deCODE Genetics : la société qui veut décoder le génome des Islandais

Qu’est-ce que deCODE Genetics ?

 

Filiale de l’entreprise Amgen, leader mondial de l’industrie des biotechnologies médicales, deCODE se présente comme étant elle-même leader en matière d’analyse et de compréhension du génome humain. Depuis qu’elle a été fondée, en 1996, l’objectif poursuivi en termes de recherches poursuivies par l’entreprise est de comprendre ce dernier et par conséquent la génétique des maladies afin de mieux les diagnostiquer, traiter et prévenir. Etant parvenue à cartographier le génome humain, l’entreprise islandaise a ainsi permis d’isoler le génome de certains cancers voire a même identifié une mutation génétique protégeant de la maladie d’Alzheimer.

 

Le chercheur Kári Stefánsson, PDG de deCODE, avec l’aide du laboratoire Hoffmann-Laroche, a réussi à persuader le gouvernement islandais de louer l’accès aux données médicales des Islandais. Ce contrat d’une durée de douze ans ayant cependant été déclaré anticonstitutionnel par la Cour suprême du pays en 2003, l’entreprise sera finalement rachetée par Amgen en 2012.

 

Source : PixaBay

 

Mais pourquoi l’Islande est particulièrement intéressante pour y étudier le génome humain ?

 

L’Islande a une population qui s’est peu mélangée au fil des siècles. En effet, l’insularité a un effet sur les relations formées et nécessairement sur la génétique des habitants. Ne se mélangeant que rarement avec des personnes ayant une génétique drastiquement différente de la leur, les Islandais forment ainsi une petite population génétiquement homogène (360 000 habitants). De plus, le pays est parvenu à conserver depuis plusieurs centaines d’années des archives généalogiques importantes. Pour certaines familles ces renseignements datent de l’arrivée des premiers Vikings, au milieu du 9e siècle.

 

N’est-il pas risqué de réunir autant d’informations si sensibles ?

 

La banque de données généalogiques, génétiques et médicales d’une grande partie des Islandais est ainsi exploitée par l’entreprise privée afin de faire avancer la recherche et par la suite, les traitements et diagnostics. Ces mêmes données ont été récupérées pendant des années avec bien souvent une absence d’objection des Islandais. A titre d’exemple, ils ont été nombreux à donner de leur sang à des fins de recherche.

 

Pourtant, le projet initial du Professeur Stefánsson était de cartographier le génome de l’ensemble des Islandais. En réalité, s’est très rapidement dessiné par la suite un autre projet ; celui de créer et exploiter une banque de données généalogiques, génétiques, et médicales. Les Islandais ont d’abord été réticents à ce qu’autant d’informations les concernant soient réunies. Les inquiétudes portaient notamment sur la protection de leur vie privée, leur consentement ou encore le droit de contrôle sur leur information génétique. En 1998 est finalement voté, après de nombreux débats, le Health Sector Database Act (HSDA) qui permet la mise en place d’une banque de donnée centrale contenant les informations déjà évoquées. Des sondages ont d’ailleurs montré que les Islandais ont fini par faire confiance au projet que seulement 7% de la population s’y opposait alors même que la loi HSDA n’assure, selon certains, leurs droits fondamentaux que de manière très précaire.

 

Retour des protestations

 

Sur le consentement

DeCode peut exploiter les données grâce au consentement présumé des Islandais. En effet, concernant plus précisément les données médicales, il est présumé tant que le patient ne s’oppose pas explicitement à une exploitation de ces dernières. Des associations ont tenté de faire évoluer la loi afin que le consentement nécessaire pour de telles finalités soit éclairé. Le parlement islandais a fini par voter deux nouveaux textes afin de répondre à ces critiques. Le premier exige un exige un consentement éclairé et écrit d’un donneur d’échantillon biologique, cependant si celui-ci a été prélevé avant l’entrée en vigueur de la loi, en janvier 2001, alors le principe du consentement présumé demeure. Le second texte met en place une autorité indépendante chargée de mettre en place les règles et conditions de recrutement des participants à la recherche médicale.

 

Sur la propriété des informations recueillies

En raison de quelques contentieux, s’est rapidement posée la question de la propriété des renseignements médicaux étudiés par deCODE. A titre d’exemple, l’Association des médecins islandais a demandé à ses membres de ne pas renseigner de telles données concernant leurs patients en vertu d’une certaine « responsabilité envers leurs patients ». Beaucoup ont suivi la consigne en raison notamment du fait que ces mêmes informations n’avaient été données au médecin seulement dans le cadre d’une relation de soins et qu’aucun consentement ne permettant la divulgation, en dehors d’une telle relation, n’avait été donné explicitement par le patient. Le Ministre de la Santé islandais préfère voir en ces informations une « ressource naturelle » qui pourrait être exploitée par deCODE, ressource également économique la société privée employant de nombreux chercheurs. En réalité, deCODE apparaît comme seul utilisateur de la banque de données, le PDG de la société soulève néanmoins qu’à la fois cette dernière et le Comité islandais de la protection des données disposent d’une clé pour ouvrir le coffre-fort contenant celles-ci.

 

Débats éthiques sur l’exploitation privée de données génétiques

Certains chercheurs universitaires en génétique du monde entier ont soulevé la délicate question du fonctionnement même de deCODE. Il s’agit en effet d’une entreprise privée pouvant exploiter les données médicales et génétiques, entre autres, d’une grande partie de la population islandaise. Poursuivant nécessairement un but lucratif, des brevets peuvent donc être déposés grâce à l’exploitation de ces données précieuses qui pourtant n’apparaissent appartenir à personne, au sens strict de propriété privée, ou même qui sont désignées par le Ministère de la santé comme « ressource naturelle ».

 

Et si l’Islande faisait partie de l’Union européenne ?

 

Malgré la présentation en 2009 d’une candidature visant à intégrer l’Union européenne, l’Islande a retiré cette dernière en 2014 mais demeure à ce jour cependant très liée à l’UE puisqu’elle fait partie de l’espace Schengen, de l’Espagne Economique européen et entretient des relations fortes avec les différents Etats membres. Ainsi, en l’absence d’intégration à l’Union, les Islandais ne bénéficient pas de toute la règlementation en matière de protection de données.

 

Le RGPD est ainsi à ce jour un texte qui n’est pas intégré dans la législation que doit respecter la société : mais s’il l’était, quelles en seraient les conséquences ? Autrement dit, qu’en serait-il si l’Islande était un Etat membre de l’Union européen vis-à-vis du fonctionnement de deCODE ? A propos des données génétiques, le Règlement les appréhende dès son article 4 en les définissant comme « les données à caractère personnel relatives aux caractéristiques génétiques héréditaires ou acquises d’une personne physique qui donnent des informations uniques sur la physiologie ou l’état de santé de cette personne physique et qui résultent, notamment, d’une analyse d’un échantillon biologique de la personne physique en question ». Tandis qu’il définit les données concernant la santé comme « les données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d’une personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l’état de santé de cette personne ».

 

On remarque donc que les données génétiques, exploitées par deCODE notamment dans le but d’établir la carte du génome humain, sont particulièrement sensibles puisqu’elles permettent d’obtenir des informations sur la santé ou la physiologie du patient ayant fait l’objet d’une analyse. Lorraine Maisnier Boche souligne que s’applique alors un régime spécifique pour qu’un examen des caractéristiques génétiques puisse être réalisé. Ainsi, si seulement une finalité médicale ou scientifique peut être poursuivie, il faut en plus que la personne concernée soit informée de la nature et la finalité de l’examen qui va être réalisé, de plus son consentement devra être explicite.

 

En outre, il existe un principe d’interdiction de traitement des données génétiques ou de santé instauré par l’article 9 du RGPD. Cependant, des exceptions sont également prévues parmi lesquelles le cas d’un consentement exprès donné par la personne concernée (a), des motifs d’intérêt public important (g) ou encore à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques (j). Cependant, dans le cas de l’exception du consentement donné par le patient examiné, le G29[1] s’est accordé à dire que le consentement n’est pas un fondement adapté pour le traitement de données de santé s’il est demandé dans le cadre d’une relation de soins (médecin-patient), car il s’agit d’un consentement au soin lui-même ou à la maitrise de son dossier médical par le professionnel de santé.

 

Ainsi, malgré la nécessité d’un consentement éclairé et écrit par le donneur de l’échantillon pour permettre l’exploitation de ses données génétiques, la loi islandaise ne semble pas autant protectrice que la règlementation européenne concernant les données génétiques et celles dites de santé.

 

Quels sont les résultats des recherches menées par deCODE ?

 

Etablissement de la carte du génome humain

Bien qu’une première carte du génome humain ait été publiée en 2002, deCODE en propose une nouvelle « version » en 2010, cette fois encore plus précise et détaillée. C’est grâce aux données de séquences de près de 150 000 Islandais qu’une telle carte a pu être établie.

 

Accord avec l’UK Biobank

Les projets de deCODE Genetics ne s’arrêtent pas aux frontières islandaises. En effet, l’entreprise a récemment conclu un accord qui va lui permettre de séquencer le génome des personnes participants à l’UK Biobank. Considérant cette banque de données britannique comme une ressource importante, l’entreprise islandaise estime que cet accord est un pas important pour la communauté scientifique puisque ces nouvelles informations permettront à terme de toujours mieux comprendre les maladies, de mieux les diagnostiquer, les prévenir voire les soigner.

 

Etude de l’expansion du virus Covid-19 en Islande

Toutes les données amassées et étudiées au fil des années par deCODE vont pouvoir servir en ces temps particuliers de pandémie. « En tentant de cartographier soigneusement l’épidémiologie de COVID-19 au niveau moléculaire en Islande, nous espérons fournir au monde entier des données à utiliser dans l’effort collectif mondial pour freiner la propagation de la maladie » a annoncé le PDG de deCODE Genetics. Pour procéder à cette cartographie, le génome de milliers d’Islandais va ainsi être étudié.

 

Vanille Duchadeau

 

[1] MAISNIER BOCHE L., « Données de santé à caractère personnel – Régime général » : G29, 15 février 2007, document de travail sur le traitement des données à caractère personnel relatives à la santé contenues dans les dossiers médicaux électroniques (DME), WP 131.

 


 

Sources :

MAISNIER BOCHE L., « Données de santé à caractère personnel – Régime général », Jurisclasseur Communication, Fascicule 945, 31 décembre 2019.

The Genetics of the Coronavirus, BBC Click, Disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=24sLzSsbzV0

http://www.polardesglaces.com/blog/boite-a-outils/le-projet-decode-en-islande-a-qui-appartiennent-les-genes-septembre-2002.html

https://www.prnewswire.com/news-releases/decode-publie-la-premiere-carte-genetique-pleine-resolution-du-genome-humain-877678107.html

https://www.prnewswire.com/news-releases/l-entreprise-islandaise-decode-accepte-de-sequencer-la-moitie-des-personnes-referencees-dans-uk-biobank-815748247.html

https://www.decode.com/iceland-provides-a-picture-of-the-early-spread-of-covid-19-in-a-population-with-a-cohesive-public-health-response/

https://www.amgen.fr/espace-media/actualites/2020/04/decode-publication/

https://www.decode.com/icelandic-genomes-elucidate-neanderthal-heritage-of-europeans/

https://www.usinenouvelle.com/article/des-peuples-entiers-stockes-dans-des-banques-genetiques.N85476

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