Bonsoir, les brèves de cette semaine par le Collectif sont désormais disponibles. Très bonne lecture et à la semaine prochaine pour de nouvelles brèves juridiques !
L’utilisation d’une nouvelle application de lutte contre la contrefaçon par les gendarmes
Source : La Voix du Nord
En 2021, les douanes françaises ont saisi 9,1 millions d’articles contrefaits. Pour lutter contre ce « poison sous-estimé » qui « finance des réseaux mafieux » (selon une proposition de loi de novembre 2021), il importe de prendre des mesures pour faciliter la saisie de ces objets et la répression de leurs fournisseurs et acheteurs.
En effet, il est difficile au premier abord de constater une contrefaçon, tant celle-ci peut être élaborée et fidèle au produit imité. Les détails sont souvent invisibles à l’œil nu et permettent à d’éventuels contrefacteurs d’échapper à des poursuites judiciaires. Ces articles sont souvent des biens de consommation et plus seulement des produits de luxe, ce qui rend la contrefaçon d’autant plus dangereuse qu’elle peut intégrer plus facilement notre quotidien et impacter directement la santé des consommateurs et l’économie des entreprises.
Ainsi, depuis mars 2021, les gendarmes des Yvelines expérimentent l‘utilisation d’une application qui leur permet de détecter immédiatement les produits contrefaits.
Cette application fonctionne grâce à un fonds documentaire illustré et mis à jour grâce à la participation d’une cinquantaine de marques partenaires. Lors d’un contrôle, un mail est généré par le gendarme auquel il joint des photographies des produits litigieux pour vérifier leur authenticité. Un responsable de la marque concernée est ensuite chargé d’authentifier ceux-ci dans un délai de cinq à quinze minutes. Cette identification directe a ses avantages : elle évite des allers-retours à la gendarmerie, des saisies et des interpellations finalement inutiles, ainsi que des délais de réponse trop longs des marques qui étaient incompatibles avec les contraintes d’une garde à vue. Aussi, en cas de produit contrefait, les gendarmes peuvent directement se rendre au domicile du contrefacteur présumé pour perquisitionner les lieux et saisir des stocks plus conséquents.
Selon les gendarmes utilisateurs, l’application a déjà permis de saisir 2 700 cartouches de cigarettes transportées de Pologne à Nantes dans un camion, lors d’un contrôle à un péage, ainsi qu’une soixantaine de vêtements contrefaits, ce qui a permis d’ouvrir une enquête de flagrance avec éventuellement une sanction pénale plus élevée.
Quelques doutes peuvent cependant être émis quant à l’utilisation de cette application. Pour l’instant, son influence est limitée car seulement une cinquantaine de marques ont accepté d’y contribuer, ce qui laisse un vide concernant les produits d’autres marques qui continuent d’être soumis au contrôle fastidieux des gendarmes. Ensuite, l’authentification des produits se fait grâce à une simple photographie, ce qui peut paraître relativement incertain, et donc source d’insécurité.
L’application Gendlucse (Gendarmerie et Lutte contre la contrefaçon et pour la sécurité économique) développée pour l’instant dans les Yvelines a donc vocation à s’étendre sur tout le territoire français dans une version améliorée.
Aubérie GASC
Sources :
Le jeu SUTOM, adaptation en ligne de MOTUS, victime de son succès
Source : sutom.nocle.fr
L’article 713-2 du Code de Propriété intellectuelle prévoit un monopole d’exploitation pour le titulaire d’une marque. Ce dernier peut interdire la reproduction, l’imitation ou l’utilisation de sa marque par des tiers. Les conditions de la contrefaçon d’une marque sont alors : l’utilisation dans la vie des affaires, l’absence de consentement du titulaire de la marque, l’utilisation pour les produits et services identiques à ceux de la marque et l’atteinte à une des fonctions de la marque.
France télévision est titulaire de la marque verbale MOTUS déposée en 1991 et visant les produits et services tels que « jeux de société ; jeux de découverte de mots ; d’émissions et de jeux télévisés ou en rapport avec ceux-ci » etc. MOTUS étant un jeu télévisé où des candidats cherchent des mots d’un nombre fixé de lettre dans une grille qui donne des indices sur les lettres déjà trouvées ou présentes dans le mot mais dont la position n’est pas la bonne.
Cependant, depuis quelques mois, on a vu fleurir un certain nombre de « Motus-like » sur internet sous la forme de mot quotidien qui reprend les règles de ce jeu mais également la charte graphique, les couleurs ou encore les sons. L’un d’entre eux, SUTOM, a été épinglé par France télévision qui a demandé au propriétaire du site de cesser l’utilisation du nom SUTOM qui est le nom de l’émission à l’envers. Le propriétaire avait pendant un temps décrété fermer le site qu’il avait ouvert bénévolement. Le titulaire de la marque a ainsi demandé de ne plus appeler le jeu SUTOM, trop semblable au nom de la marque. En effet, d’autres jeux similaires tels que ZUTOM ou TUSMO n’ont pas reçu une telle demande.
La grande popularité de ce mini-jeu quotidien a poussé les internautes à partager l’information et à interpeller France télévision pour faire machine arrière. Ce qu’ils ont fait le 24 mars dernier car les différentes parties sont entrées en contact et ont « trouver un accord ». Il est donc toujours possible de jouer à SUTOM pour le « mot du jour » qui ravit environ 275 000 utilisateurs par jour !
En dépit de cette fin heureuse, on peut néanmoins se demander si France télévision était en son bon droit de demander l’arrêt de l’utilisation de leur marque. En effet, la condition de l’usage dans la vie des affaires semble faire défaut, car le propriétaire du site l’a programmé bénévolement et avait publié le code source en public démontrant l’absence de but commercial de la démarche. Il a d’ailleurs envisagé de fermer le site parce que le renommer ou engager un avocat aurait été trop coûteux. Cela fait nécessairement penser à l’affaire « Plus belle la vie » du TGI de Marseille du 28 novembre 2013 où la société productrice de l’émission avait agi en contrefaçon contre une téléspectatrice qui avait réalisé une page Facebook dédiée à cette série. Le TGI avait alors refusé en raison de l’absence d’utilisation dans la vie des affaires, car il n’y avait pas de but d’échanger des actes commerciaux.
Alice BERKATE
Article 713-2, Code de propriété intellectuelle, Commentaire par J. Groffe-Charier
https://data.inpi.fr/marques/FR1707679?q=MOTUS#FR1707679
https://twitter.com/Jonamaths/status/1506899535947345921
Gaston Lagaffe est de retour : hommage ou plagiat ?
Ce 17 mars 2022, lors du dernier festival de la bande dessinée d’Angoulême, la maison d’édition Dupuis a annoncé le retour de Gaston Lagaffe. Ce personnage a été créé il y a soixante-cinq ans par André Franquin (1924-1997). Et ce dernier ne souhaitait pas le voir survivre à sa disparition. Il considérait qu’un lien très fort unissait le dessinateur à son héros, et que le dessin exprimait la personnalité intrinsèque, l’âme de son créateur. Il ne comprenait donc pas qu’un autre puisse s’approprier son style.
Lors d’une rencontre avec Yves Chaland, il avait exprimé une réelle stupéfaction devant son travail qui s’inspirait autant du sien : « je ne comprends pas, comment un dessinateur qui a un tel talent s’encombre d’un vieux style dont je me suis débarrassé depuis vingt ans ! ».
Les éditions Dupuis, propriétaires depuis 2013 de Gaston Lagaffe, ont souhaité lui donner une seconde carrière éditoriale. C’est ainsi que l’hebdomadaire Spirou du 6 avril contient en dernière page une planche de la patte de Marc Delafontaine, alias Delaf. Le magazine a également promis « une gaffe par semaine » sur sa une. En 2013, le canadien avait déjà réalisé un gag de Gaston dans un ouvrage d’hommages collectif, et tous avaient été épatés par sa maîtrise du style Franquin, et avaient rêvé du retour du héros.
Dupuis a également annoncé la sortie d’un nouvel album le 19 octobre prochain.
Toutefois, la fille d’André Franquin, Isabelle Franquin, a décidé de saisir la justice belge afin de s’opposer à cette prochaine publication. Détentrice du droit moral associé à son œuvre, elle estime « illégale » cette renaissance.
Elle rappelle que son père « a toujours exprimé de son vivant, de manière continue et répétée, sa volonté que Gaston ne lui survive pas sous le crayon d’un autre dessinateur » et juge donc que les planches réalisées par Delaf relèvent du plagiat.
La Maison Dupuis a déclaré que la planche de l’hebdomadaire Spirou avait été « imprimé très en avance » et ne pouvait donc être supprimée de la version papier, mais que, « par souci d’apaisement, [ils ont] pris l’initiative de suspendre la suite de la prépublication en attendant la décision judiciaire ». Le directeur éditorial, Stéphane Beaujean, interviewé par l’AFP, a par ailleurs rappelé que « les droits du personnage appartiennent à Dupuis, en vertu d’un contrat dont les clauses spécifient bien qu’une reprise est possible ».
Pour l’avocat de Dupuis, Alain Berenboom, « le principe même de faire un nouvel album n’est pas contraire au droit moral ». En effet, il rappelle que Franquin a cédé ses droits sur Gaston en signant une clause prévoyant l’éventualité de relancer la série avec un autre auteur. Dupuis ajoute également que ce nouveau Gaston Lagaffe est « tout à fait respectueux de l’œuvre d’André Franquin », reprenant fidèlement le graphisme et l’esprit du héros d’André Franquin.
Il s’agit donc de trouver un juste équilibre entre droits patrimoniaux et droits moraux. Dans les années 1990, André Franquin avait cédé ses droits patrimoniaux à la société Marsu Productions qui les avait revendus à son tour aux éditions Dupuis en 2013.
L’auteur a toujours exprimé sa volonté de voir son héros s’éteindre avec lui. En 1986, il avait même déclaré : « après ma mort, tout le monde oubliera ces séries. J’espère que l’on ne verra jamais un Tintin sans Hergé, mais je voudrais beaucoup, si demain je me fais écraser par un autobus, que l’on ne reprenne pas Gaston. Seulement, les dernières volontés, tout ça, c’est très gentil, mais une fois qu’un gars est mort, c’est fini, on s’en fout ». La Maison Dupuis a cependant précisé qu’il avait « [nuancé] oralement » ses propos.
Cependant, à travers son droit moral, l’auteur a un droit au respect de son œuvre. Et c’est justement ce fondement que l’héritière invoque, en rappelant le refus de son père de voir Gaston repris par un autre.
1,2 million d’exemplaires de ce nouvel album sont attendus. Il ne reste plus qu’à attendre le 16 mai afin de connaître la décision de la justice belge.
Loriane LAVILLE
Sources :
https://www.actuabd.com/La-reprise-de-Gaston-Lagaffe-imitation-hommage-ou-plagiat
Le cloud assujetti à la redevance pour copie privée : arrêt du 24 mars 2022 de la CJUE
La directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information a prévu 21 exceptions au droit d’auteur. Les États membres ont transposé les exceptions de leur choix. Et parmi celle-ci, il y a l’exception pour copie privée qui prévoit que lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire d’une part, les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille, et d’autre part les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste. En droit français cette exception est prévue dans la liste limitative de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle. Concrètement, la rémunération est perçue par les fabricants et importateurs de supports, mais ces derniers répercutent le montant de cette rémunération sur les acheteurs, qui sont les payeurs en dernier ressort de cette rémunération des copies privées.
Jusqu’à lors, les fournisseurs de stockage en ligne (cloud) et les fabricants de disque dur intégré dans les ordinateurs échappaient à la redevance. Mais, il semble que pour le premier d’entre eux ce ne soit plus qu’une question de temps avant d’y être assujetti.
La CJUE dans un arrêt du 24 mars 2022 a énoncé que l’exception dite de « copie privée » au titre de la directive sur le droit d’auteur s’applique au stockage en ligne d’une copie à des fins privées d’une œuvre protégée. Par conséquent, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable, mais qui ne doit pas nécessairement être imposée aux fournisseurs de cloud.
Que s’est-il passé ?
L’affaire opposait la Sacem autrichienne (Austro-Mechana) à la société Strato AG (un prestataire de cloud) et la CJUE a fini par devoir trancher si le stockage dans le cloud est un support qui doit être assujetti à la redevance de copie privée.
En l’espèce, Austro-Mechana avait saisi le tribunal de commerce de Vienne d’une demande de paiement de cette rémunération à l’encontre de la société Strato AG, un fournisseur de service de stockage en ligne. Or, le tribunal a rejeté la demande, au motif que la société Strato AG ne cède pas de supports d’enregistrement à ses clients, mais leur fournit un service de stockage en ligne. Suite à un appel, le tribunal régional supérieur de Vienne a demandé à la Cour de Justice si le stockage de contenus dans le cadre de l’informatique en nuage relève de l’exception de copie privée prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.
La Cour de Justice estime que l’exception de copie privée s’applique aux copies d’œuvres sur un serveur dans un espace de stockage mis à la disposition d’un utilisateur par le fournisseur d’un service d’informatique en nuage. Cependant, les États membres n’ont pas l’obligation d’assujettir les fournisseurs de services de stockage en nuage au paiement d’une compensation équitable au titre de cette exception, pour autant que le versement d’une compensation équitable au bénéfice des titulaires de droits soit prévu d’une autre manière.
Quelle conséquence à l’avenir ?
La Cour s’est prononcée sur l’applicabilité de cette exception aux copies d’œuvres sur un stockage en ligne de type « nuage », et a clairement indiqué que la réalisation d’une copie de sauvegarde d’une œuvre dans un espace de stockage dans le nuage constitue une reproduction de cette œuvre. Cette précision semble bienvenue, car l’emploi de « tout support » dans la directive doit s’entendre de l’ensemble des supports sur lesquels une œuvre protégée peut être reproduite. Aussi, le recours à des serveurs pour stocker des informations en nuage doit être inclus dans le champ des dispositions.
Par cet arrêt, la Cour de justice s’est assurée que la directive ne devienne pas obsolète en raison de l’évolution de la technologie, parce qu’« il n’y a pas lieu, d’un point de vue fonctionnel, de distinguer, […], selon que la reproduction d’une œuvre protégée est effectuée sur un serveur dans lequel un espace de stockage est mis à la disposition d’un utilisateur par le fournisseur d’un service d’informatique en nuage ou qu’une telle reproduction est effectuée sur un support d’enregistrement physique appartenant à cet utilisateur ».
À propos de l’assujettissement des fournisseurs de services de stockage en nuage au paiement d’une compensation équitable, la Cour de Justice considère que celui-ci relève de la marge d’appréciation reconnue au législateur national pour circonscrire les différents éléments du système de compensation équitable.
Pour l’heure, il est désormais certain que l’exception copie privée couvre aussi le cloud. Dès lors, les titulaires de droit doivent être indemnisés au titre de la redevance copie privée qu’ils perçoivent. Bien que la mise en œuvre de la méthode de calcul de l’indemnité reste encore flou, l’arrêt de la CJUE peut être vu comme une victoire pour les SACEM européennes, notamment française, qui militent pour l’assujettissement des acteurs du cloud à la redevance copie privée depuis de nombreuses années. Toutefois, pour les acteurs du numérique c’est encore un coup dur, peu de temps après que le législateur français ait étendu la redevance aux appareils reconditionnés en novembre 2021.
Anthony THOREL
Sources :
https://www.droit-technologie.org/actualites/le-cloud-beneficie-de-lexception-pour-copie-privee/
https://www.nextinpact.com/article/68735/le-cloud-tombe-dans-giron-redevance-copie-privee