La blockchain et le droit : Quelles opportunités de régulation pour le législateur ?

Cela fait maintenant plusieurs mois que la technologie blockchain secoue la planète financière ; qui n’a pas entendu parler des nouveaux millionnaires du bitcoins n’a pas allumé son ordinateur depuis un certain temps, et ne s’en porte peut-être pas moins bien. En effet, l’envolée de la valeur des monnaies électroniques  – un bitcoin valait 17 000$ en décembre dernier – et les dérives qui semblent y être liées viennent poser la question de l’encadrement de la blockchain, dont les domaines d’application sont en réalité bien plus vastes que la finance. Pour cela, il s’agit de comprendre en quoi cette technologie consiste et quelles en sont les potentialités. Cet article vise davantage à appréhender la blockchain dans son ensemble que l’une de ces applications particulières – il ne pourra donc être exhaustif.

 

  • Présentation et potentialités de la blockchain

 

Qu’est ce que la blockchain ? Du berger comptant ses moutons sur une tablette d’argile au IVème millénaire avant J.-C. à l’inscription des entreprises au registre du commerce et des sociétés aujourd’hui, il ne saurait être rappelé l’importance de tenir un registre au sein d’une société organisée. À titre d’exemple, il en va des moyens probatoires lors de procès, ou encore de bien organiser et donc faire fructifier son commerce. On considère ici le registre dans un sens large, comme un support destiné à répertorier des faits, des noms ou encore des chiffres.

 

Or, la blockchain n’est en réalité qu’une nouvelle manière de tenir un registre. Y sont stockées des valeurs ou des données issues de transactions faites à un instant t par ses membres, chaque transaction étant validée ensuite par différents acteurs de la chaîne. Ces données sont ensuite fixées définitivement dans un bloc ; ledit bloc vient s’ajouter alors à un chaine de blocs organisés chronologiquement. C’est une technologie dite décentralisée – il n’y a pas de tiers de confiance comme une banque pour la tenir – et partagée. Elle doit être totalement transparente et accessible pour tous les acteurs y participant – qui peuvent en garder une copie – ce qui assure également sa sécurité. Enfin, elle est dite infalsifiable, en raison des techniques cryptographiques employées afin de valider chaque bloc en plusieurs lieux différents, les noeuds.

 

Il existe des blockchains privées et publiques qui amènent des problématiques juridiques différentes. La première est établie entre des acteurs d’un secteur qui souhaitent s’échanger des informations de manière privée, sans passer par des intermédiaires, et efficacement. La seconde nous intéresse davantage ; une blockchain publique est, selon les termes du mathématicien Jean-Paul Delahaye, « un très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible ». Cette dernière fonctionne à l’aide de jetons (token) ou d’une monnaie électronique (à l’instar du bitcoin). Elle permet par exemple d’automatiser les transactions en supprimant les tiers, mais peut tout aussi bien constituer une infrastructure de certification et de notarisation.

 

Si l’on s’intéresse désormais à ses aspects plus juridiques, la blockchain est un mode de preuve non négligeable en raison de son caractère infalsifiable. Elle repose sur une méthode procédant au chiffrement asymétrique des données, à l’instar des signatures électroniques, et répondrait donc au règlement européen relatives à celles-ci (eIDAS n°910/2014).

 

Il faut évoquer également la possibilité d’établir des smart contracts, des programmes informatiques reposant sur la blockchain qui permettent une exécution des conditions et termes d’un contrat – écrit sous la forme d’un algorithme – sans intervention humaine. Il est possible de prendre l’exemple d’une personne qui louerait son appartement : dès que les conditions requises seraient remplies par un potentiel locataire intéressé, la porte lui serait ouverte électroniquement sans que le propriétaire n’ait à se déplacer pour lui confier les clés. Ce type d’application pose des questions quant au consentement des parties mais aussi quant à l’exécution du contrat en soi.

 

  • Quelle régulation envisager ?

 

La technologie blockchain connait des champs d’application pratiquement illimités, et ne nécessite pas, en principe, de tiers de confiance (1). De ce fait, des acteurs qui font l’objet d’une forte régulation pourraient être remplacés à terme ; on pense aux banques mais aussi aux notaires ou au cadastre. Il s’agit donc de savoir comment réguler une technologie qui repose sur un système informatique distribué, qui plus est dans des domaines où la régulation est forte aujourd’hui.

 

Il se trouve que l’État français a été précurseur en la matière avec les lois Macron du 6 août 2015 et Sapin II du 9 décembre 2016. La première a permis la dématérialisation des bons de caisse – ou mini-bons – sur des blockchains. Ces titres sont émis par les PME à capitaux privés pour se financer sur des plateformes de financement participatif. Les petites entreprises demandaient depuis longtemps un cadre règlementaire plus souple en ce sens ; la blockchain est donc rapidement devenue un outil incontournable sur ces plateformes, permettant l’authentification des transactions par le biais de l’enregistrement sur un registre distribué. La loi Macron a ainsi été à l’origine d’une recrudescence de la confiance des investisseurs dans ces plateformes, mais aussi d’un contrôle simplifié des intermédiaires par le régulateur. La loi Sapin II a pour sa part habilité le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance afin de réformer le régime de représentation et de transmission des titres non cotés pour l’adapter à la technologie blockchain. C’est cette loi qui fait donc de la France un État précurseur en la matière ; elle a cependant suscité une levée des boucliers chez les notaires qui y ont vu une concurrence potentielle, et donc la probable fin de leur monopole.

 

D’un point de vue plus général, la régulation doit dépendre du caractère public ou privé de la blockchain ; les règles de fonctionnement dépendent de son degré d’ouverture : plus la chaine est ouverte, moins il y a de gouvernance, et inversement. De ce fait, la régulation est bien plus complexe à mettre en place pour une blockchain publique – aussi bien techniquement que d’un point de vue idéologique – celle-ci échappant à toute gouvernance, que pour une blockchain privée. En effet, cette dernière est souvent le fait d’un organisateur ou d’une institution qui conserve une certaine maîtrise sur la chaîne, et peut donc être l’objet de sanctions si des règles viennent à être établies. Une analogie avec le régime de responsabilité des acteurs d’Internet est tentante pour certains aspects, et notamment sur des questions de droit international privé.

 

Par ailleurs, les champs d’application étant extrêmement larges, il faut donc adapter la régulation selon le domaine visé, notamment s’il concerne une profession règlementée. Pour le moment, les affaires qui tombent sur les bureaux des avocats sont bien souvent traitées par analogie – et cela peut être satisfaisant pour ne pas avoir à adopter de nouveaux textes. Mais l’ampleur de cette technologie et la possibilité de supprimer tout intermédiaire risquent de rendre cette méthode obsolète à terme. Toujours est-il que deux logiques s’affrontent, comme pour Internet en son temps : celle de la liberté d’innovation qu’il ne faut pas alourdir de règlementations, et celle de la mise en place de mécanismes de protection. Reste à savoir quelle autre opportunité saisira le législateur afin de s’emparer de cette question.

 

Gaspard De Laubier

 

 

(1) Il faut en réalité nuancer ce propos, des intermédiaires s’étant constitués, afin de faciliter l’acquisition de monnaies électroniques par exemple.

 

Bibliographie

  • Blockchain France, « Qu’est ce que la blockchain ? »
  • Blockchain France, « Blockchain et droit »
  • Guy Canivet, « Blockchain et régulation », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 36, 7 Septembre 2017, 1469
  • https://www.actualitesdudroit.fr/browse/tech-droit/blockchain/8960/projet-d-ordonnance-blockchain-titres-financiers-un-cadre-plus-sur-pour-la-blockchain

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