Le droit est pour l’homme un moyen de réglementer une situation qui existe réellement. Il doit donc s’adapter aux avancées sociétales pour rester en phase avec les sujets qu’il régit.
Venez donc découvrir notre toute nouvelle série d’articles qui explore les problèmes juridiques créés par lien de conséquence avec le développement de nouvelles technologies.
Épisode 1 : La blockchain et ses applications.
L’année 2021 a été au sein de la sphère fiscale celle du développement et de l’avènement devant le grand public des NFT. On ne compte plus le nombre d’articles relatant la vente de représentations virtuelles d’œuvres d’art, de produits de modes, d’articles de journaux. Cette nouvelle technologie fait en effet la chronique grâce aux opportunités spéculatives qu’elle représente et les conséquences juridiques qu’elle entraîne.
Nous avons donc choisi de consacrer le premier article de notre série aux opportunités et conséquences juridiques rendues possibles par la blockchain et ses 2 applications les plus connues, les smart contracts et les NFTs.
Attention : cet article et les suivants n’ont pas pour vocation de couvrir l’ensemble du sujet mais de présenter certaines de ses conséquences qui nous paraissent intéressantes d’un point de vue juridique.
Commençons par l’invention qui a rendu toutes ces suivantes possibles : La blockchain et sa valeur probatoire.
I – L’influence de la blockchain sur le droit de la preuve.
La blockchain est comme son nom le laisse indiquer une chaîne de blocs. Chaque bloc constitue un ensemble de données qui vient s’ajouter chronologiquement sur une chaîne.
Jusqu’ici rien d’extraordinaire. Cependant, le stockage de cette chaîne repose sur des réseaux peer-to-peer (pair à pair). Cette méthode consiste en l’enregistrement de données non pas sur des bases de données de serveur personnels ou en ligne comme la plupart des informations aujourd’hui, mais en simultané en local sur tous les ordinateurs faisant partie de la chaîne. Ainsi, chaque modification de la chaîne sur un des pairs est automatiquement analysée en fonction des blocs enregistrés sur les autres pairs et rectifiée. Pour falsifier une information sur une blockchain, il serait ainsi nécessaire de la modifier sur plus de la moitié des ordinateurs du réseau.
Les informations stockées sur la blockchain sont donc extrêmement sécurisées et pratiquement infalsifiables, les moyens nécessaires pour hacker une chaîne enregistrée sur un grand nombre d’ordinateurs étant démesurés.
La question de la force probante de la blockchain s’impose ainsi naturellement. Si les informations possèdent un haut niveau de sécurisation, est-il possible de les invoquer devant une juridiction et selon quelles modalités ?
Pour répondre à cette question, il convient de se demander quel type d’informations sont stockées sur la blockchain. En effet, toute donnée n’a pas vocation à être enregistrée sur un bloc. Elle s’adapte ainsi à des données n’étant pas susceptible de modifications ultérieures. La plupart des blocs de la chaîne sont mémoire de transactions comme, par exemple, la blockchain Bitcoin qui enregistre toutes les ventes et achats de jetons bitcoins. Elle permet ainsi en théorie de fixer les informations liées aux contrats, aux ventes, …
Le problème de l’admissibilité devant les juridictions est aussi soulevé. Il est question de savoir si des informations enregistrées sur une blockchain pourraient faire office de preuve au cours d’un litige. Les textes ne mentionnent pas particulièrement la blockchain mais l’article 1366 du code civil donne aux écrits électroniques une valeur similaire aux écrits réels, « sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». Cette technologie répondant au critère d’intégrité, elle devrait représenter pour les entreprises un moyen de fixer leurs contrats et transaction de manière à s’en prévaloir facilement devant un juge. Cependant, elle n’a pas valeur d’acte authentique donc ce type de preuve sera soumis à l’appréciation in concreto du juge et n’emportera pas son approbation systématique.
C’est ce caractère infalsifiable des informations inscrites sur une blockchain qui permet des applications qui poseront leur lot de conséquences juridiques avec en première ligne les smart contracts et les NFTs.
II – La nature juridique des smart contracts.
Les smart contracts sont, contrairement à ce que leur nom laisse penser, non pas des contrats conclus en ligne mais des programmes implémentés sur la blockchain. Le smart contract consiste en un algorithme codé dans le protocole blockchain qui active automatiquement des conséquences à la réalisation de certaines conditions. Par exemple, il peut être utilisé pour enregistrer des conditions générales d’utilisations et avec les conséquences activées grâce au clic de l’utilisateur ou des transactions avec le transfert de propriété activé au paiement. Le smart contract permet ainsi notamment d’effectuer des transactions sans avoir recours à un tiers de confiance. Le transfert de propriété ne se fera pas avant le paiement et il sera automatique à partir de celui-ci.
La question de leur nature juridique se pose. Les smart contracts peuvent-ils être assimilés à des contrats et comment les appréhender ?
L’article 1109 du code civil définit les bases de la forme de la conclusion des contrats et notamment du contrat consensuel. Celui-ci est formé par le simple consentement des parties et son existence n’est pas subordonnée à l’existence d’une forme particulière. De plus, d’après l’article 1113 du code civil, « Le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. » Le simple actionnement d’une condition sur un programme ne peut cependant rendre compte d’une volonté de s’engager de la part des parties. Le smart contract en lui-même ne peut donc avoir la valeur juridique d’un contrat, il en constitue simplement la forme et a seulement un intérêt probatoire. De plus, si l’existence des contrats solennels est conditionnée à l’existence d’une forme déterminée par la loi, celle-ci ne s’est pas encore adaptée à la technologie des smart contracts. Il est cependant imaginable qu’il soit intégré à l’ordre juridique français de façon à ce que l’existence de certains contrats soit fonction de leur inscription dans la blockchain au moyen de smart contracts.
Si le smart contract n’a donc pas en lui-même la valeur juridique des contrats, il peut en constituer le support et donc apporter les garanties de la blockchain dans ce qui est lié au mode de preuve. Cependant, le caractère éternel et infalsifiable des données d’un contrat vient poser le problème de son cycle de vie. En effet, bon nombre de contrats ont une durée limitée dans le temps (ex : contrat de bail, contrat de dépôt, de prêt, …) et cette évolution de la vie du contrat si elle ne peut résulter d’une condition de la forme si … alors rendrait le smart contract obsolète à cause de son incapacité à s’adapter.
De plus, un contrat qui serait frappé de résolution ou d’annulation par un juge ne pourrait se résoudre que si le même type de conditions est initialement prévu et ne pourrait être annulé rétroactivement du fait de son existence inaliénable au sein de la blockchain.
Pour décider de formaliser ses contrats sur la blockchain, une personne physique ou morale devra donc prendre en compte tous ces éléments et le législateur aura pour mission de décider comment les appréhender dans ses décisions.
Une des applications les plus populaires de cette technologie des smart contracts est le développement en 2017 des NFTs.
III – Les NFTs et leurs possibles atteintes aux droits de propriété intellectuelle.
Le NFT, non-fungible token ou jeton non-fongible en français est ce que l’on appelle un actif numérique. Ces actifs ont été définis par l’article 86 de la loi PACTE du 22 mai 2019 et possèdent donc une existence juridique qui admet l’existence d’un droit de propriété sur eux et la possibilité de transmettre ce droit.
Souvent qualifiés de certificats d’authenticité, ils permettent d’établir la propriété d’une œuvre numérique et de contrôler sa commercialisation. Ils représentent un moyen pour les artistes et entreprises de donner une valeur à la représentation numérique de leurs œuvres/produits.
Comment créer un NFT ? Un NFT est créé grâce à un smart contract qui associe la qualification de l’œuvre et un lien URL menant vers celle-ci avec l’empreinte numérique de la personne qui le dépose et enregistre le tout sur la blockchain. Il certifie ainsi la propriété par son auteur de l’élément numérique enregistré derrière le lien.
Il existe un certain nombre de sites web tels que Mintbase.io qui permettent de déposer simplement des NFTs dans la blockchain Ethereum à la condition de posséder un portefeuille non vide (d’ether) sur celle-ci. Cependant, en explorant, on remarque qu’il n’est pas nécessaire d’être l’auteur d’une œuvre numérique pour la commercialiser. On doit ainsi se demander l’influence du NFT sur les droits de propriété intellectuelle de l’auteur de l’œuvre/du produit identifié.
En effet, il n’existe pas de législation spécifique liée aux NFTs réglementant la propriété de la personne sur l’actif numérique qu’il enregistre. Ainsi, chaque personne est libre de proposer à la vente un NFT portant sur une représentation numérique d’une œuvre ou d’un produit ou un produit ou une œuvre ayant uniquement une existence virtuelle (voir la brève sur le dépôt de 7 marques pour l’utilisation virtuelle par Nike) en violation des droits de l’auteur ou du propriétaire de la marque.
Les règles habituelles de la contrefaçon s’appliquent logiquement ici et imposeraient une réparation pour parasitisme à l’auteur du NFT. Cependant, le caractère infalsifiable de la blockchain empêcherait la sanction du retrait de l’objet contrefait du commerce. Le NFT ne peut être retiré de la blockchain et l’atteinte aux droits de l’auteur ou du propriétaire de la marque est condamnée à continuer.
Néanmoins, l’intérêt d’un NFT repose dans l’identification de la personne qui le dépose. Le public concerné s’intéresse à la possession d’un actif numérique sur lequel l’auteur a apposé sa signature numérique. Ainsi, comme la vente d’une photo d’une œuvre n’aura une valeur importante que si elle est signée par l’artiste, les atteintes aux droits d’auteur par les NFTs sont limitées par la faible valeur de jetons pour lesquels l’identification n’est pas celle du producteur.
Jean SOUQUET-BASIEGE
SOURCES :
https://www.contractchain.io/la-blockchain-et-le-droit-de-la-preuve/
https://beaubourg-avocats.fr/preuve-et-blockchain/
https://cryptoast.fr/qu-est-ce-qu-un-smart-contract-contrat-intelligent/
https://www.actu-juridique.fr/affaires/le-smart-contract-acte-ou-hack-juridique/
https://cryptoast.fr/blockchain-valeur-juridique-smart-contracts/
https://www.actu-juridique.fr/civil/obligations-contrats/le-smart-contract-a-lepreuve-des-standards-juridiques/
https://www.cnews.fr/vie-numerique/2021-05-04/les-oeuvres-nft-vous-appartiennent-elles-vraiment-1077525
https://cryptoast.fr/transformer-actifs-en-non-fungible-tokens/
https://cryptoast.fr/nft-contrefacon-risque-emetteur-nft-auteur/
https://ddg.fr/actualite/vos-contrats-ip-sont-ils-nft-compatibles/