La loi Avia: les libertés individuelles une nouvelle fois malmenées

Le discours haineux

Le discours haineux désigne un type de discours allant de propos méprisants et/ou hostiles à l’égard de groupes et d’individus à des incitations à des actes criminels. Raphael Cohen-Almagor le définit comme « un discours malveillant, motivé par des préjugés, visant une personne ou un groupe pour leurs caractéristiques innées réelles ou perçues. Il exprime des attitudes discriminatoires, intimidantes, désapprobatrices, antagonistes et/ou préjudiciables à l’égard de ces caractéristiques, notamment le sexe, la race, la religion, l’appartenance ethnique, la couleur, l’origine nationale, un handicap ou l’orientation sexuelle. Le discours de haine a pour but de blesser, déshumaniser, harceler, intimider, affaiblir, dégrader et victimiser les groupes ciblés, et de fomenter l’insensibilité et la brutalité vis-à-vis de ces derniers».1

Ces discours ne sont pas justes des mots dits ou écrits, ils peuvent avoir de réels impacts sur les personnes concernées. Suicide, lynchage, massacre, guerre, ou encore génocide. La plupart des discours prononcés par Adolf Hitler sont de purs exemples de discours haineux contre un groupe de personne qui ont conduit à un crime de masse, un génocide. François Jost voit dans ces discours la nouvelle lutte des classes, car la majorité des discours haineux visent les hommes politiques ou encore les médias. Cette analyse ne peut que nous faire penser à cette affaire où, à travers un photomontage publié sur Facebook, Mme Taubira, la garde des Sceaux de l’époque, avait été comparée à un singe.2

Mais les discours haineux ne sont pas réservés aux hommes politiques ou influents, chacun peut tenir ce genre de discours de vive voix, via des panneaux dans des manifestations ou encore via l’internet. Un simple message tel que « Tu ne mérites pas de vivre » sur le mur Facebook de notre ennemi est un discours de haine pouvant entrainer de graves conséquences. Après les attaques menées contre la mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande, les plateformes, essentiellement de médias sociaux, subissent de plus en plus de pressions des autorités internationales.  C’est à travers la plateforme Facebook que l’auteur de cet attentat a pu retransmettre la vidéo de l’attaque qui a été visionnée par des milliers d’internautes avant d’être supprimée.

L’ère numérique dominée par l’internet s’est avérée être un endroit propice et fertile pour l’émergence et l’expansion de ce type de discours.

 

La loi Avia, tenants et aboutissants

La France lutte contre les discours haineux depuis la loi sur la liberté de la presse de 1881, qui vient sanctionner ce genre de comportement.  Cette dernière permet aux personnes de se tourner vers le juge pour décider si oui ou non le contenu visé est illicite. D’ailleurs, la jurisprudence entourant ce contentieux vient affiner les conditions dans lesquelles le juges peut toucher à la liberté d’expression et condamner. Cette loi a été enrichie par la loi Pleven de 1972 3. En 2004, est créée la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Jusqu’au 12 mai 2020, le droit positif sanctionnait les comportements qui inciteraient « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », sur initiative du procureur de la République ou suite au dépôt d’une plainte. Le problème qui se pose n’est pas l’obsolescence ou l’inadaptation de cette loi à la répression des discours haineux, mais l’absence de responsabilisation des plateformes qui permettent la propagation, sous l’anonymat, de ces discours haineux. La loi de 1881, enrichie, permet aux personnes de se tourner vers le juge pour décider si oui ou non le contenu visé est illicite. D’ailleurs la jurisprudence entourant ce contentieux vient affiner les conditions dans lesquelles le juge peut toucher à la liberté d’expression et condamner.

Cette responsabilisation est l’un des objets principaux, si ce n’est le principal de la Loi Avia, loi visant à lutter contre la haine sur internet, qui vient d’être adoptée par l’Assemblée Nationale ce 13 mai 2020. Cette loi vise à rendre effectives à l’encontre des plateformes les décisions de justice, et à les amener, à coopérer, en mettant en œuvre  immédiatement des moyens de blocage et de suppression des messages haineux et racistes. Elle va ainsi obliger les opérateurs de plateforme en ligne ainsi que les moteurs de recherche à retirer dans un délai de 24h, après notification, des contenus manifestement illicites tels que les discours haineux. Ce délai se verra réduit à 1h pour les contenus terroristes ou pédopornographiques.

Cette notification, point de départ de la suppression devra contenir les éléments permettant d’identifier l’auteur, la catégorie à laquelle peut être rattaché le contenu litigieux, la description du contenu, les motifs du retrait, de l’inaccessibilité ou du déréférencement. Afin d’éviter des notifications non justifiées, la loi prévoit une sanction allant jusqu’à 1 an de prison et 15 000€ d’amende pour toute dénonciation abusive (Art. 1er).

La responsabilisation des plateformes s’opère au moment où la loi créée une sanction, prononcée par le CSA, à leur encontre en cas de non-respect de l’obligation de retrait. Il s’agit d’une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 1,25 million d’euros. Dans le cas où la suppression ne serait faite dans le délai légal, la sanction pourrait aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaire de la plateforme. De plus, elles devront créer un bouton unique pour permettre aux internautes de signaler facilement « les contenus manifestement illégaux » (Art.2). Ce bouton accessible à tous et facile d’utilisation permettra à tout le monde de signaler des contenus sur internet. Cette lutte se base sur la dénonciation anonyme.

Afin d’engager les poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs de discours haineux, un parquet spécialisé sera créé. Ces poursuites interviendront a posteriori de la censure.

 

L’absence du juge: une véritable atteinte à la liberté d’expression

Le juge est absent de cette loi. Ce constat est indéniable. Le pouvoir de censure est délégué à des organes privés et le plus souvent étrangers. Ils se voient doter du droit de décider à la place de notre justice, ils détiennent un pouvoir judiciaire. Les plateformes se voient dotées d’un pouvoir renforcé d’évaluation des infractions. Facebook, Instagram ou encore Youtube devront, après une notification, décider si le contenu est réellement illicite et s’il doit être supprimé, sous peine de sanction. Naturellement, dans le cas où le contenu soit disant illicite se trouve dans une zone que l’on pourrait appeler la zone grise car l’illicéité est difficile à trouver, les plateformes ne prendront pas de risque et supprimeront le contenu 4. Dans le cas d’un contenu dans la zone grise, ce dernier sera censuré au prétexte de la lutte contre la haine.

La loi Avia, venue faciliter la sanction et la lutte contre les discours haineux sur internet, semble mettre fin à notre ordre juridique, l’Etat sous-traite à des puissances financières privées le contrôle des opinions. Les GAFA pourront désormais déterminer qui aura le droit de parler, de quoi et comment il pourra en parler. Les décisions de ces plateformes ne tiendront pas compte du contexte, et de la nature des mots, elles sanctionneront pour leur sécurité. Prenons l’exemple de photos du mouvement des Gilets Jaunes, ces dernières pourraient être notifiées, par des anti-gilets jaunes, comme incitant à la haine aux plateformes. Ces dernières supprimeront les photos, textes, slogans atteignant ainsi la liberté de réunion.

Cette absence de juge conduira à la disparation de la jurisprudence en la matière. Chaque contenu suspect restera à la libre appréciation de la plateforme, sans tenir compte des cas similaires antérieurs.

 

L’avenir de cette loi

Cette loi, à peine votée, est déjà très largement critiquée par les défenseurs des libertés individuelles. Pleine de bonnes intentions pour la protection des citoyens français sur internet cette  loi a un véritable espoir de lutter contre la haine sur internet en plaçant chacun (utilisateur, plateforme, fournisseur d’accès à internet…) face à ses responsabilités.

L’avenir de cette loi est cependant incertain, puisqu’elle vise à réglementer une notion non juridique, la haine. La haine est humaine, naturelle et propre à chacun. La haine c’est l’autre, c’est ce qui est différent, le bain de culture que nous vivons aujourd’hui favorise cette haine. Chacun a le droit de montrer sa désapprobation à une idée, une coutume, c’est ce que l’on nomme il me semble la liberté d’expression. D’ailleurs la jurisprudence de la CEDH précise que « la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’est pas de société démocratique » 5.  Cette loi semble donc venir violer la jurisprudence de la CEDH dès lors que l’appréciation du caractère haineux sera effectué par une plateforme, peut être même par une intelligence artificielle.  Prenons un exemple simple, certains passages du Coran incitent les hommes à frapper leur femme si celle-ci désobéit. Nous avons là un véritable discours de haine, mais sur quelle justification pourrions-nous supprimer un passage du Coran d’internet, supprimer le noyau d’une culture. Aucune. La lutte contre la haine ne justifie pas de supprimer la culture de l’autre sous prétexte qu’elle nous choque.

Cette loi va venir combler cette impunité qui existe en matière de cyber-haine qui se traduit aujourd’hui par un faible nombre de plaintes déposées comparé au nombre de discours haineux circulant sur les réseaux. Elle aura le mérite de faciliter cette dénonciation, cette sanction, peut être même un peu trop. C’est ce que montre l’expérience Allemande. L’Allemagne a voté une loi similaire depuis 2017 (Loi NetzDG, 1er octobre 2017), avec des amendes pouvant atteindre jusqu’à 50 millions d’euros. Deux ans après la mise en place de cette loi, les allemands viennent à la conclusion que cette mesure choisit les sujets abordables ou non. La liberté d’expression semble muselée par cette loi. En adoptant une loi similaire, la France court, galope vers une finalité proche de celle de ses voisins.

Cette loi entrera en vigueur le 1er juillet, les effets devront apparaitre dès les premiers mois. Affaire à suivre…

Clothilde Jaclain

 

1 https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1916552

2 https://www.lepoint.fr/justice/taubira-comparee-a-un-singe-l-ex-candidate-fn-condamnee-a-3-000-euros-avec-sursis-28-09-2016-2071955_2386.php#

3 Loi n° 72-546 du 1 juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme

4https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/nouveau-monde/nouveau-monde-la-loi-avia-permettra-t-elle-de-freiner-la-haine-en-ligne-sans-instaurer-une-censure-sur-les-reseaux-sociaux_3940765.html

5CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c. France

 


 

Sources:

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02153771/file/discours-de-haine-sur-linternet.pdf

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b1785_proposition-loi

https://www.youtube.com/watch?v=cIJoKrQZaR8

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02153771/file/discours-de-haine-sur-linternet.pdf

MasterIPIT