LA 4DX : une possible atteinte à l’intégrité de l’oeuvre ?

« Les gens qui altèrent ou détruisent nos œuvres d’art et notre héritage culturel pour le profit ou l’exercice du pouvoir sont des barbares » affirmait George Lucas, en 1988 lors d’un discours devant le Congrès américain, pour s’opposer à la colorisation des classiques du cinéma.

La société sud-coréenne CJ 4DPLEX propose avec la 4DX une vision du film faisant appel aux cinq sens du spectateur. Elle prétend que cette expérience permet de vivre les films de manière plus immersive : les fauteuils bougent, le vent se lève, l’eau vous mouille etc. La première salle française a ouvert le mercredi 15 mars 2017 au Pathé la Villette à Paris. Le programme est constitué pour l’instant des derniers Blockbusters tel que Logan ou Kong : Skull Island.

.

L’article L121-1 du Code de propriété intellectuelle dispose que : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. »[1] Le lien fort existant entre l’oeuvre et son auteur permet à ce dernier d’opposer son droit moral à toute atteinte portée à son intégrité, ici le droit au respect de l’oeuvre. L’intégrité se caractérise notamment par des modifications ou des ajouts dans la présentation de l’oeuvre au public.

La Cour de cassation a, de nombreuses fois, retenu l’atteinte portée à l’intégrité de l’oeuvre quand celle-ci avait été modifiée sans l’accord de l’auteur. On peut retenir en ce sens l’arrêt Le Kid[2] où le juge avait considéré l’abus dans l’ajout d’une musique au film muet de Chaplin pour permettre une meilleure vente de l’oeuvre. De même, dans l’affaire Huston[3] la Cour de cassation avait considéré qu’une colorisation d’un film en l’absence de l’accord de l’auteur constituait une atteinte à l’intégrité de l’oeuvre.

En effet, en droit français le producteur de l’oeuvre n’a nullement la qualité d’auteur, il bénéficie seulement d’une présomption de cession des droits d’exploitation. Mais l’auteur ou les auteurs, souvent nombreux dans la réalisation d’une œuvre audiovisuelle, conservent même après la cession de leur œuvre au producteur, un droit moral sur celle-ci. Ils conservent le droit de s’opposer à toute modification, ajout, colorisation, etc. Le producteur devenu propriétaire après la cession des droits sur l’oeuvre ne jouit pas d’un complet abusus. Il ne peut pas faire ce qu’il veut de l’oeuvre. Le droit italien montre bien cette conception, la loi du 22 avril 1941 dispose en son article 20 qu’ « indépendamment des droits exclusifs d’exploitation économique de l’oeuvre prévus dans les dispositions de la section précédente, et même après la cession de ces droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’oeuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation, ou autre modification de l’oeuvre et à tout atteinte à la même œuvre qui pourraient être préjudiciables à son honneur ou à sa réputation. »[4]

.

Pour la 4DX se posera sûrement la question de l’atteinte à l’intégrité de l’oeuvre. En effet, comme la problématique de la colorisation qui a été considérée par la Cour de cassation comme une atteinte à l’intégrité quand elle est faite postérieurement sans l’accord de l’auteur ou de ses ayants-droit, la mise en place de la 4DX pourrait elle aussi être considérée comme une atteinte à l’intégrité de l’oeuvre quand elle est opérée sans l’accord de l’auteur ou de ses ayant-droits. En effet, le problème n’est pas seulement que l’oeuvre est en elle-même modifiée par l’ajout d’une mise en scène en 4 dimensions mais aussi que les synchronisations des effets de la salle avec le film ne sont pas faites par l’auteur mais par la société CJ 4DPLEX qui le fait en postproduction avec l’accord du producteur. « L’animation est spécialement chorégraphiée conjointement à l’action qui se tient à l’écran. Ainsi, lors d’une scène de course poursuite, les fauteuils s’inclinent pour simuler la suspension en l’air et les spectateurs reçoivent des souffles d’air pour simuler la vitesse de l’action »[5].

Pour l’instant, cette technologie ne semble pas poser de problèmes juridiques face au droit moral de l’auteur car seuls des films américains ont été chorégraphiés. En effet, aux États-Unis le Copyright Act de 1976 offre au producteur un régime juridique très favorable par la mise en place du  « work made for hire » qui permet « au producteur d’une oeuvre audiovisuelle de devenir le titulaire initial du droit d’auteur sur l’oeuvre cinématographique »,[6] cela n’est pas une simple présomption de titularité, comme en droit français, mais bien une qualification « d’employeur», du titre d’« auteur» »[7]. Lorsque les conditions de cette théorie sont remplies, « le producteur est investi de tous les droits sur l’oeuvre cinématographique et les coauteurs apparaissent comme de simples exécutants qui ne bénéficient pas du droit d’auteur, ni même d’un droit moral, sur leurs oeuvres. »[8]

Par conséquent, les films ayant déjà été soumis à la mise en scène du 4DX ont pour titulaire des droits le producteur et leurs auteurs sont certainement déjà privés de toute action contre cette mise en scène. Mais en droit français, la question reste ouverte car le droit moral reste une prérogative forte offerte à l’auteur pour empêcher les dénaturations de son œuvre comme la colorisation dont la 4DX est une sorte de cousine éloignée pour certains amoureux du Cinéma. Si un litige sur la 4DX oppose un jour un auteur à son producteur la Cour de cassation devra décider si cette technologie est un véritable ajout au film ou une modification en postproduction ou simplement une manière de présenter un film telle que l’Imax ou la 3D.

Clarisse Heslaut

1ère année Master IP/IT


Sources :

[1] Code de Propriété intellectuelle, article L121-1

[2] CA Paris, 29 avril 1959 (à propos du film The Kid de Charly CHAPLIN)

[3] Civ. 1ère, 28 mai 1991 : Bull. civ. I, n° 172 – D. 1993. 197, note Raynard.

[4] L’étendue des droits du producteur d’une oeuvre audiovisuelle en Europe, Frederica SAINTE-ROSE, Gazette du Palais –  16/05/2006 –  n° 136 – page 32 ID : GP20060516G1185

[5]Présentation de la 4DX, Cinemas Gaumont Pathé,  https://www.4dx.cinemasgaumontpathe.com

[6]L’étendue des droits du producteur d’une oeuvre audiovisuelle en Europe, Frederica SAINTE-ROSE, Gazette du Palais –  16/05/2006 –  n° 136 – page 32 ID : GP20060516G1185

[7]Ibid

[8]Ibid

MasterIPIT