Coup de tonnerre dans le paysage européen en 2016, l’été commençait à peine et voilà que le Royaume-Uni annonçait son départ de l’Union européenne après un référendum où le « Leave » s’est imposé à 51,9%. Après cette débâcle politique, le premier ministre David Cameron quitte rapidement ses fonctions et Theresa May lui succède pour mener à bien les discussions relatives à la sortie de son pays de l’Union européenne. Jusque-là, le rapport avec la propriété industrielle ne semble pas évident, pourtant du fait de l’harmonisation constante de ce domaine au sein de l’Union européenne, il est naturel de se pencher sur cette problématique. Le Brexit va-t-il impacter la propriété industrielle en Europe ?
Ce qui ne changera pas en matière de propriété industrielle
Il convient de rassurer nos lecteurs, l’Organisation Européenne des Brevets n’étant pas une institution de l’Union Européenne, et le Royaume-Uni ayant fait part de sa volonté de rester associé à cette belle institution, il sera donc toujours possible de déposer un brevet européen visant le Royaume-Uni comme pays destinataire du dépôt. Aussi, on peut s’interroger sur les brevets déjà déposés. Garderont-ils toujours leur effet ? La réponse est positive, rien ne changera vraiment quant au brevet européen « classique ».
Il en va de même pour les brevets, les marques et les dessins et modèles nationaux des différents pays membres. En effet, du fait du principe de territorialité, ces derniers sont soumis uniquement aux règles internes. Ainsi, on imagine mal un impact quelconque du Brexit sur les législations en vigueur.
Pour finir, il faut ajouter que les mandataires britanniques pourront toujours exercer leur fonction au sein de l’Europe et aujourd’hui ils sont plus de 2000 en fonction.
Ce qui changera en matière de brevets
On rentre ici dans la réelle problématique. Le Brexit va nécessairement modifier de manière profonde les droits en matière de propriété industrielle, et cela, dans tous les domaines.
En matière de brevet, on pense immédiatement au Brevet à effet unitaire qui est un projet encore en attente de validation. Il conduirait à une harmonisation générale européenne des brevets au moyen d’un seul et unique titre ayant effet dans tous les Etats parties et mettrait en place une juridiction devant laquelle tout le contentieux serait unifié. Avec le Brexit, certains spécialistes en la matière avancent que le brevet à effet unitaire ne pourra pas s’appliquer au Royaume-Uni. Cela semble logique. En effet comment un Etat qui quitte un groupement régional pourrait-il appliquer un ensemble de règles régies par un droit qui lui sera de facto étranger ? Mais juridiquement rien n’interdit au Royaume-Uni de rester signataire de l’Accord du 19 février 2013 et si cela était son choix, la réalisation serait très compliquée pour l’ensemble des parties à cet accord.
Le vrai problème ici est la mise en place de la Juridiction unifiée du brevet (JUB). En effet, si l’on reprend l’article 20 de l’Accord visant à la mise en place de la JUB, il y est souligné que la juridiction devra appliquer le droit de l’Union Européenne dans son intégralité et respecter la primauté de ce dernier. On voit alors un premier conflit émerger : une fois le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne, on imagine mal qu’il puisse accepter de reconnaître un quelconque effets aux règles de droit de l’Union. De manière plus concrète, le problème le plus important est celui soulevé par l’article 7 § 2 de cet Accord. En effet, cet article prévoit la création d’une section de la division centrale de la JUB à Londres qui serait compétente en matière de brevet pharmaceutique. Avec le Brexit, on se retrouverait donc avec une juridiction dont une partie serait établie dans un Etat tiers, ce qui serait inconcevable.
Ainsi, l’application de cet accord risque d’être encore repoussée, et ce, afin d’entamer de nouvelles négociations pour qu’une nouvelle ville soit chargée de récupérer la section précédemment dévolue à l’Angleterre. Certains auteurs avancent que Milan pourrait être cette nouvelle ville, du fait que l’Italie sera le troisième pays avec le plus de dépôt de brevet en Union européenne après la sortie du Royaume-Uni. Il faudra donc attendre et voire comment les cartes seront redistribuées dans ce domaine.
Ce qui changera en matière de marque, dessin et modèle
Les marques, dessins et modèles de l’Union européenne sont des titres de propriété intellectuelle unitaire. Ces derniers ont effet dans l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne. Tant que le retrait du Royaume-Uni n’est pas effectif, il n’y a aucun changement à prévoir. Mais lorsque cela sera le cas, les conséquences dans ce domaine pourraient être importantes pour les titulaires de droit.
La première question vise les titres déjà déposés. En effet, les textes en vigueur, que sont le Règlement du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne et le Règlement du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires, ne prévoient pas le retrait d’un membre. Ainsi il est impossible de savoir avec certitude ce qui va arriver des titres unitaires au Royaume-Uni.
Quid des dépôts postérieurs à la réalisation du Brexit ? Sur ce cas, il est assez facile d’envisager une solution. Les titulaires devront procéder simultanément au dépôt d’un titre européen couvrant l’ensemble des 27 Etats membres et d’un titre national britannique – s’ils souhaitent une protection sur le territoire britanique. De plus, il restera toujours la possibilité pour les déposants de passer par la marque internationale auprès de l’OMPI.
Enfin, une dernière problématique peut être soulevée quant à la déchéance des marques de l’Union européenne. En effet, la jurisprudence européenne a admis dans un arrêt en date du 19 décembre 2012 « Leno Merken BV c/ Hagelkruis Beheer BV » que l’usage d’une marque dans un seul Etat membre pouvait suffire à la validité de la condition d’usage sérieux pour l’ensemble du territoire de l’Union. Mais alors, lorsque l’usage sera circonscrit au Royaume-Uni, qu’arrivera-t-il ? Assez logiquement, les titulaires ne pourront pas se prévaloir de cet usage afin d’éviter la déchéance de leur marque. Pour éviter cette sanction, il faudrait alors qu’ils justifient de l’exploitation de leur marque dans un État réellement membre.
L’adaptation de la règle de l’épuisement des droits du fait du Brexit
La théorie de l’épuisement des droits est le fait que lorsqu’un bien est introduit ou fabriqué dans l’espace économique européen, il est libre de circuler. Il faut évidemment que l’introduction ou la fabrication soit licite. Le terme licite ici sous-entend que l’autorisation est donnée par le titulaire des droits au travers d’une licence. Si ces conditions sont valablement remplies, on considérera l’épuisement du droit exclusif effectif lors de la première mise en circulation.
Ainsi lorsque le Royaume-Uni ne fera plus parti de l’Union européenne, il va falloir adapter les pratiques actuelles. Tout produit provenant de pays européens pourra circuler librement dans les Etats membres, mais pour une commercialisation britannique, il faudra de nouveau obtenir l’accord du titulaire des droits. A l’inverse, il faudra pour tout produit qui serait issu du Royaume Uni, demander l’accord du titulaire des droits pour pouvoir introduire ce produit au sein de l’Union européenne. On aura donc un dédoublement de l’épuisement au sein de pays qui avant, ne formait qu’un tout unitaire.
Pour conclure, il convient de dire qu’en votant pour la rupture entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, les « leavers » ont, sans même le savoir, bouleversé le champ européen de la propriété industrielle. Il nous faudra attendre l’horizon 2019 voire 2020 pour pouvoir apprécier la nouvelle pratique qui en résultera. Ainsi donc, pour reprendre une formule de nos voisins Anglo-saxons, une seule chose à faire aujourd’hui : « wait and see ».
BOILE Maxence
https://www.iptrust.fr/brexit-quelles-consequences-pour-la-propriete-industrielle/
https://www.legitech.lu/newsroom/articles/brexit-consequences-propriete-intellectuelle/
https://www.mapreuve.com/blog/brexit_propriete_intellectuelle/
http://www.cncpi.fr/LEX–lexique-E-Epuisement+du+droit-abecedaire-propriete-industrielle.htm
http://www.village-justice.com/articles/Brexit-les-consequences-juridiques,22506.html
« Brexit : quelles conséquences en matière de propriété intellectuelle ? » Actualité Francis Lefebvre, 11 juillet 2016.