S’est tenu le 16 janvier 2019 un colloque organisé par le Master 1 Droit des affaires de l’Université de Sceaux, regroupant des avocats, des professeurs et des entrepreneurs spécialisés dans la blockchain et dans la cryptomonnaie.
Étaient présents Alexandre Stachtchenka, co-fondateur de Blockchain Partner; Véronique Magnier, professeur agrégé de l’Université Paris-Saclay ; maître Jérôme Deroulez, avocat spécialisé en blockchain et cryptomonnaie et William Fauchoux, CEO de BlockchainyourIP.
Tous s’accordent à dire que les juristes doivent être au cœur de la blockchain, mécanisme complexe et vaste. C’est un mouvement qui a totalement bouleversé la vie juridique et la vie entrepreneuriale. Il s’agit d’un univers protéiforme en pleine croissance, mal connu du grand public.
Il s’agit alors de s’interroger afin de savoir : Qu’est-ce que la blockchain ? Comment est-elle réglementée? Quels sont ses enjeux ?
L’histoire de la blockchain
La blockchain s’est construite autour de cinq innovations majeures depuis 2008. Retraçons la montée fulgurante de cette innovation désormais incontournable.
La première innovation majeure de la blockchain a été le bitcoin, en 2008. C’est une monnaie virtuelle créée par plusieurs programmes informatiques « Satoshi Nakamoto », qui s’échange sur des plateformes en ligne de personne à personne contre d’autres devises monétaires, en dehors des réseaux bancaires traditionnels(1).
La deuxième innovation est la blockchain en tant que telle. On s’est rendu compte que la monnaie pouvait être séparée de la technologie en elle-même.
La troisième innovation concerne le “smart contract”. C’est un contrat basé sur les mêmes principes qu’un contrat traditionnel mais qui ne dispose d’aucune autorité juridique. Il ne nécessite l’intervention d’aucun tiers de confiance. La plateforme du smart contract, Ethereum, a aujourd’hui une capitalisation boursière de presque 70 milliards de dollars.
La quatrième innovation est la “proof of stake” (preuve de participation), philosophie de la blockchain. En effet, les blockchains actuelles sont sécurisées sur la “proof of work”, système où le groupe totalisant la plus grande puissance de calcul informatique prend les décisions. Ces groupes appelés “mineurs” gèrent de vastes data centers pour fournir cette sécurité, en échange d’un paiement en cryptomonnaie.
La cinquième innovation est la “blockchain scaling” (mise à l’échelle de la blockchain). Aujourd’hui, chaque ordinateur du réseau traite une transaction, il faut donc mettre à jour le système de la blockchain pour que les transactions soient plus rapides, sans sacrifier la sécurité(2).
Les principes de la blockchain
La blockchain est “un grand livre de comptes, partagé sur les ordinateurs de tous ses utilisateurs”(3).
La blockchain est une technologie transparente, décentralisée et sécurisée, qui a pour objectif le stockage et la transmission d’informations.
C’est un système reposant sur le réseau « peer-to-peer » (pair à pair), c’est-à-dire que tous les membres (appelés nœuds de réseau) d’une blockchain peuvent lire et écrire sur le registre.
C’est une technologie pertinente pour l’activité d’une entreprise. En effet, elle permet le partage de données statistiques, plusieurs parties prenantes doivent avoir accès à un même ensemble d’informations ; le partage de données dynamiques, les informations partagées peuvent être modifiées doivent être mises à jour et accessibles ; le partage de données sécurisées, les informations et leur mise à jour doivent être fiables.
Elle permet aussi de supprimer des intermédiaires tendant à réduire les coûts, la complexité et les délais pour enregistrer les données et leur mise à jour. Cela tend à augmenter l’efficacité, présentant ainsi un enjeu business.
La blockchain nous donne la possibilité d’imaginer un monde où les contrats seront encodés numériquement et stockés dans des bases de données transparentes, partagées, à l’abri de toute destruction, falsification ou modification. C’est pourquoi il faut la réglementer de manière stricte et rigoureuse.
La réglementation de la blockchain
Il est nécessaire de réglementer la blockchain pour éviter une supervision unique, pour harmoniser le système et pour qualifier juridiquement les termes de la blockchain.
En général, la réglementation ne concerne pas la technologie blockchain en elle-même mais plutôt ses utilisations. La réglementation tend à rester neutre sur le plan technologique.
Il n’existe pas de réponse réglementaire internationale harmonisée sur l’utilisation de la blockchain, ni d’approche européenne unique. Il faut impérativement une analyse réglementaire pays par pays.
En ce qui concerne la France, elle a adopté une stratégie permettant l’adaptation au fur et à mesure du déploiement de la blockchain. En 2016, la France a été le premier pays à légiférer, avec une loi sur le financement participatif autorisant l’utilisation de la blockchain, ainsi qu’une ordonnance présentée en Conseil des ministres qui permettra de transférer certains titres financiers au moyen d’une blockchain.
L’encadrement de ce système a été préparé par de nombreux rapports et commissions : rapport de la mission gouvernementale “Landau” sur les cryptomonnaies en janvier 2018, rapport prospectif de France Stratégie “Les enjeux des blockchains”, rapport purement informatif de l’OPECST “Les enjeux technologiques des blockchains”, mission parlementaire sur les cryptomonnaies, ou encore la mission parlementaire sur la blockchain. Cela démontre l’importance de ce nouveau programme technologique et la nécessité de lui conférer une place juridique spécifique adaptée à son caractère singulier.
Le RGPD aide aussi à réguler les usages mettant en oeuvre des traitements via la blockchain et non la blockchain elle-même. En effet, elle utilise a minima des données pseudonymes et le RGPD est applicable aux données personnelles traitées dans ce système.
Il s’agit, à travers la réglementation, de mener une analyse préalable des risques sur le recours à la blockchain et ses caractéristiques, et de choisir un format d’inscription de la donnée respectant les exigences en matière de minimisation comme l’explique Gaspard de Laubier dans son article “la blockchain et le droit : quelles opportunités de régulation pour le législateur ?”.On peut d’ailleurs voir que l’état français a déjà légiféré dans quelques domaines relatifs à la blockchain afin de permettre un encadrement progressif de cette technologie. Toutefois, ces enjeux restent encore difficile à appréhender.
Les enjeux de la blockchain
Tout le monde s’accorde pour dire que la blockchain révolutionne le monde des affaires, dont les entreprises et l’économie. Néanmoins, il ne faut pas se lancer tête baissée dans l’innovation de la blockchain sans savoir l’appréhender, l’encadrer et la comprendre.
Malgré son potentiel, de nombreuses questions se posent, notamment sur la sécurité liée à son utilisation, sur la gouvernance, ou encore sur l’organisation, les enjeux sociétaux et environnementaux.
La blockchain est une technologie fondamentale qui a le potentiel de créer de nouvelles innovations positives pour notre société. En effet, selon certains, la blockchain serait un lanceur d’alertes, un outil démocratique, ou encore un gage de qualité, et permettrait une travail plus collaboratif entre les entreprises.
Pour d’autres, la blockchain aurait un impact environnemental non négligeable, serait considéré comme un environnement à risque du fait de la quasi absence de réglementation. Il représenterait aussi un système très complexe ne permettant pas de saisir ses avantages, mais aussi lent et fastidieux(5).
Cependant, bien que ces obstacles soient des freins à son adoption, la blockchain va continuer d’évoluer dans les années à venir. Cette technologie pourrait apparaître à première vue aux antipodes de la propriété intellectuelle, mais force est de remarquer que les enjeux du monde littéraire et artistique des droits d’auteur poussent leurs acteurs à s’approprier cette technologie, qu’ils voient comme un outil d’horodatage numérique de leurs oeuvres, et dont les perspectives sont multiples.Cette technologie blockchain est d’ailleurs considérée comme “une révolution numérique” notamment dans le cadre du domaine de la propriété intellectuelle, c’est ce que rappelle Marie Rouxel dans son article “la blockchain et son application possible en propriété intellectuelle”. La démocratisation de la blockchain laisse encore entrevoir des évolutions multiples et il convient donc de voir comment cela va perdurer.
Manon HOTTIN-THEVENET
- https://www.lcl.com/guides-pratiques/zooms-economiques/bitcoin-monnaie-virtuelle.jsp
- https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2018/05/20131-breve-histoire-de-blockchain/
- http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/09/26/01016-20180926ARTFIG00259-au-fait-c-est-quoi-une-blockchain.php
- http://blockchainpartner.fr/reglementation-blockchain-crypto-ico-france/
- https://www.forbes.fr/technologie/blockchain-les-5-inconvenients-de-cette-technologie/