« Balance ton porc », la tentative d’enregistrement à titre de marque

Le 13 octobre 2017, la journaliste Sandra Muller a lancé le hashtag « Balance ton porc », suite aux révélations d’harcèlement sexuel du New York Times le 5 octobre 2017 où, de nombreuses femmes ont accusé le producteur Américain Harvey Weintein. Ce hastag n’est composé que de seulement trois mots mais a une forte signification puisqu’il a pour objectif de dénoncer l’agression sexuelle et le harcèlement, plus particulièrement dans le milieu professionnel, dont sont victimes les femmes.

Celui-ci s’est largement diffusé sur les réseaux sociaux et de nombreuses femmes ont décidé de témoigner, de raconter leur histoire, de faire part du harcèlement dont elles sont régulièrement victimes. En effet, depuis son lancement, des milliers de tweets par jour, les plus alarmants les uns des autres reprennent celui-ci.

Depuis, le nombre de plaintes pour agressions sexuelles a augmenté de 31,5 %, l’égalité entre les femmes et les hommes est devenue la grande cause du quinquennat, des agressions sexuelles ont été dénoncées au sein du Mouvement des jeunes socialistes et de l’Unef, des parlementaires ont proposé de créer une infraction « d’outrage sexiste » et, une centaine d’actrices et de personnalités ont lancé un appel aux dons pour lutter contre les violations faites aux femmes.

Alors certes, le succès de ce hashtag a permis aux femmes de prendre la parole, de dénoncer et de se libérer des agressions sexuelles dont elles font l’objet. Néanmoins, son succès a aussi été perçu comme un moyen efficace de gagner de l’argent. En effet, le 3 novembre 2017, Héloïse Nahmani a décidé de déposer auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) comme marque verbale « Balance ton porc ».

Sandra Muller, la créatrice de ce hashtag a ainsi décidé d’agir par voie d’avocat pour bloquer l’enregistrement de cette marque.

Ainsi, nous pouvons nous demander quels sont les arguments pouvant être utilisés pour contrer l’enregistrement de la marque « Balance ton porc ».

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’au titre de l’article L. 711-1 alinéa 1er du Code de propriété intellectuelle (CPI), la marque est définie comme « La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. »

 

L’exigence de distinctivité :

Au titre de l’article L. 711-2 du CPI, pour déposer une marque, il est nécessaire que le signe soit distinctif.

Il existe deux types de distinctivité. D’une part, il existe la distinctivité intrinsèque selon laquelle, les consommateurs doivent percevoir immédiatement la marque comme une indication d’origine, comme un signe distinctif servant de point de ralliement à la clientèle. D’autre part, il existe la distinctivité extrinsèque selon laquelle, le signe doit être composé d’éléments arbitraires au regard des produits ou services que le signe a vocation à désigner.

La distinctivité n’est pas définie par le CPI. Néanmoins, celui-ci prévoit les signes qui ne répondent pas à cette condition. A ce titre, les marques nécessaires, génériques ou usuelles c’est-à-dire les marques dont tous les commerçants d’un secteur considéré ont besoin pour identifier leurs produits ou leurs services ne répondent à cette condition.

Depuis sa création, le hashtag « Balance ton porc » a été utilisé des millions de fois. Ainsi, il semble envisageable de rejeter l’enregistrement de la marque au motif que le signe n’est pas distinctif puisqu’il peut être perçu comme étant nécessaire, générique ou usuel.

Néanmoins, Héloïse Nahmani a agi intelligemment en ayant décidé de déposer la marque seulement trois semaines après le lancement de ce hashtag. En effet, l’appréciation de la distinctivité s’apprécie au jour du dépôt de la marque. De ce fait, celle-ci a moins de chance de se voir refuser l’enregistrement de la marque sur ce fondement.

Toujours est-il, qu’au cours des trois premières semaines de sa sortie, le hashtag « Balance ton porc » a été utilisé des millions de fois sur les réseaux sociaux et s’est ainsi encré dans l’esprit du public. Ainsi, n’est-il pas envisageable de rejeter l’enregistrement de la marque sur ce fondement ?

 

L’exigence d’absence de déceptivité :

Au titre de l’article L. 711-3 du CPI, il n’est pas possible de protéger une marque qui est, de nature à tromper le public. Ainsi, une marque susceptible de tromper le consommateur sur la nature des produits ou des services désignés, sur la qualité des produits ou des services désignés et sur la provenance géographique des produits ou des services désignés sont des marques déceptives insusceptibles de protection par le droit des marques.

Héloïse Nahmani a déclaré par ce dépôt vouloir « protéger l’esprit et la philosophie de Balance ton porc » ; déclaration assez surprenante lorsque l’on voit les produits et services qui y sont associés : des lessives, des lubrifiants, des vêtements, des sacs, des publicités, des activités sportives et culturelles…

De plus, l’association du signe « Balance ton porc » à de tels produits et services ne serait-elle pas susceptible de tromper le consommateur ? En effet, les consommateurs ne seraient-ils pas susceptibles de penser qu’il existe un lien entre le hashtag « Balance ton porc » et ces produits et services ?

 

L’exigence de licéité :

Au titre de l’article L. 711-3 du CPI, pour être valable, le signe doit être licite. Ainsi, la marque ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

L’ordre public est défini comme étant une notion qui « sert à caractériser certaines règles qui s’imposent avec une force particulière et par extension à désigner l’ensemble des règles qui présentent ce caractère »[1].

Les bonnes mœurs quand à elles, sont appréhendées comme un ensemble « de règles imposées dans une certaine morale sociale, reçue en un temps et en un lieu donné, qui, en parallèle avec l’ordre public, constitue une norme par référence à laquelle les comportements sont appréciés, et dont le contenu coutumier et évolutif, surtout relatif à la morale sexuelle, au respect de la personne humaine et aux gains immoraux, est principalement déterminé par le juge, oracle des mœurs »[2].

Le hashtag « Balance ton porc » dénonce les agressions sexuelles dont font l’objet les femmes ; sujet particulièrement sensible. Ainsi, ne serait-il pas contraire aux bonnes mœurs, ne serait-il pas immoral que d’utiliser une réalité aussi abjecte pour en faire un usage commercial ?

Par conséquent à première vue, aux vues des conditions de validité d’une marque exigées par le CPI, il semble que « Balance ton porc » ne puisse être enregistré à titre de marque.

Les doutes quant à l’éventualité de l’enregistrement de cette marque semblent d’ailleurs se confirmer avec la décision prise par l’INPI lors d’une affaire récente.

 

Une affaire similaire, la tentative d’enregistrement de « Je suis Charlie » à titre de marque :

Le 7 janvier 2015 au siège de « Charlie Hebdo », deux hommes armés ont abattu douze personnes et en ont blessés onze. A la suite de ce tragique événement, un fort sentiment de solidarité s’est développé en France et le célèbre slogan « Je suis Charlie » est apparu.

Le hashtag « Je suis Charlie » a été relayé plus de six millions de fois entre le 7 et le 12 janvier sur Twitter[3]. Ce succès a suscité l’intérêt de nombreuses personnes et c’est ainsi que, le 13 janvier 2015, le signe « Je suis Charlie » fut l’objet de cinquante dépôts auprès l’INPI en vue d’obtenir l’enregistrement de cette marque.

Nonobstant, l’INPI a refusé l’enregistrement de cette marque aux motifs que :

  • le signe n’était pas distinctif puisque celui-ci avait été utilisé largement par une grande partie du public ; public qui ne pouvait ainsi le percevoir comme une marque,
  • le signe était déceptif puisque du fait de ces différents dépôts, le public aurai pu être amené à penser qu’il existait un lien entre les produits marqués et un quelconque mouvement qui aurait vocation à apporter un soutien financier au journal,
  • le signe était illicite puisque vouloir faire un usage commercial d’un signe reflétant un attentat qui a tué et détruit de nombreux individus est totalement immoral.

 

Que peut-on en déduire ?

Il semble que l’INPI ne puisse décider d’enregistrer la marque « Balance ton porc ». En effet, l’exigence de distinctivité, l’exigence d’absence de déceptivité et l’exigence de licéité ne semblent pouvoir être atteintes.

Cela se confirme lorsque l’on compare cette affaire avec l’affaire « Je suis Charlie » qui sont similaires.

Néanmoins, il ne s’agit que de suppositions. A présent, reste à attendre la décision de l’INPI. Affaire à suivre…

 

[1] Vocabulaire juridique, Gérard Cornu

[2] Vocabulaire juridique, Gérard Cornu

[3] #JeSuisCharlie : la force de frappe des hashtags, Le Figaro, 15 janvier 2015

Sarah Meunier

Sources :

  • « Ce n’est pas une question d’ego » : comment la créatrice de #balancetonporc se bat pour conserver la marque, Franceinfo, 2018
  • Twitter
  • Vocabulaire juridique, Gérard Cornu
  • Code de la Propriété Intellectuelle
  • #JeSuisCharlie : la force de frappe des hashtags, Le Figaro, 15 janvier 2015
  • Y. Basire, « Je suis Charlie » : la tentative de récupération d’un « symbole » par le droit des marques, Prop. Indus. mars 2015, étude 5

 

 

MasterIPIT