Bonsoir à toutes et tous !
Les brèves du 3 au 10 novembre 2025 sont disponibles.
Cette semaine :
🧴Quand les crèmes bienveillantes se livrent bataille en justice : la Cour d’appel de Paris tranche sur la concurrence déloyale entre deux marques aux packagings (trop ?) similaires.
📱Le parquet de Paris ouvre une enquête sur les enregistrements secrets de l’assistant vocal d’Apple entre vie privée et technologie intrusive.
🎨 La publication de la correspondance érotique du peintre ravive le débat entre respect de la volonté de l’auteur et liberté éditoriale.
🎸 Le célèbre rockeur poursuivi par la marque de luxe pour usage illicite du nom « Chrome Hearts » la frontière entre art et commerce s’efface.
📚 La justice ordonne la fermeture du site illégal de mangas traduits une décision clé sur la responsabilité des fournisseurs d’accès et la lutte contre le piratage.
Bonne lecture,
Le Collectif!
La Rosée vs Caudalie: la guerre de sticks solaires:

En entrant dans une parapharmacie, qui pourrait se douter des rivalités entre les différentes marques de cosmétologie, pourtant promotrices de bienveillance, d’amour de soi et des autres.
Le litige entre la Rosée et Caudalie tranche avec leurs promotions florales et pastel respectives. Derrière les packagings se livrent des guerres pour protéger l’identité des marques, et éviter toute confusion chez le consommateur.
En l’espèce, deux sticks solaires pour le visage, aux couleurs jaunes, protecteurs contre les UV de type A, comportant des inscriptions sensiblement similaires.
La Rosée accusait Caudalie d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme. La Rosée a dans un premier temps soumis au président du tribunal de commerce de Paris deux requêtes au visa des dispositions de l’article 145 CPC, aux fins de mesure in futurum, c’est-à-dire de récolte de preuves sans jugement judiciaire préalable. Ces deux requêtes ont été acceptées par ordonnance.
Très rapidement, Caudalie a fait assigner son opposant devant ledit tribunal aux fins de voir rétracter les ordonnances, et de maintenir sous séquestre les éléments saisis.
Après une assignation par La Rosée de sa concurrente, une première décision est rendue par le juge des référés. Ce dernier a débouté La Rosée de ses demandes, a rétracté les ordonnances litigieuses, ordonné la destruction des documents saisis et placés sous séquestre, et condamné la société au paiement de divers frais. Loin de s’avouer vaincue, La Rosée interjette appel.
Le 16 octobre 2025, la Cour d’appel de Paris rappelle tout d’abord que les mesures d’instruction in futurum ne peuvent être ordonnées qu’en présence d’un motif légitime, et d’une certaine nécessité. En l’espèce, La Rosée n’a pas démontré que les preuves étaient susceptibles d’être rendues inaccessibles. La Cour confirme donc la rétractation des ordonnances de saisie in futurum.
Concernant le cœur du sujet, la concurrence déloyale et le parasitisme, la Cour n’a pas été clémente avec la demanderesse. En bref, toutes ses demandes sont rejetées.
Est énoncé que le format de stick solaire étant très répandu sur le marché, et ne constituant au passage pas une innovation de La Rosée, cet argument ne pouvait être avancé.
La Cour est également sensible aux similitudes entre les deux produits, et il est vrai que pour un consommateur « oui, les produits se ressemblent », mais l’action en concurrence déloyale n’est pour autant infondée. En effet les marques sont clairement distinguables, et les deux produits reprennent des codes classiques du secteur. De plus, aucune preuve n’est rapportée quant à des confusions chez les consommateurs, souvent habitués à leurs marques favorites. Enfin, les campagnes publicitaires, certes similaires sur le fond, reprennent toutes deux des codes graphiques et conceptuels propres aux publicités sur des protections solaires.
Dernièrement sur le parasitisme, la Cour rejette également ce fondement en ce que La Rosée ne démontre pas une éventuelle perte de parts de marché.
Ainsi, la Cour d’appel donne raison au juge des référés, et déboute à nouveau la demanderesse, de toutes ses demandes d’interdiction de commercialisation, de rappel de produits, et de dommages-intérêts.
Finalement, que tirer de cette décision rendue en référé ? La Cour rappelle que la concurrence, aussi agressive dans les similitudes que possible, demeure licite. Aucune preuve n’a été rapportée sur l’intention de Caudalie de se placer dans le sillage de sa concurrente directe et de tirer profit de son stick solaire.
La procédure de référé ne doit pas devenir un instrument au service des sociétés à user contre ses concurrents, mais doit demeurer un outil légal encadré, pour prévenir la disparition de preuves.
L’absence de preuves satisfaisantes, outre le rappel de codes publicitaires et de marketing connus de toutes personnes raisonnablement informées sur le sujet, ne justifie pas la prise d’actes en référé.
La Rosée n’a ainsi pas réussi à convaincre les juges que Caudalie copiait son stick solaire.
Source:
https://www.courdecassation.fr/decision/68f1d26ee5a8ebce71548402
Romain TRINQUIER
Une enquête ouverte contre Apple en France : des conversations enregistrées par l’assistant vocal Siri

L’assistant vocal d’Apple, Siri, est accusé d’avoir enregistré à l’insu des utilisateurs des conversations contenant parfois des données dites sensibles. Le 6 octobre dernier, une enquête a été ouverte auprès du parquet de Paris. Ce dernier déclare avoir confié les investigations à l’Office anti-cybercriminalité (OFAC) au sein de la police judiciaire
En février 2025, une plainte de la Ligue des droits de l’homme (LDH), faisant suite à un signalement auprès du procureur de la République, soulève la question de la collecte massive par l’assistant vocal Siri d’un nombre inestimable de conversations d’utilisateurs, incluant sans nul doute des informations personnelles.
A l’origine de ce signalement, des informations transmises par le lanceur d’alerte français Thomas Le Bonniec. Cet ancien employé d’une entreprise sous-traitante d’Apple, œuvrant depuis l’Irlande, était chargé dans le cadre de ses missions de traiter les milliers d’extraits audios réceptionnés par la pomme, et ce dans le but d’analyser et d’améliorer la manière dont l’assistant vocal répond aux utilisateurs. Il remarque alors le nombre d’enregistrements déclenchés par erreur, lesquels contiennent des informations personnelles au sujet des utilisateurs.
La question des données sensibles
Thomas le Bonniec confie au Monde que « plus généralement, ces fichiers contiennent énormément de données très personnelles : des personnes évoquent leur maladie, leurs opinions politiques, leur appartenance syndicale, leur sexualité… »
Les signalements auprès d’autorités de protection des données en France (CNIL) et en Irlande ayant été classé sans suite en 2022, c’est désormais la justice française qui prend le relai
L’ex-employé s’interroge également sur l’avenir de ces données : nombre total d’enregistrements depuis la création de l’assistant vocal en 2010, nombre de personnes affectées, stockage de ces données…
La réponse de la pomme
Comme défense, l’entreprise californienne a publié un article en janvier 2025 dans lequel elle nie collecter de tels enregistrements, à moins que l’utilisateur ne l’accepte spécifiquement, et ce dans l’unique but d’améliorer ses services. Elle rappelle sans cesse que ces données ne servent en aucun cas des fins marketing ou publicitaires et ne sont jamais vendues à des tiers.
Malgré ces négations, Apple a accepté un accord en décembre dernier qui prévoit le versement d’une somme de 95 millions de dollars à des utilisateurs lui reprochant ses enregistrements incognito. Un compromis généreux qui laisse perplexe quant à l’usage réel de ces données.
Sources :
Sara CHARLANNES
Du lit de Gustave Courbet aux méandres du droit de la propriété littéraire et artistique

Le 21 octobre 2025, le Prix Sévigné est remis à Correspondance avec Mathilde, de Gustave Courbet, cet ouvrage publié par les éditions Gallimard sont des échanges audacieux, charnels et parfois même érotiques entre le peintre et une aventurière audacieuse et intrigante. Ancêtre grisant de nos sextos modernes, ce livre donne une nouvelle dimension au peintre, mais surtout, il interroge ; comment pendant 150 ans une telle correspondance a-t-elle pu échapper aux maisons d’édition ? À cette question, la réponse est simple, ces lettres ont été minutieusement dissimulées de génération en génération, car, tout simplement, cela était la volonté de l’auteur.
Alors pourquoi maintenant, que faisons-nous du pouvoir de l’auteur sur ces écrits, même 150 ans après ? Est-ce pour la beauté de la littérature ? Ou est ce le Voici coquin publié pour exciter l’intellectuel parisien ?
Au-delà des considérations morales d’une telle intrusion dans le lit du peintre et de son amante, avait-on le droit de publier ces lettres ? Était-ce légal ?
Gustave Courbet, peintre éminent du 19e siècle, a bousculé les frontières de la peinture, guidé les réalistes et bouleversé les romantiques. On le connaît pour son célèbre portrait Le Désespéré s’arrachant les cheveux, le regard fou, mais surtout célèbre pour L’origine du monde, un tableau plein d’audace et d’un réalisme cru. A sa mort, les fameuses correspondances à Mathilde sont remises à la bibliothèque de Besançon avec une note manuscrite interdisant toute publication ou divulgation.
Tout d’abord, il faut bien distinguer le droit d’exploiter une œuvre, qui s’éteint aujourd’hui 70 ans après la mort de l’auteur, du droit moral de divulgation qui est quant à lui « perpétuel, inaliénable et imprescriptible”. Il est transmissible aux héritiers de l’auteur. L’article L 121 – 3 du code de la propriété intellectuelle rappelle que « l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre… Après sa mort, le droit de divulgation de ses œuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur… ».
Ces lettres, relèvent-elles de l’œuvre ou de l’intime ? Le précédent juridique René Char a établi que la correspondance d’un auteur n’appartient pas forcément à son œuvre et peut relever de la vie privée. Par analogie, les lettres de Courbet, peintre et non écrivain, devraient être considérées comme intimes.
La ville de Besançon, légataire et exécuteur testamentaire, aurait donc dû respecter la volonté de l’artiste de ne pas les publier.
Certes, lorsque la volonté de l’auteur n’est pas clairement exprimée, les tribunaux peuvent autoriser une divulgation au nom de l’intérêt public et scientifique, notamment pour la recherche. Mais la publication actuelle dépasse ce cadre : elle expose au grand public les aspects les plus personnels et érotiques du peintre.
Dès lors, se pose la question morale et juridique d’une telle révélation après plus d’un siècle de silence. Si préserver la trace culturelle des artistes est légitime, leur intimité et leur volonté doivent aussi être protégées. Oui, Gustave Courbet est mort et enterré, mais cela ne donne pas tous les droits, et nous nous devons de rechercher l’équilibre entre ces différents devoirs que l’art et la renommés apportent, pour les artistes passés et futurs. Prenons garde à la confusion entre l’intérêt littéraire et la curiosité malsaine.
Sources:
https://www.gallimard.fr/catalogue/correspondance-avec-mathilde/9782073096890
Clémence ROUSTIT
Chrome Hearts attaque Neil Young : Quand la musique croise la mode en justice
L’automne 2025 voit s’affronter deux univers emblématiques. D’un côté le rock de Neil Young, légende canadienne. De l’autre côté, la griffe de luxe américaine Chrome Hearts. Un bras de fer juridique dont l’enjeu porte sur le nom d’un groupe, mais fait aussi émerger les questions de propriété intellectuelle entre arts et commerce.
Ce conflit a débuté en 2023 lorsque Neil Young s’entoure d’un nouveau groupe et se font baptiser “Neil Young and the Chrome Hearts”, on peut dès lors voir le problème émerger. De ce groupe, s’accompagne, en printemps 2025, la sortie d’un album intitulé ”Talkin to the Trees”, ainsi qu’une tournée à travers l’Amérique du nord.
Cependant, parallèlement à cette tournée, la marque Chrome Hearts réagit. Cette marque à vue le jour à la fin des années 80 et est connue pour ses collaborations avec des artistes tel que Rolling Stone ou Drake. Ses créations sont prisées par les stars et les fans de streetwear en raison du style rock voire gothique de la marque.
Chrome Hearts estime que l’utilisation de son nom par Neil Young et ses musiciens constitue une usurpation flagrante de marque déposée. La maison déplore la confusion créée auprès du public, d’autant que le groupe distribue lui aussi des produits dérivés sous le nom Chrome Hearts, brouillant la frontière entre la musique et la mode. En juillet 2025, Chrome Hearts envoie une lettre de mise en demeure à Neil Young, lui demandant de changer de nom. Le groupe ne s’exécute pas. La marque dépose alors une plainte devant le tribunal fédéral de Los Angeles le 11 septembre 2025, réclamant l’interdiction d’utilisation du nom, des compensations financières et la destruction de tout produit du groupe utilisant l’appellation Chrome Hearts.
Ce procès soulève la problématique de la propriété intellectuelle à l’ère des collaborations artistiques et du “brand crossover”. Il s’agit d’une pratique consistant à ce qu’une marque effectue une collaboration avec une personnalité publique dans le but de commercialiser des produits. Par exemple, la collaboration entre la marque de sport Nike et du joueur de basket Michael Jordan a généré en 2024 plus de 6,3 milliards d’euros. Le but de ce mécanisme est de fusionner la réputation d’une marque et l’influence d’une personnalité publique afin d’en faire générer des gains.
Chrome Hearts qui est habituée à fusionner son image avec celle de musiciens, voit dans le groupe de Neil Young une menace à sa réputation et une concurrence déloyale, susceptible de diluer sa marque et tromper ses clients. Les avocats du groupe de Neil Young, de leur côté, mettent en avant l’absence de collaboration commerciale avec Chrome Hearts et le droit d’expression artistique, arguant qu’aucune confusion réelle n’est prouvée chez le public.
À ce jour, il n’y a pas encore eu de décision par le tribunal fédéral de Los Angeles. Depuis le dépôt de plainte, ni les représentants de Neil Young ni ceux de Chrome Hearts n’ont fait de commentaires publics sur une éventuelle réponse judiciaire ou une évolution du procès.
Sources:
Guilaine LIKILLIMBA
Quand vient la fin de l’été, le scan nous quitte-t-il pour toujours ?

Tel un coup de tonnerre en plein été, revenons sur le blocage prononcé par le Tribunal judiciaire de Paris à l’encontre de la plateforme Japanscan et de ses sous-domaines, le 23 juillet 2025.
Dans le cadre d’un calendrier resserré, le Tribunal judiciaire a fait droit à la demande du Syndicat national de l’édition (SNE), dirigée contre les principaux fournisseurs d’accès à internet français, dont Bouygues Télécom, Free, SFR, SFR Fibre et Orange. Cette décision intervient à la suite de la mise en ligne de Japanscan, une plateforme regroupant illégalement un large panel de mangas et de comics traduits en français.
Ce bannissement temporaire condamne ainsi l’accès, pour 690 000 visiteurs uniques mensuels, à près de 13 000 mangas, BD, manhwas et comics disponibles gratuitement.
En outre, cette décision rappelle également la lettre de la directive 2001/29/CE, relative à l’harmonisation des droits d’auteurs et des droits voisins, ainsi que de la directive 2000/31/CE, portant sur la responsabilité des intermédiaires en ligne. Quand vient la fin de l’été, le scan nous quitte-t-il pour toujours ?
Malgré son grand succès, et une privation conséquente pour les nombreux lecteurs de la plateforme, le SNE a promptement assigné les opérateurs susvisés devant le tribunal. Le motif est simple mais légitime : la cessation de l’atteinte aux droits d’auteurs, attachée aux œuvres hébergées illégalement.
Soumis à de brefs délais, les juges de première instance ont fait droit à la demande du syndicat. En leur qualité d’intermédiaires, le tribunal a également exigé aux fournisseurs d’accès à internet français la prise de toutes les mesures propres pour limiter l’accès au site Japscan.
Dans un syllogisme nécessaire pour répondre à ce contentieux pluridisciplinaire, le tribunal a d’abord rappelé la faculté d’agir des syndicats professionnels afin de défendre les intérêts collectifs d’une profession. Cette introduction s’est faite au visa des articles L.2132-3 du Code du travail et L.331-1 et L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle.
C’est après avoir retenu la caractérisation d’une atteinte aux droits d’auteurs que les juges ont également relevé l’absence des mentions légales imposées par le législateur, sur le site litigieux. L’obligation d’inclure de telles mentions légales est notamment visée par la LCEN : loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004. Issue de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique et de la directive du 12 juillet 2022 sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, une telle exigence marque un fort désir de régulation des communications électroniques au sein du marché intérieur. À cette fin, la présente décision du Tribunal Judiciaire de Paris semble présenter une solution pour le scan.
Faute de mentions légales et donc d’identification, la poursuite par le SNE s’est alors trouvée ralentie. Cette lacune révèlerait aussi, selon le tribunal, la connaissance des intermédiaires de l’illicéité de Japscan.
Le tribunal termine alors par la clarification du rôle des intermédiaires, au regard des atteintes aux droits d’auteurs sur internet. L’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose notamment que les ayants-droits peuvent obtenir des mesures contre lesdits intermédiaires, pour atteinte aux droits d’auteurs.
Cette clarification est néanmoins nuancée : l’articulation entre les différentes normes européennes étant nécessaire, le tribunal ne saurait admettre un blocage général, systématique et permanent de Japanscan. A fortiori, un blocage aussi ferme reviendrait à porter atteinte à la liberté d’entreprendre des fournisseurs d’accès à internet. Inévitable est donc la mise en balance entre la régulation du commerce électronique et la responsabilité des intermédiaires en lignes, une thématique nouvelle consacrée par une jurisprudence européenne abondante (CJUE n°C-324/09 l’Oréal SA 12 juillet 2011, CJUE, n° C-236/08, Google France SARL ET Google contre Louis Vuitton Malletier SA 23 mars 2010).
Le tribunal ordonne ainsi un blocage de 18 mois contre la plateforme Japscan. Les intermédiaires eux, devaient mettre en œuvre ledit blocage dans un délai de 15 jours, aux moyens techniques de leur choix. Le SNE, gagnant de cette affaire, devait être tenu des mesures prises dans les meilleurs délais.