Appropriation artistique et copyright américain

A la différence du droit d’auteur tel qu’il est envisagé en France et plus largement en Europe, les Etats-Unis et les pays de common law mettent en avant dans leur législation la notion de copyright. Cette notion, que l’on pourrait traduire par « droit de copie », met ainsi l’accent non pas sur la personne de l’auteur mais plutôt sur celle de l’exploitant d’une œuvre. Le copyright américain est régi depuis 1976 par le Copyright Act, largement complété par la suite par la jurisprudence – le droit américain étant essentiellement un droit jurisprudentiel, on ne s’étonnera donc pas qu’aucune législation n’ait été plus récemment adoptée dans ce domaine, malgré l’apparition d’internet.

Tout en protégeant les droits des auteurs, le Copyright Act promeut également la liberté d’expression, en autorisant la réutilisation d’une œuvre existante, protégée par le copyright. Il esquisse en effet dans une section 107 la définition du fair use, de « l’usage loyal », « raisonnable » que peut faire un artiste d’une œuvre d’un autre artiste. Similaire à la liste des reproductions autorisées que l’on peut retrouver en droit français à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, cet « usage loyal » n’est cependant pas défini aussi précisément en droit américain. Il est ainsi caractérisé par quatre facteurs que le juge aura à examiner :

  • le but et les caractères de l’usage, en prenant en compte si cet usage a une visée commerciale, ou une visée éducative sans objectif de profit ;
  • la nature de l’œuvre protégée ;
  • la quantité ou le caractère substantiel de ce qui est repris par l’usage, au regard de l’œuvre protégée ;
  • l’effet de l’usage sur la valeur marchande de l’œuvre protégée (1).

En ce qui concerne les œuvres d’art, et plus particulièrement d’art plastique ou visuel, c’est le premier de ces facteurs qui a pris le plus d’importance. Si les artistes se sont toujours réappropriés à leur manière des œuvres déjà existantes, depuis la seconde moitié du XXe siècle cette tendance a pris une dimension nouvelle, avec une recrudescence de procès plus ou moins retentissants.

Différentes affaires ont ainsi permis à la jurisprudence américaine de définir de manière évolutive les contours de « l’usage loyal ».

 

La limitation de « l’usage loyal » à la parodie de l’œuvre reprise

 

Le juge a d’abord défini de manière assez restrictive les contours de « l’usage loyal », en semblant le cantonner à la reprise en vue de parodier ou de pasticher l’œuvre préexistante et protégée.

Dans un arrêt rendu le 2 avril 1992, Rogers v. Koons, a été jugée une affaire où le célèbre artiste Jeff Koons avait repris sans autorisation une photographie de Art Rogers représentant un couple avec des chiots dans les bras, en la réalisant à l’identique en sculpture. Dans sa défense, Koons invoquait notamment le fait que cette sculpture avait pour but de parodier la société dans son ensemble. Mais le juge n’a pas considéré qu’il s’agissait là d’un « usage loyal » de la photographie initiale, la reprise devant parodier l’œuvre protégée et non pas autre chose.

 

La mise en avant du caractère transformatif de l’œuvre

 

Par la suite, le juge a fait évoluer sa position en admettant bien plus largement « l’usage loyal » pouvant être fait d’une œuvre protégée par le copyright.

C’est d’abord un arrêt rendu en matière musicale qui a marqué cette évolution. Dans l’affaire Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc. du 7 mars 1994, la Cour suprême a caractérisé la notion « d’usage loyal » comme reposant sur le caractère « transformatif » de la nouvelle œuvre par rapport à l’œuvre protégée : par exemple en y apportant un sens ou un message nouveau, ou encore en y ajoutant des caractéristiques différentes.

Par la suite, un arrêt Blanch v. Koons du 25 octobre 2006, a cette fois donné raison à Jeff Koons, qui avait repris l’œuvre d’un artiste sans autorisation. Dans sa décision, la Cour a en effet relevé tous les éléments aussi bien plastiques que substantiels qui différenciaient la nouvelle œuvre – un collage de grandes dimensions réalisé pour une galerie d’art allemande – de l’œuvre initiale – une photographie de magazine de mode. La Cour a en outre souligné le caractère crucial du but et de la signification de la nouvelle œuvre, « complètement différents » de ceux de la photographie préexistante.

On peut ici remarquer que cette analyse du juge américain est tout à fait opposée à celle qui est réalisée en droit français, où l’on s’intéresse non pas aux différences mais aux similitudes entre deux œuvres pour caractériser une contrefaçon.

Enfin, un arrêt récent de 2013 opposant le photographe Patrick Cariou à l’artiste Richard Prince a poursuivi de manière spectaculaire cette expansion du domaine de « l’usage loyal ». En effet, malgré l’absence de signification ou de message nouveau des œuvres de Prince – absence attestée par l’artiste lui-même – la Cour a considéré que l’esthétique différente de ces œuvres par rapport aux œuvres initiales suffisait à en définir le caractère transformatif, et donc à caractériser le fair use.

Ainsi, l’évolution actuelle de la définition du caractère transformatif d’une œuvre d’art, par rapport à une œuvre existante qu’elle reprendrait, a une forte tendance à l’élargissement. Entre protection du droit d’auteur et liberté d’expression, le juge américain privilégie nettement cette dernière et consacre dès lors les pratiques des artistes contemporains en permettant la réappropriation artistique et « l’usage loyal » de manière extensive.

 

Raphaëlle NORDMANN

 

Analyse reprise à partir d’un article en anglais : https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-artists-appropriation-theft?utm_medium=email&utm_source=11736953-newsletter-editorial-daily-12-29-17&utm_campaign=editorial&utm_content=st-V

(1) https://www.copyright.gov/fair-use/more-info.html

 

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