Brèves du 16 au 22 mars

Bonjour à tous,

Malgré le contexte actuel, la promotion reste mobilisée et vous propose les brèves suivantes:

 

Juridiction Unifiée du Brevet : Censure de l’acte de ratification par le Tribunal Constitutionnel Fédéral allemand.

Le 13 février 2020, le Tribunal Constitutionnel Fédéral Allemand, autorité responsable du contrôle de constitutionnalité, a rendu un arrêt disposant de la nullité de la loi de ratification de l’accord relatif à la Juridiction Unifiée du Brevet.

Cet accord datant du 19 février 2013 est, avec les deux règlements du 17 Décembre 2012 (n°1257/2012 et n°1260/2012), une composante essentielle à la mise en place du Brevet Unitaire Européen. Ce dernier permettra notamment l’obtention d’un titre unique de brevet, dont les prérogatives dépendront du droit d’origine du déposant, permettant une protection uniforme dans les États européens signataires.

En l’espèce, la loi de ratification de l’accord fut adoptée à l’unanimité par le Bundestag, mais uniquement en présence de 35 membres. L’accord relatif à la Juridiction Unifiée du Brevet confiant la compétence exclusive de certains litiges à une cour internationale, il est considéré comme amendant la loi fondamentale de la république fédérale allemande. De ce fait, et de par ses liens étroits avec l’Union Européenne, il doit être ratifié par une loi approuvée par au moins deux tiers du Bundestag. Ainsi, le tribunal fédéral a jugé la loi en cause comme anticonstitutionnelle, la rendant ainsi nulle.

Cette décision est un nouveau revers pour la mise en place du système du brevet unitaire, qui nécessite l’entrée en vigueur de l’accord relatif à la Juridiction Unitaire du Brevet. Cet accord doit être ratifié dans au moins 13 Etats, dont les 3 plus grands déposants de brevets européens de l’année précédant la signature de l’accord, à savoir la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Le brevet unitaire est attendu pour la fin de 2020 ; on peut cependant se demander si ce dernier connaitra encore du retard suite à cet énième contretemps.

Sources :

 

La « Bibliothèque libre », un lieu pixélisé dédié à la liberté de la presse

C’est à l’occasion de la journée mondiale contre la censure sur Internet, célébrée tous les 12 mars depuis sa fondation en 2008 par Reporters sans frontières, que cet organisme décide de sensibiliser le public sur l’importance de la liberté de la presse via l’inauguration d’une bibliothèque d’un nouveau genre. Il s’agit d’une bibliothèque virtuelle qui héberge des textes censurés dans plusieurs pays. Inutile ainsi de posséder une carte d’abonné ou de se déplacer, une simple connexion Internet suffit pour y accéder. Car c’est bien dans le monde virtuel du jeu vidéo Minecraft que Reporters sans frontières a bâti ce refuge dédié à la liberté de la presse.

La grande bâtisse de 12,5 millions de blocs au style architectural néoclassique, souvent utilisé pour les édifices publics comme les musées et les bibliothèques, a nécessité 3 mois de construction, soit plus de 250 heures de travail de la part de 24 joueurs issus de 16 pays différents.

L’utilisation de Minecraft comme support n’est pas anodine. Vieux de plus de 10 ans, c’est l’un des jeux les plus populaires du monde, qui rassemble aujourd’hui près de 145 millions de joueurs mensuels. D’ailleurs, au fil des années, le jeu a été adapté sur presque tous les supports existants : smartphones, ordinateurs, et toutes les consoles actuelles, entre autres… Ce qui permet à la bibliothèque de Reporters sans frontières d’être accessible par de diverses méthodes.

De plus, le but étant de rendre accessibles à la population des textes ou des articles d’auteur qui ne peuvent s’exprimer librement dans leur pays, l’utilisation de Minecraft repose un paradoxe intéressant : d’un côté, la parole est plus ou moins censurée dans certains pays, mais, de l’autre, le jeu de construction Minecraft y reste accessible. Ainsi, les joueurs du monde entier pourront accéder aux écrits des journalistes « interdits, emprisonnés, exilés, voire tués » issus de cinq pays, à savoir l’Égypte, le Mexique, l’Arabie saoudite, la Russie et le Vietnam.  On y retrouve notamment les textes du blogueur vietnamien Nguyen Van Dai, condamné à 15 ans de prison dans son pays pour « activités visant à renverser l’administration populaire » et libéré depuis, et ceux du journaliste Jamal Khashoggi, assassiné en 2018 au consulat saoudien d’Istanbul. Cette initiative permettra aux joueurs, grandissant dans un environnement où ils n’ont pas accès à un presse libre et où leurs opinions sont manipulées par leur gouvernement, d’accéder à une information indépendante.

Ce projet monstrueux est expliqué en détails sur un site Internet dédié : uncensoredlibrary.com.

Si l’initiative est louable, on peut penser que cela ne va pas régler le problème de censure en ligne, car il se pourrait que certains de ces pays bloquent le jeu vidéo en lui-même. De plus, quelques joueurs ajoutent que ce projet n’est qu’un « battage médiatique », car il y aurait très peu de contenus réels, 5 à 8 articles environ et un index des pays par degré de liberté civile. Affaire à suivre.

Sources:

 

USA : un revirement de jurisprudence important en faveur de la liberté de création face aux droits d’auteur

La Cour d’appel fédérale de San Francisco a rendu son verdict le 9 mars 2020 : le célèbre morceau Stairway to Heavende Led Zeppelin n’est pas une contrefaçon !

L’affaire a commencé en 2014 lorsqu’un ayant-droit du guitariste du groupe Spirit avait allégué que la succession de notes introductives de Stairway to Heaven (1971) plagiait celle de la chanson Taurus (1968) du groupe Spirit et réclamait jusqu’à 13 millions de dollars de droit d’auteur.

Un jugement de premier instance a été rendu en 2016 déboutant le demandeur au motif qu’il n’avait pas apporté la preuve de similitudes intrinsèques suffisantes entre les deux morceaux pour caractériser la contrefaçon. Ce jugement a été annulé en 2018 en appel pour raison procédurale, le groupe Led Zeppelin a donc demandé la révision de ce jugement.

A l’occasion de cette affaire, la Cour d’appel de San Francisco a opéré un revirement de jurisprudence particulièrement important pour l’industrie musicale. En effet, elle est revenue sur « la règle du ratio inverse » appliquée depuis 43 ans, sur laquelle les Cours d’appel fédérales sont actuellement divisées, une majorité d’entre elles ayant d’ores et déjà abandonné cette règle.

La règle du ratio inverse avait pour but de faciliter l’appréciation et surtout la preuve de similarités substantiels entre deux oeuvres, nécessaire pour caractériser la contrefaçon, en réduisant la charge de la preuve de la similarité si le titulaire des droits d’auteur pouvait prouver la facilité d’accès du public à l’oeuvre première. Plus celle-ci est facilement accessible, moins il était nécessaire de prouver des similarités substantielles avec l’oeuvre litigieuse pour obtenir une condamnation pour contrefaçon.

Cette règle a été appliqué de manière assez confuse au point de soulever de bon nombre de critiques notamment à l’occasion de l’affaire Blurred Lines de 2013 qui avait ouvert la voie à de nombreuses actions en contrefaçon pour des morceaux qui n’étaient pas objectivement similaires ni en harmonie, ni en rythme. Par ailleurs, la Cour d’appel de San Francisco souligne que cette règle est dépassée à l’ère du numérique, l’accès aux oeuvres est aujourd’hui extrêmement simple, cette règle avantagerait bien trop ceux dont les créations sont les plus accessibles.

Selon l’avocat de l’ayant-droit du groupe Spirit, ce revirement de jurisprudence serait une grande perte pour les créateurs que le droit d’auteur a vocation à protéger. Il est donc possible qu’un pourvoi soit déposé auprès de la Cour suprême des Etats-Unis, ce qui aurait le mérite de trancher la question.

La Cour d’appel ne s’est donc basée que sur l’appréciation des similarités entre les deux oeuvres pour déterminer si il y avait ou non contrefaçon. Elle a considéré que la succession de quatre notes formant une descente harmonique ne constitue pas en elle-même une oeuvre protégeable au sens du droit d’auteur américain, ainsi disposant que Stairway to Heaven n’est pas une contrefaçon de Taurus.

Sources :

 

La Cour de cassation revient sur sa position et s’aligne sur la notion européenne de débiteur de la rémunération pour copie privée

Dans l’ordre juridique français, les droits de propriété intellectuelle font l’objet de plusieurs exceptions légales. Parmi celles-ci, le législateur a mis en place une rémunération pour copie privée. Celle-ci opère une balance entre les intérêts en cause. D’un côté, il est apparu nécessaire au législateur de 1992 de permettre aux individus d’effectuer des copies sur des supports d’enregistrement d’œuvres qu’ils auraient obtenus licitement avec l’intention d’en faire un usage strictement privé. En contrepartie, l’article L.311-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit que le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intercommunautaires doit verser une rémunération à la société Copie France qui s’occupera de la redistribution aux ayants-droits.

Si l’intention est louable, un problème est apparu le 27 novembre 2008 à l’occasion d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation[1]. Dans cet arrêt les juges énoncent qu’à défaut de recouvrir une des trois qualités citées par l’article précité, le cybercommerçant étranger n’est pas assujetti au paiement de la redevance. Dans cette hypothèse ce serait donc au client final en tant qu’importateur de payer la redevance. Pour éviter de faire peser cette charge sur le particulier, la Cour avait condamné le fournisseur en concurrence déloyale en énonçant qu’il aurait dû mettre au courant le client de son « impérieuse obligation » de payer la redevance.

Cette conception des débiteurs de la rémunération n’est pas conforme à celle envisagée par la CJUE dans sa jurisprudence constante. Cette-dernière a précisé, dès 2011 dans l’arrêt Stichting[2], que le cybercommerçant étranger établit dans un État membre différent de celui de l’acheteur et qui agirait à titre de commerçant serait soumis à l’obligation de s’acquitter de la rémunération pour copie privée. En effet selon elle il appartient « à la juridiction nationale, en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la compensation équitable auprès des acheteurs, d’interpréter le droit national afin de permettre la perception de cette compensation auprès d’un débiteur agissant en qualité de commerçant ».

Le litige opposant Copie France à Only Keys (société luxembourgeoise de fourniture de matériel de reproduction) s’inscrit dans cette hypothèse. Dans cette affaire la société Copie France va assigner la société Only Keys en paiement de la redevance devant les juridictions françaises. En 2018, la cour d’appel de Paris va condamner la société Only Keys au paiement de la redevance[3], il fallait alors attendre la décision de la Cour de cassation afin de savoir si la jurisprudence française allait s’aligner sur la jurisprudence européenne. Par un arrêt rendu le 5 février 2020, la Cour vient confirmer l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Elle va ainsi abandonner son interprétation ad litteram de l’article L.311-4 précité et reprendre les termes de l’arrêt Stichting en énonçant que « lorsqu’un utilisateur résidant en France fait l’acquisition, auprès d’un vendeur professionnel établi dans un autre État membre de l’Union européenne, d’un support d’enregistrement permettant la reproduction à titre privé d’une œuvre protégée, et en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la rémunération pour copie privée auprès de cet utilisateur, l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle doit être interprété en ce sens que cette rémunération est due par le vendeur qui a contribué à l’importation dudit support en le mettant à la disposition de l’utilisateur final ».

[1] Civ. 1re, 27 nov. 2008, n° 07-15.066

[2] CJUE 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie, aff. C-462/09

[3] Paris, 13 avr. 2018, n° 17/02576, RTD com. 2018. 341

 

Le SMS du gouvernement envoyé ce 16 mars était-il légal ?

Au lendemain de l’allocution du président de la République, des millions de français ont reçu un sms leur rappelant les consignes à respecter afin de freiner la propagation du Covid-19. La réception de ce message, adressé par le gouvernement, a soulevé certaines interrogations de la part des particuliers au regard de la protection de leurs données personnelles.

Bien que ce message soit signé gouvernement.fr cela ne signifie pas que le gouvernement dispose de votre numéro de téléphone. En effet, le gouvernement a simplement demandé aux opérateurs français, comme le prévoit la loi en cas de « dangers imminents » ou « catastrophes majeures » de faire parvenir le sms à tous ses clients. C’est la première fois qu’un tel mécanisme est mis en place.

Un tel mécanisme est permis par l’article L 33-1 du code des postes et des télécommunications et aucun numéro de téléphone n’a donc été transmis au gouvernement : celui-ci s’est contenté de transmettre un message aux opérateurs, qui se sont chargés, avec leurs propres bases de données, de l’acheminer vers les particuliers.

C’est alors un mécanisme conforme au droit européen car le règlement général sur la protection des données (RGPD) permet l’utilisation de données personnelles sans consentement des personnes, notamment dans le cadre d’une obligation légale, de missions d’intérêt public ou pour la sauvegarde des intérêts vitaux des personnes. L’envoi des messages nécessaires à l’objectif prévu par l’article L. 33-1 du code des postes et communications électroniques, dans le contexte de lutte contre la propagation du coronavirus (COVID-19), s’inscrit clairement dans ce cadre.

Sources :

 

Merci à Marine Gentil, Clothilde Pautonnier, Thomas Ascione mais également à nos deux membres du collectif Antoine Rodier et Maxime Andrieu, pour l’écriture des brèves hebdomadaires.

Prenez soin de vous !

MasterIPIT