Wish est une plateforme de commerce en ligne américaine au cœur de nombreuses polémiques. Rassemblant une vaste sélection de vêtements, produits high-techs, bijoux et tout autre produit, qui proviennent pour la plupart de vendeurs situés en Chine, ce « marketplace » défit toute concurrence, et parfois toute légalité.
Des produits dangereux
Des soupçons tenant à la qualité et à la conformité des produits aux normes de sécurité du consommateur avaient incité le Service national d’enquête de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) à enquêter sur Wish. Le 25 mai 2021, le procès-verbal de constat résultant de l’analyse de 140 produits était sans appel : 95% des jouets ont été déclarés non conformes, dont 45% dangereux pour risque chimique. Parmi les appareils électroniques, 95% étaient non conformes et 90% dangereux car pouvant créer des risques d’électrocution. Enfin, pour les bijoux fantaisistes, 62% étaient jugés dangereux compte tenu de la toxicité du plomb, du nickel et du cadmium qui ne respectaient pas les seuils maximums réglementaires, ce qui entraîne des risques de cancer ou d’allergie. En bref, une grande part des produits vendus par la plateforme est dangereuse pour la santé des consommateurs.
Sanction de la DGCCRF
Cette conclusion alarmante a conduit la DGCCRF, le 15 juillet 2021, à enjoindre Wish à se mettre en conformité avec la loi française, « en cessant de tromper le consommateur sur la nature des produits, sur les risques inhérents à leur utilisation et sur les contrôles effectués et ce dans un délai de 2 mois ».
Face à l’inaction de la plateforme, le 23 novembre 2021, après avoir déclaré que « ces acteurs bafouent la réglementation sur la sécurité des produits et c’est inacceptable », le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, avait ordonné aux moteurs de recherche tels que Google, Lilo, Bing et aux magasins d’applications mobiles comme Apple Store et Play Store de déréférencer Wish, en application de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation. Ainsi, le site restait accessible mais seulement en inscrivant le lien URL exact dans la barre de navigation, ce qui permettait de limiter le nombre de consommateurs accédant aux produits dangereux de la plateforme.
Echec de la demande de référé suspension
Jugeant cette décision illégale et disproportionnée, la société exploitante de la plateforme e-commerce, Contextlogic, avait par la suite déposé un recours administratif en demandant au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre l’exécution de la décision ministérielle de déréférencement et en posant une question prioritaire de constitutionnalité. Par une ordonnance du 17 décembre 2021, le juge a débouté la société de ses demandes.
Ainsi, le juge a refusé de suspendre le déréférencement du site internet de Wish. Il a en effet estimé que, à la date de la décision attaquée, la société ContextLogic n’établissait pas avoir respecté l’injonction du 15 juillet 2021 et que la mesure subséquente de déréférencement n’était pas disproportionnée puisque, malgré le déréférencement, le consommateur pouvait toujours se rendre sur la plateforme en entrant l’adresse complète du site Internet.
Validité de la question prioritaire de constitutionnalité
À cette demande de suspension de déréférencement s’était donc ajoutée une question prioritaire de constitutionnalité sur l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation par la société Contextlogic : cette disposition prévoit que, lorsque sont constatées certaines infractions aux dispositions du même code, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut : « notifier aux personnes (…) les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites pour qu’elles prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement ».
Pour rappel, la QPC permet aux citoyens de contester, au cours d’un procès, la constitutionnalité d’une disposition législative qui porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Depuis son entrée en vigueur, le 1er mars 2010, il existe un double contrôle de constitutionnalité a priori et a posteriori.
Avant d’être adressée au Conseil Constitutionnel, le juge du fond exerce un premier filtre en saisissant, sans délai, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation si (i) la disposition contestée est applicable au litige ou constitue le fondement des poursuites, (ii) n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et (iii) a un caractère nouveau ou sérieux.
Une fois cette première étape passée, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation exerce un second filtre. Dès lors que les mêmes conditions sont remplies, ils renvoient l’affaire devant le Conseil constitutionnel afin que celui-ci se prononce sur la constitutionnalité.
Le tribunal administratif était donc ici, en tant que premier filtre, chargé d’examiner la QPC posée. La société Contextlogic affirmait que l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation était contraire à la liberté d’entreprendre et à la liberté d’expression et de communication garanties par les articles 4 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le juge du fond a rejeté cette question pour défaut de caractère sérieux, considérant qu’ « aucun des autres moyens soulevés n’est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ».
Convaincue du bien-fondé de sa demande, la société Contextlogic s’était pourvue en cassation contre cette décision devant le Conseil d’Etat. La juridiction de recours a alors infirmé la décision du tribunal administratif relative à l’absence de caractère sérieux de la QPC :
« La question de la proportionnalité des atteintes que ces dispositions portent à la liberté d’entreprendre et à la liberté d’expression et de communication, garanties par les articles 4 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, présente un caractère sérieux » (considérant n°5).
Par conséquent, dans son arrêt du 22 juillet 2022, le Conseil d’Etat fait droit à la QPC et renvoie l’affaire devant le Conseil constitutionnel.
Décision du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel, saisi de l’affaire, a cherché à déterminer si ce déréférencement imposé par la DGCCRF en vertu de l’article 521-3-1 du Code de la consommation était bien valable.
Légalité du déréférencement
Le 21 octobre 2022, il en a déduit que ce déréférencement est parfaitement légal. Plus précisément, il a expliqué que les dispositions législatives sur lesquelles s’est fondée la DGCCRF pour ordonner le déréférencement du site et de l’application de Wish étaient conformes à la Constitution « au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi par ces dispositions et des garanties procédurales et de proportionnalité qu’elles prévoient ».
Validité du pouvoir d’injonction numérique
Le Conseil constitutionnel valide ainsi le pouvoir d’injonction numérique dont est titulaire la DGCCRF depuis la Loi DDADUE de 2020 afin de “lutter plus efficacement contre les pratiques commerciales illicites sur Internet”. L’autorité administrative peut donc « ordonner, de manière graduée, lorsqu’elle constate des contenus manifestement illicites en ligne et dès lors que le professionnel n’est pas identifiable ou ne se conforme pas à une première demande, de cesser ses pratiques, l’affichage d’un message d’avertissement, le déréférencement ou la restriction d’accès à un site ou une application mobile, ou encore le blocage d’un nom de domaine”.
Ici, le choix n’est que celui du déréférencement, et non du blocage qui requiert l’intervention des fournisseurs d’accès à internet, à savoir Orange, SFR ou encore Free, et permettrait au site de ne pas être trouvable via son URL, à moins de changer de VPN. Ceci permet toutefois à l’entreprise américaine de voir son marché français considérablement réduit, et le nombre de clients exposés à des produits dangereux diminué.
Manifestation du pouvoir de l’Etat français face aux interfaces d’e-commerce
Cette décision, qui est une première en France et en Europe, permet de mettre en garde les interfaces similaires à Wish qui, bien qu’étant des intermédiaires entre les vendeurs et les consommateurs, ne sont pas de simples hébergeurs mais des distributeurs ayant des obligations de contrôle. En effet, en tant qu’hébergeur, intermédiaire passif, une plateforme n’a pas à tester les produits dont elle permet la vente, mais seulement à les retirer si signalés. Toutefois, en tant que distributeurs, comme Wish qui « intervient en amont lors de la gestion du contrat et en aval lors de la phase de SAV », les plateformes doivent s’assurer que les produits vendus ne sont pas illicites si elles ne veulent pas se voir sanctionnées. Remplir une telle obligation s’avère compliqué pour les marketplaces qui réunissent des milliers de vendeurs et il ne serait pas étonnant que d’autres géants du secteur se voient impactés. L’avocat Arnaud Touati avait d’ailleurs affirmé à ce sujet que « Si cette plateforme [Wish] est interdite aujourd’hui, demain ce sera Aliexpress ».
La France envoie ainsi un signal aux plateformes e-commerce qui, si elles ne veulent pas se voir déréférencées, doivent s’assurer de ne pas mettre en danger les consommateurs.
Louise Fouquet-Cristofini, Esther Pelosse, Lili Pourhashemi et Ninon Vandekerckhove
Sources :
Tribunal administratif de Paris, Ordonnance du 17 décembre 2021, n°2125366/2
Conseil d’Etat, Décision du 22 juillet 2022, n° 459960
Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-1016, QPC du 21 octobre 2022
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/dereferencement-du-site-wish-rejet-du-refere-suspension
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-07-22/459960