportive, mais encore faut-il régler la question de l’attribution de la qualité d’auteur. Il faut déterminer qui, du sportif ou du personnel encadrant, a fait preuve d’originalité. Mais cette hypothèse ne se vérifie que pour un nombre limité de disciplines.
Il parait difficile de généraliser cette protection à toutes les prestations sportives, alors même que les prestations sportives intègrent en elles un fort degré d’imprévisibilité. C’est cela même qui rend le spectacle sportif tant attractif aux yeux des spectateurs.
Un autre argument en défaveur d’une protection généralisée de la prestation sportive peut-être celui de la conscience de création. On imagine mal que lors d’un combat de boxe, le professionnel ait à l’esprit de créer ou exécuter une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur, plutôt que d’éviter l’issue fatale que serait un K.O. En 2011, la Cour de justice de l’Union Européenne a affirmé au sujet des matchs de football : « lesquels sont encadrés par des règles de jeu, qui ne laissent pas de place pour une liberté créative au sens du droit d’auteur »¹¹ . Néanmoins, dans ce même arrêt, la Cour admet que les Etats ont la possibilité d’adopter des textes normatifs permettant de protéger les rencontres sportives.
Tout reste encore à faire pour que la propriété littéraire et artistique se hisse sur le podium du droit des retransmissions sportives.
Jessica Mendes Borges
1 OMPI Magazine, « La propriété intellectuelle et le sport : une formule gagnante » S. Lahorgue Nunes Décembre 2014 – https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2014/06/article_0006.html accédé le 17/03/2019
2 https://www.wipo.int/ip-sport/fr/broadcasting.html – accédé le 17/03/2019
3 F. Rizzo, JurisClasseur Communication, Fasc. 264 : les droits audiovisuels des événements sportifs, 1er Janvier 2018
4 Code de propriété intellectuelle, art. L. 112-2, 6°
5 CA Paris, 15 juin 1989
6 v. J-M. Marmayou, « Le droit d’exploitation des organisateurs sportifs : monopole finalisé ou droit absolu ? » D. 2014 p.1428
7 C. Cass, ch. com. 20 mai 2014 N° 13-12102
8 C.Cass, ch. com., 17 mars 2004, n° 02-12.771
9 https://www.lanouvellerepublique.fr/a-la-une/dossier-face-aux-pirates-le-sport-francais-cherche-la-parade – accédé le 19/03/2019
10 Directive « Services de médias audiovisuels » no 2010/13/UE du 10 mars 2010
11 CJUE, gde ch., 4 octobre 2011, aff. jointes C-403/08 et C6429/08, Aff. Premier League