L’homme de la rue entend de plus en plus depuis quelques années parler de l’e-sport, ou sport électronique, une nouvelle tendance amenant au rang de sport la pratique de certains jeux vidéo (ou pratique vidéoludique, comme disent les initiés). Une tendance qui a mené la presse à se poser de nombreuses questions, amenant à des réponses plus ou moins évidentes, voire même à d’autres questions.
L’e-sport est-il devenu un sport comme les autres ? Étrange question qui a pourtant su naître sous la plume de journalistes[1] dans une légitime interrogation. Etymologiquement, l’e-sport se rattache bien évidemment aux disciplines sportives. Ses défenseurs s’en revendiquent même. Mais est-ce vraiment le cas ? Et quelle est vraiment la définition de cette pratique si répandue qu’elle en est venue à intéresser le législateur ?
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Bien des questions se posent lorsqu’il s’agit de définir cet étrange phénomène qui a su remplir des stades à travers le monde, et les journalistes spécialisés peinent eux-mêmes à définir le terme[2]. On pourrait s’aider de la définition donnée par l’encyclopédie participative Wikipédia, qui pose l’e-sport comme étant « la pratique sur Internet ou en LAN-party d’un jeu vidéo seul ou en équipe, par le biais d’un ordinateur, d’une tablette, d’un smartphone ou d’une console de jeux vidéo« . Mais cette définition, si elle a le mérite de poser des points importants du sujet (la pratique vidéoludique d’une part et le caractère multijoueur de l’autre), se révèle trop simpliste. Elle ne tient en effet pas compte du facteur compétitif et du facteur chance, deux points qui distinguent foncièrement l’e-sport du sport en lui-même.
De la naissance à la définition de l’e-sport
Pourquoi en effet nommer e-sport la simple pratique vidéoludique à plusieurs? Les jeux multi-joueurs comme Mario Kart ont préexisté à l’e-sport de bien des années, et on ne saurait ramener à l’e-sport le moindre affrontement entre amis sur Street Fighter. Il est tout de même vrai que c’est cette explosion des jeux multi-joueurs couplée à un usage plus répandu de la console et des ordinateurs dans les foyers qui a permis le développement du sport électronique.
On considère généralement que la première compétition e-sportive fut le tournoi « Red Annihilation » organisé par Microsoft lors de la convention « Electronic Entertainment Expo » (E3) de 1997, à Los Angeles. La même année aux Etats-Unis, la » Cyberathlete Professional League » (CPL) organisa son premier tournoi alors que naît dans le même temps l' »Electronic Sport League » (ESL).[3] Les enjeux ne sont encore que très maigres, quelques milliers de dollars de lots tout au plus, mais la passion est là, marquant le départ d’un impressionnant mouvement. À Séoul en 2000 a lieu le premier World Cyber Games Challenge, co-organisé et sponsorisé par Samsung. En 2001, la CPL World League est sponsorisée par Intel. Et ce sont ces sponsors des nouvelles technologies et du numérique qui vont apporter les moyens nécessaires à la concrétisation du rêve e-sportif. La valeur des prix augmente, la taille des manifestations de même. 10 ans plus tard, le nombre de jeux concernés a explosé, les conventions liées au jeu vidéo et à l’e-sport se sont multipliées, et leur succès est indéniable. Les championnats du monde du jeu League of Legends remplissent les gradins de lieux sportifs célèbres comme le Staples Center de Los Angeles ou la Mercedes-Benz Arena de Berlin.
L’e-sport est donc intrinsèquement lié à la compétition et au sponsoring. L’ampleur financière du domaine acquis au fil des années, le succès populaire et les stades emplis sont d’ailleurs autant d’arguments que les défenseurs du sport électronique brandissent pour qu’il acquière une légitimité aux yeux du public. Plus encore, pour qu’on reconnaisse l’e-sport comme un « vrai » sport. Après tout, des médias sportifs comme L’Equipe ou beIN Sports n’ont-ils pas désormais des sections e-sport?[4] Et comment remettre en cause la dextérité dont font preuve les joueurs professionnels, leurs réflexes, leur force mentale et leur précision en jeu?
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Il faut hélas refroidir l’ardeur desdits défenseurs. Au-delà du fait qu’un sport se définit classiquement comme une « activité physique visant à améliorer sa condition physique »[5], et ne se définit donc pas par son potentiel compétitif, la présence d’un facteur chance trop développé dans bon nombre de jeux e-sportifs les séparent de la qualification de sport.
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Comment en effet ne pas parler de la « RNG » (Random Number Generator), cet aléa présent dans de nombreux jeux, et pouvant décider de l’échec ou de la réussite critique d’une action ? Dans League of Legends, une partie peut parfois se jouer sur la réussite critique d’une attaque… Due à la chance. Dans Hearthstone, le jeu de carte en ligne de l’éditeur Blizzard, la main de départ et la nature des cartes tirées au fil de la partie sont des inconnues parfois, si ce n’est souvent, décisives à l’obtention de la victoire. Bien sûr, on pourra opposer à cet argument que le sport connaît ses aléas, comme le vent au tennis ou au golf. Mais si le joueur de tennis apprend à jouer du vent comme le joueur de Hearthstone de la RNG, ce n’est pour le premier qu’une éventualité alors que l’aléa est inscrit dans les gènes du second, quand bien même la maestria du joueur prédominerait sur le hasard.
A la question « L’e-sport est-il devenu un sport comme les autres ? », nous serions donc tentés de répondre qu’il ne s’agissait déjà pas d’un sport à l’origine.
Mais au final, pourquoi se poser cette question ? Ne pourrait-on pas laisser à d’autres de telles interrogations ? Non. Pourquoi ? Tout simplement parce que sur de telles questions reposait celle, primordiale, de l’encadrement du sport électronique.
Car encadrement il fallait : ne rentrant pas dans le régime légal du sport, l’e-sport n’a pas attendu que le législateur lui prête attention pour se développer. S’il fut un temps à craindre un élargissement du cadre des compétitions sportives à ce sport électronique qui n’en est pas un, le législateur a écarté ces craintes en développant un régime propre et adapté à l’e-sport. C’est donc finalement la loi pour une République numérique du 7 Octobre 2016 qui aura su apporter les réponses à deux grandes questions trop longtemps restées en suspens : Quel encadrement pour les compétitions e-sportives et quel statut pour les joueurs professionnels de jeux vidéo?
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La création d’un régime des compétitions e-sportives
Depuis la loi sur la consommation de 2014 et l’élargissement de la notion de loterie, les compétitions risquaient en cas d’exigence de sacrifice financier de l’organisateur de tomber sous le coup de l’interdiction de principe de cette pratique.[6] Une épée de Damoclès qui risquait sans nul doute de freiner le développement du sport électronique en France.
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L’article 101 de la loi du 7 Octobre 2016 résout ces problèmes en donnant une définition à la compétition e-sportive. Ainsi, « une compétition de jeux vidéo confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire ». La disposition et celles qui suivent sont ainsi inscrites aux articles L.321-8 et suivants du code de la sécurité intérieure. Le régime ainsi créé protège du régime prohibitif des loteries les compétitions d’e-sport quand elles sont organisées en la présence physique des participants, et que les droits d’inscriptions ou autre sacrifice financier n’excèdent pas un taux du coût d’organisation de la compétition (sinon quoi les organisateurs devront prouver le reversement de la totalité des gains en jeu). La disposition vise ainsi à éviter les détournements de fonds au sein de trop grandes compétitions. La loi exclut de plus les compétitions en ligne du régime des loteries. Enfin, elle permet la participation de joueurs mineurs aux compétitions, conditionnée à l’accord du représentant légal. Une disposition bienvenue quand on connaît le jeune âge de certains grands joueurs.
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La création d’un statut pour les joueurs professionnels
Au-delà du régime des compétitions se posait également la question du statut du joueur professionnel de jeu vidéo compétitif. C’est en effet un véritable Mercato vidéoludique qui s’est développé depuis une dizaine d’années, mais faute de statut adapté, les joueurs étaient obligés de créer une société à laquelle l’équipe e-sportive facturait des prestations. Ces prestations étaient en fait leur participation à des interviews ou la mise en avant de sponsors, et n’incluaient par leur entraînement. L’employeur ne pouvait donc pas forcer le joueur à s’entraîner, faute d’un lien de subordination. Pourquoi donc préférer ce complexe modèle à un CDD? Tout simplement parce que l’absence de cadre créait un risque de requalification du contrat en CDI[7].
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La loi répond aux attentes des professionnels en son article 102 en créant au sein du code du travail un statut de joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif. Ce statut, inspiré de celui des sportifs de haut niveau, permet enfin au joueur professionnel, défini comme « toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique » de bénéficier d’une protection sociale, grâce à la création d’un régime adapté au CDD e-sportif. Exit auto-entreprises et autres SAS, bonjour lien de subordination.
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Ces adaptations sont la bienvenue pour un milieu qui se développe et cherche surtout à toucher un public plus traditionnel avec des émissions spécialisées apparaissant sur le petit écran, et des clubs sportifs renommés qui se lancent dans l’aventure e-sportive, comme le PSG qui a officiellement lancé son équipe e-sportive en octobre dernier[8]. La SNCF elle-même vient de lancer une équipe composée de ses propres salariés[9] (sans doute dans une optique amateure plus que professionnelle, mais l’intention est là).
Le train « E-sport » est parti pour ne plus s’arrêter. Il est plus que bienvenu qu’il ait trouvé ses rails.
Pierre-Yves Thomé
1ère année Master IP/IT
[1] http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/jeux-video/l-e-sport-est-il-devenu-un-sport-commelesautres_1883281.html
[2] http://www.team-aaa.com/tmn/news-37539-0-1-comment_dcfinit_on_un_jeu_esport_o.html
[3] http://www.millenium.org/home/esport/esport/histoire-de-l-esport-des-premices-du-sport-electronique-a-la-mondialisation-85421
[4] http://www.lequipe.fr/Esport/ , http://www.beinsports.com/france/esport/
[5] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sport/74327
[6] https://www.nextinpact.com/news/99219-les-pistes-rapport-parlementaire-pour-encadrer-sport-electronique.htm
[7] http://www.thierryvallatavocat.com/2016/10/modeles-de-contrats-esports.html
[8] http://www.leparisien.fr/sports/voici-l-equipe-2-0-du-psg-21-10-2016-6234645.php
[9]http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2017/03/09/32001-20170309ARTFIG00240-voyages-scnf-cree-une-equipe-d-e-sport-avec-ses-propres-salaries.php
Je comprends mieux, j’avais du mal à comprendre toutes les nuances