Conférence « Les problématiques soulevées par la protection des marques en Chine »

Vendredi dernier, le professeur Shujie Feng de l’université Tsinghua(Pékin) nous a présenté le fonctionnement de la protection des marques en Chine. Le but de l’exposé était ainsi de savoir comment cette dernière lutte contre les dépôts frauduleux et les contrefaçons de marques.

En Chine, on trouve de nombreux produits contrefaisants, et ce plus qu’en Europe. De ce fait, le législateur fait beaucoup d’efforts pour renforcer la protection et sanctionner les contrefacteurs mais cela reste, avec les dépôts frauduleux de marque, un gros problème lié en réalité au développement de la société.

La nouvelle loi chinoise des marques date de 2014. Avec elle, il est désormais possible de faire des dépôts multi-classes. Ce type de dépôt favorise les entreprises car cela simplifie la gestion de portefeuille. Mais l’inconvénient concerne les oppositions. En effet, lors d’un dépôt de marque, un délai de 3 mois est laissé aux tiers pour qu’ils fassent opposition. Si celle-ci est faite uniquement contre une des classes concernée par le dépôt, toutes les autres seront suspendues en même temps en attendant la décision de justice, sachant que cette dernière peut faire l’objet d’un appel. Cela peut donc être relativement long, c’est pourquoi il est plutôt conseillé de faire plusieurs dépôts mono-classes, ce qui d’ailleurs ne représente pas un coût plus élevé pour autant.

 

Pourquoi vouloir obtenir un certificat rapidement ?

De nos jours, le e-commerce bouleverse la scène de la distribution. En Chine, pour lutter contre la contrefaçon, les plateformes de vente en ligne imposent à ceux qui souhaitent vendre leurs produits en e-commerce de leur fournir leur certificat de marque ou un document de licence. Une telle exigence est valable pour les entreprises chinoises comme pour les entreprises étrangères et est motivée justement par une volonté généralisée de protection des marques.

 

Combien de temps faut-il pour obtenir un certificat de marque ?

Avant 2009, la procédure de dépôt et d’examen durait de 3 à 5 ans. Or ce délai étant trop long, certaines sociétés disparaissaient entre temps. C’est pourquoi en 2009, l’office chinois a fait en sorte d’augmenter la rapidité de traitement en engageant plus d’examinateurs. La durée avait alors été réduite à 12 mois. Mais la nouvelle loi chinoise des marques demande à ce que cela soit réduit à 9 mois. L’office chinois de dépôt pense même pouvoir réduire ce délai à 6 mois.

Aujourd’hui, il est difficile d’enregistrer une marque. En effet, si le nombre de refus provisoires concerne un tiers des dépôts faits, la grande majorité est due à l’existence de marques antérieures. D’ailleurs, un réel business de transaction des marques s’est développé en Chine avec certaines sociétés qui déposent de nombreuses marques afin de les vendre par la suite.

 

Le problème des dépôts frauduleux en Chine

Lorsqu’un tiers dépose une marque déjà utilisée par une entreprise et sur des produits identiques, similaires ou connexes à ce qu’elle vend, plusieurs solutions existent pour l’entreprise. La plus simple, mais la moins bénéfique pour les entreprise est simplement de renoncer au marché chinois. On comprend alors que cette option n’est que rarement choisie. Une autre solution consiste pour l’entreprise à acheter la marque. Pour cela, il faut savoir qu’un vrai marché s’est développé. Plus la marque est connue, influente, plus le prix de vente va être élevé.

Seules les entreprises dont la marque est notoire peuvent imposer leur marque quand bien même un dépôt aurait déjà été fait.

Sur le plan juridique, il faut savoir que tout tiers peut demander la déchéance d’une marque. Pour cela, il faut que la marque soit enregistrée depuis plus de 3 ans et qu’elle n’ait pas été utilisée durant 3 ans consécutifs. Des solutions existent donc pour lutter contre ces dépôts frauduleux.

 

La conséquence : le développement d’une stratégie de dépôt défensive en Chine

Pour anticiper sur ces dépôts frauduleux, il faut alors déposer la marque très tôt, avant que quiconque ne puisse le faire et déposer tous les signes commerciaux, en chinois et en latin.

Lors du dépôt, il faut aussi désigner tous les produits concernés. En effet, comme dit précédemment, il y a aussi un système de classe, comme avec la Convention de Nice. Il y a cependant deux grandes différences en Chine :

– les classes se subdivisent en sous-classe, par exemple la classe vêtement se subdivise en sous-classe chaussure.

– l’office chinois a ajouté des produits chinois.

Avant, si le terme ne se trouvait pas dans la classification, une notification de rectification était envoyée pour trouver un nom qui soit le plus proche possible du produit. Mais aujourd’hui, après une décision rendue le mois dernier, il est possible d’adopter des noms de produits non standards. Cette modification est en accord avec la politique du gouvernement qui vise à faciliter la création d’entreprise et à favoriser l’innovation. A ce titre d’ailleurs, certaines bonnes pratiques de l’office européen ont été adoptées par l’office chinois.

 

L’interdiction législative des dépôts frauduleux

La loi chinoise sur les marques encadre justement les dépôts pour éviter qu’ilsne soient frauduleux. Si l’article 15 interdisait les dépôts frauduleux par les représentants ou agents de la marque, cette règle a été élargie par une réforme en 2013 pour s’étendre aussi aux distributeurs, partenaires, fabricants et plus généralement à tous ceux qui ont une relation d’affaire ou une autre relation avec la victime. L’article 32 de cette même loi interdit de déposer une marque utilisée par un tiers et relativement connue sur le marché chinois. L’article 13 concerne quant à lui l’interdiction de déposer des marques notoires. Enfin, l’article 44.1 interdit de déposer des marques de manière injustifiée par le dépôt de faux documents.

On voit alors clairement la volonté du législateur de lutter contre les dépôts frauduleux. Les lois sont par ailleurs interprétées de manière très limitée par les juges qui ne peuvent reconnaitre un dépôt comme frauduleux en dehors des cas de ces quatre articles.

 

Les possibilités offertes par les réformes

Il arrive parfois que des entreprises n’aient pas adopté la stratégie défensive expliquée précédemment et n’aient alors pas déposé leur marque. Dans ce cas, si elles exploitaient tout de même la marque, la réforme de 2013 a introduit un article leur permettant de continuer à l’utiliser après un enregistrement par une autre entreprise à la condition que cette utilisation ait lieu dans la même portée qu’avant. Cependant, s’il existe un risque de confusion, le titulaire de la marque enregistrée pourrait obliger l’utilisateur antérieur de la marque à la modifier en y ajoutant un élément afin de pouvoir les distinguer.

Un autre cas possible est celui du dépôt de marque postérieur mais de bonne foi. Dans ce cas aussi, la loi donne le droit à l’utilisateur antérieur d’utiliser sa marque. Le professeur Feng a alors souligné que « l’introduction de cette règle va créer des conséquences importantes sur les droits de marque acquis par usage et ceux acquis par enregistrement ».

Lors de la dernière révision, le montant des dommages-intérêts dû a été augmenté pour renforcer la protection des marques et lutter contre les dépôts frauduleux.

 

La lutte contre les contrefaçons

Pour pouvoir intenter une action en contrefaçon, il faut des preuves. Celles-ci peuvent être obtenues par les enquêteurs accompagnés par un notaire chinoiset sont ainsi considérées comme incontestables. Toutes les preuves établies à l’étranger doivent par ailleurs être certifiées par un notaire local avant d’être utilisées en Chine. Même si le notaire est anonyme, les preuves restent valables.

A la différence de la France, il n’existe pas de saisine contrefaçon en Chine. Cependant, il est possible de demander au juge de saisir les preuves si les parties ont du mal à les apporter et qu’il estime qu’elles n’ont pas les moyens de les obtenir.

Il existe 3 procédures pour lutter contre la contrefaçon :

  • Une action administrative : Les bureaux de l’administration de l’industrie et du commerce (AIC) sont compétents pour toute saisine de produits de contrefaçon de marque. Ils peuvent interroger le contrefacteur, obtenir les preuves, déterminer la contrefaçon, saisir les produits mais ne peuvent pas déterminer les dommages-intérêts. L’AIC peut toutefois ordonner une amende en cas de contrefaçon de mauvaise foi. Le montant de cette amende est élevé, il se chiffre jusqu’à 30 000€.

 

  • Une action judiciaire : Le juge peut demander au contrefacteur de cesser sa contrefaçon ou, dans le cas où le produit concerné implique un intérêt public, il peut requérir uniquement des dommages-intérêts. Avant la réforme de 2013, le plafond de ces dommages-intérêts s’élevait à 500 000 yens. Depuis, il est passé à 3 millions de yens dans une optique de lutte contre la contrefaçon puisqu’en Chine, ils ont une nature punitive. Quatre méthodes existent pour le juge afin de déterminer le montant exact des dommages-intérêtsà prononcer. Il peut prendre en compte le montant de la perte subie, le bénéfice réalisé par le contrefacteur, le montant faisant référence à celui des redevances d’une licence ou encore les déterminer en fonction d’éléments divers de l’affaire. La révision de 2013 a conduit à ce que ces méthodes soient classées dans cet ordre précisément pour créer une gradation de la sanction. De plus, elle a développé une cinquième méthode de calcul consistant à dire que si la contrefaçon était faite de mauvaise foi, les dommages-intérêts punitifs pourrait s’élever à un montant trois fois supérieur à ceux d’une affaire normale. Une telle méthode de détermination des dommages-intérêts est certes très protectrice des titulaires de droit, mais comme le souligne le professeur Feng, elle crée des problèmes de justice pour la société. C’est d’ailleurs pour cela que les juges de districts ou de villes, conscients de ces problèmes, prononcent des montants modestes pour que les contrefacteurs innocents ne souffrent pas de ces actions en contrefaçon.

 

  • Des mesures douanières.

 

Les stratégies d’actions

Dans le cas où le comportement n’est pas appréhendé par le droit des marques, il est toujours possible d’invoquer le droit de la concurrence, adopté en 2013 et révisé depuis. En effet, la contrefaçon est définie par la loi sur les marques à son article 57 mais de manière très restrictive. Ainsi, une stratégieoptimale consiste à toujours invoquer en même temps que le droit sur les marques, la loi sur la concurrence déloyale.

Une autre stratégie consiste à choisir entre miser sur la concurrence déloyale ou sur le fait que la marque soit notoire lorsque l’on intente une action en contrefaçon. Maispour une marque notoire, la portée de la protection s’arrête aux limites de la région où la marque est connue alors que le droit de la concurrence déloyale s’applique sans aucune limite. Il est donc, encore une fois, judicieux d’invoquer la loi sur la concurrence déloyale pour ce type d’affaire.

 

 

Merci au professeur Feng pour cette deuxième conférence ! A dimanche pour le récap’ de sa dernière intervention !

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