Illustration d’un marché de la mode en évolution : l’affaire Zara

Il n’est plus à prouver que la mode est un marché à elle toute seule, et la question du droit des marques est alors primordiale. Traditionnellement, la marque a pour fonction essentielle de garantir au consommateur, ou à l’utilisateur final, l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (CJCE, 22 juin 1976, C-119/75 , Terrapin). La fonction essentielle d’une marque est donc de garantir que si plusieurs produits portent la même marque, c’est parce qu’ils proviennent de la même entreprise (ils ont donc la même origine industrielle, commerciale).

Les marques doivent être enregistrées auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) pour obtenir une protection à l’échelle européenne.

Les chambres de recours de l’EUIPO sont chargées de statuer sur les recours formés contre les décisions prises en première instance par cet organisme, concernant les marques de l’Union européenne et les dessins ou modèles communautaires enregistrés. Les décisions des chambres peuvent, à leur tour, faire l’objet d’un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, dont les arrêts peuvent donner lieu à un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne (UE). 

En l’espèce, le 11 avril 2019 dernier, la CJUE a rendu un arrêt scellant une décennie de procédure concernant le groupe Inditex, et plus particulièrement sa première enseigne : Zara.

La partie requérante est Industria de Diseño Textil, SA (Inditex), établie à Arteixo (Espagne), représentée par Mes G. Marín Raigal, G. Macías Bonilla, P. López Ronda et E. Armero Lavie, avocats. La partie défenderesse est l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. V. Ruzek, en qualité d’agent. Les autres parties à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été Zainab Ansell et Roger Ansell, demeurant à Moshi (Tanzanie), ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 5 juillet 2017.

 

Les faits

Le 27 avril 2009, Mme Zainab Ansell et M. Roger Ansell ont présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle pour le signe figuratif ZARA TANZANIA ADVENTURES dans les classes 39, 41 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services. 

La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 2009/031, du 17 août 2009. Quelque jours après, le 31 août 2009, la requérante, Industria de Diseño Textil, SA (INDITEX), a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement n°207/2009 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement de la marque demandée pour tous les services visés. En effet, la marque antérieure ZARA, marque notoire, est déposée depuis 2001 pour les produits concernant la classe 25 (vêtements, chaussures, etc) et depuis 2005 concernant les services relevant de la classe 35 (services de vente dans le commerce, services de gestion d’affaires, etc) et 41 (formation, divertissement, etc.)1

La fonction essentielle de la marque doit être protégée. En l’espèce, pour Inditex, elle est menacée, car il y a usage par un tiers d’un signe non identique mais similaire, même si cela s’applique à des produits ou services différents. Il va falloir alors mettre en évidence le risque de confusion dans l’esprit des consommateurs.

Inditex, dont la première enseigne est Zara, a allégué une violation de l’article paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 (devenu article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001) qui prévoit : « la marque demandée est également refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à la marque antérieure et si elle est destinée à être enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, elle jouit d’une renommée dans la Communauté et, dans le cas d’une marque nationale antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice2. ». Ainsi 3 conditions sont à respecter : 1) les marques en conflit doivent être identiques ou similaires; 2) il faut prendre en compte l’intensité de la renommée des marques antérieures; et 3) il doit exister un risque que l’utilisation tire indûment avantage du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou lui porte préjudice.

Sur le point de savoir s’il y a similarité entre le signe « zara tanzania adventures » et « zara », la CJUE a confirmé l’appréciation de la chambre de recours à savoir que ces deux signes étaient globalement similaires, car une partie du public verrait la différence, mais l’autre pas.

Concernant l’intensité de la renommée des marques antérieures, il n’y a pas de doute à avoir : la marque Zara est notoire, et la requérante aurait même pu parler d’une intensité exceptionnellement élevée. Elle ne l’a pas fait, seul sera retenu que la marque antérieure avait une grande renommée.

Sur le dernier point, il n’est pas nécessaire de démontrer le préjudice réel et actuel, mais la preuve d’un risque futur.  

Compte tenu du fait que l’existence de l’un des trois risques est suffisante pour appliquer l’article 8, paragraphe 5, du règlement n°207/2009, il y a lieu d’accueillir la demande d’Inditex. 

Mais le point intéressant qu’a soulevé Inditex concerne les critères actuels de contrôle des signes. En effet, on dégage habituellement trois hypothèses3 : 

  • Usage par un tiers d’un signe identique pour des produits ou des services non identiques mais similaires ;
  • Usage par un tiers d’un signe non identique mais similaire pour des produits ou des services identiques;
  • Usage par un tiers d’un signe non identique mais similaire pour des produits non identiques.

Or,  Inditex a affirmé avoir fourni4 des éléments de preuve démontrant que la tendance actuelle en ce qui concerne les marques de mode est qu’elles évoluent en dehors du marché de la mode vers des marchés adjacents, tels que la restauration, les services de restauration, les hôtels et les hébergements temporaires. De plus, les magazines de mode ont tendance à combiner articles de mode et de voyage. Sur les réseaux sociaux, les influenceurs voyagent dans le monde entier pour commenter les vêtements et les accessoires qu’ils portent pendant leurs voyages et le voyage lui-même, y compris leurs destinations, hôtels et restaurants. 

Ainsi,  même si les classes concernées sont différentes à l’enregistrement, il n’est pas dit qu’en réalité il n’y ait pas une sorte de fusion des marchés, qui rendraient ces limites obsolètes…

Flora Dornel

1http://ipkitten.blogspot.com/2019/04/the-trade-mark-adventures-of-zara.html

 

2https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32009R0207

 

3 UNJF droit des marques : les droits du titulaire d’une marque Pr Jean-Pierre Clavier

4http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=8433CB1EA035B2C9FB3B752CF2F18F3C?text=&docid=212884&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=110870

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