Vers un premier filtrage des demandes de déréférencement ? Retour sur la décision du TGI de Paris, 10 février 2017.
Le droit au déréférencement ou encore « droit à l’oubli » a connu un essor important en Europe par le célèbre arrêt Google Spain[1]. Cependant, ce dernier n’est pas un droit absolu, les demandes font l’objet d’un contrôle de proportionnalité par le moteur de recherche et par le juge.
Cependant, le rôle du moteur de recherche semble aujourd’hui encore plus important dans la mesure où, selon le Tribunal de Grande instance de Paris, Google apparaît désormais comme un véritable « filtre du droit à l’oubli ». Il est nécessaire de se questionner sur les causes et les conséquences d’une telle procédure.
Ce jugement, rendu le 10 février 2017, apporte des précisions quant à la procédure de déréférencement, il donne en quelque sorte le mode d’emploi du droit à l’oubli. Il accroît le pouvoir conféré au moteur de recherche depuis l’arrêt Google Spain. En effet, si vous souhaitez déréférencer un contenu, il faudra d’abord s’adresser à lui[2].
Afin de rappeler brièvement les faits d’espèce, il s’agit d’un médecin condamné pour escroquerie à l’assurance maladie. Sa peine a ensuite été réduite en appel, mais sa condamnation de première instance (plus sévère) a été rapportée dans divers journaux et accessible par tous en ligne.
Il a alors demandé en référé la suppression de sept liens, dont seulement trois avaient été, au préalable, signalés à Google, que ce dernier a refusé de déréférencer au regard des critères de sa politique de déréférencement.
Si le tribunal rappelle qu’en vertu de la loi de 1978 relatives à l’informatique et aux libertés[3], et ses articles 38 et 40, toute personne a droit à ce que ses données soient supprimées ou bien rectifiées si elles s’avèrent inexactes ou non pertinentes, ces dernières s’apprécient en proportion de l’intérêt poursuivi. Concernant cette affaire le tribunal a considéré que :
« les droits à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel doivent se concilier avec les droits à la liberté d’expression et d’information, ce dans la recherche d’un juste équilibre entre les droits de la personne concernée et l’intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à une information » (…) qu’un tel référencement concerne une information exacte, sur un sujet d’actualité récent, relatif à une fraude à l’assurance-maladie, participant ainsi du droit à l’information du public sur une affaire pénale, ce qui inclut l’identité de la personne ainsi mise en cause dans le cadre d’un procès public; – que, compte tenu de la date récente de la condamnation, le traitement des données n’est, à l’évidence, pas devenu inadéquat ou non pertinent ;
Est ici présente la désormais célèbre balance des intérêts, afin de restreindre le champ d’application du droit à l’oubli, dont on retrouve un exemple très récent donnée par la Cour de justice de l’Union européenne concernant les données du registre du commerce et des sociétés[4].
De plus et sans surprise, Google n’est pas déclaré responsable de ce référencement :
« Que la seule circonstance que les liens en cause ne permettent pas d’accéder à des articles faisant état que la peine a été réduite en appel ou qu’un pourvoi en cassation est en cours n’est pas de nature à justifier de contraindre en référé la société Google Inc »
Cependant, ce jugement renforce le rôle de Google lors de la procédure de déréférencement : en effet, il convient de s’adresser d’abord, à l’amiable, auprès de Google avant d’agir auprès du juge des référés. Pour résumer : pas de demande en référé sans avoir d’abord demandé à Google !
« Monsieur X. ne justifie pas d’un trouble manifestement illicite lui permettant d’agir en référé, puisqu’il ne démontre pas que la société Google Inc. aurait, malgré une demande sur ce point, refusé de déréférencer des liens de manière à l’évidence illicite » ;
Cette absence de demande préalable à Google justifie qu’il n’y ait pas de trouble manifestement illicite au sens de l’article 808 du code de procédure civile.
Ce jugement se situe donc dans la droite ligne de l’implication des parties prenantes de l’internet pour résoudre les « litiges de l’internet » [5].
Cependant, comme l’énonçait Laure Marino, « c’est une lourde responsabilité pour un acteur privé et cette privatisation me paraît inquiétante. N’est-ce pas le rôle du juge de faire la balance entre les droits fondamentaux en présence ? » [6].
Le rôle de Google est donc encore ici renforcé. Mais il est légitime de s’interroger quant à sa politique de déréférencement et de ses conséquences sur la protection de la réputation en ligne.
Même si ce dernier rend sa politique de plus en plus transparente, est-ce vraiment le rôle d’un moteur de recherche ? Comment vérifier ses critères de déréférencement ? Le choix de la soft law est-il le plus efficace pour les internautes ? [7]
La CNIL, dans son rapport d’activité publié le 27 mars 2017, rapporte que le premier motif de plainte est lié à la e-réputation, puisque 33% des demandes concernent une demande de suppression de contenu gênant. 410 plaintes reçues à la CNIL en 2016 pour refus de déréférencement.
Cette délégation aux moteurs de recherche en leur donnant le rôle de filtre peut sans doute s’expliquer par cet afflux, (ingérable ?) et récent de litiges concernant le droit à l’oubli.
Google est-il alors en passe de devenir le juge et partie du droit à l’oubli ?
Mélanie Cras
1ère année Master IP/IT
Sources :
[1] http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-131/12&language=FR
[2]https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-paris-ordonnance-de-refere-du-10-fevrier-2017/
[3]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000886460
[4] http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-131/12&language=FR
[5]http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=149924&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=365840
CJUE, C314/12, UPC Telekabel Wien GmbH
“En effet, ainsi que l’indique le considérant 59 de la directive 2001/29, dès lors que les services d’intermédiaires sont de plus en plus utilisés pour porter atteinte au droit d’auteur ou à des droits voisins, ces intermédiaires sont, dans de nombreux cas, les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. »
[6] Recueil Dalloz 2014 p.1680, Comment mettre en œuvre le « droit à l’oubli » numérique ? Laure Marino
[7] https://www.google.com/transparencyreport/removals/europeprivacy/?hl=fr (capture d’écran, chiffre pour la France, le 11 mai 2017).