La brevetabilité des végétaux : un cas particulier de la Propriété industrielle

 Il n’existe pas de brevet « sur la vie », la vie en tant que création n’est pas protégeable. Néanmoins, il est possible de breveter les procédés techniques ou les produits, tels que le génie génétique ou les produits microbiologiques. Depuis plus de 10 ans, les conditions de brevetabilité des végétaux font l’objet d’un important débat en Europe.

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La Directive 98/44/CE votée par le Parlement européen le 6 juillet 1998 a permis l’encadrement de la protection juridique des inventions biotechnologiques. Elle fixe les limites de la brevetabilité de la matière biologique, définit comme étant « une matière contenant des informations génétiques et qui est auto-reproductive ou reproductible dans un système biologique ». L’invention contenant de la matière biologique peut donc être brevetable, sous réserve de répondre aux conditions de brevetabilité traditionnelles : activité inventive et application industrielle. En effet, la faisabilité de l’invention de doit pas être limitée à une seule variété végétale, la matière doit être isolée et l’application industrielle doit être concrètement exposée dans la demande de brevet. Le considérant 21 et l’article 5 paragraphe 2 et 3 admettent quant à eux qu’« une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique, peut être l’objet d’une invention brevetable, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel, si tous les critères sont remplies ». Cependant, la Directive vise à exclure de la brevetabilité les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention de végétaux « consistant intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection », ainsi que les variétés végétales.

Il en va de même pour la Convention sur le brevet européen qui autorise la protection par le brevet des inventions dans tous les domaines de la technologie, y compris l’agriculture, et qui exclut les variétés végétales et les procédés biologiques d’obtention de végétaux, dans son article 53. Ces deux textes définissent de la même façon le procédé essentiellement biologique « procédé consistant intégralement à faire appel à des phénomènes naturels ». Ils doivent être tous les deux pris en compte lorsque l’Office européen des brevets doit examiner la brevetabilité d’inventions végétales. Néanmoins, en cas de conflit, la Convention sur le brevet européen prévaut sur la Directive.

 

En plus des législations assez désorganisées sur la question, la jurisprudence n’en demeure pas moins incertaine.
Dans une décision de la Grande Chambre de Recours de l’Office européen des brevets, rendue en décembre 1999, a été validée la brevetabilité de plantes obtenues par génie génétique ainsi que leurs procédés de préparation puisque ce n’était pas strictement limité à « une unique variété particulière ».
Puis, avec les avancées technologiques, notamment avec les marqueurs génétiques, l’Office européen des brevets ainsi que la Grande Chambre de Recours ont dû trouver une solution. Par deux décisions de la Grande Chambre en décembre 2010 « Tomate » et « Brocoli », a été rejeté la demande de brevet sur des procédés essentiellement biologiques utilisant des marqueurs génétiques pour la sélection. En effet, ces procédés ne constituaient pas de la matière brevetable. Les inventeurs ont alors changé de revendications en demandant la protection par le brevet sur les produits obtenus par les procédés. La Grande Chambre de Recours de l’Office a alors admis dans deux décisions « Tomate II » et « Brocoli II » qu’un brevet pouvait être octroyé pour les végétaux et matières végétales obtenues à partir de procédés essentiellement biologiques, si les conditions de brevetabilité sont réunies.

Ces décisions ont fortement influencé la législation française. Sont désormais expressément exclus de la brevetabilité des plantes et parties de plantes obtenues par des procédés essentiellement biologiques, conformément à la loi 2016-1087 du 8 août 2016.
Celle-ci précise le champ des exclusions de la brevetabilité, à l’article L.611-19 alinéa 3°bis du Code de la Propriété intellectuelle, sont alors exclus « les produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques définis au 3°, y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent », et limite la portée du brevet à l’article L.613-2-3 du même Code « la protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention de propriétés déterminées ne s’étend pas aux matières biologiques dotées de ces propriétés déterminées, obtenues indépendamment de la matière biologique brevetée et par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication ».

A la suite, le règlement d’exécution de la Convention sur le brevet européen a été modifié (1er juillet 2017) en ajoutant un deuxième paragraphe à la règle 28, suite à la résolution du Parlement européen (la Commission européenne doit examiner la brevetabilité des produits issus de procédés essentiellement biologiques) et l’avis de la Commission européenne (le législateur européen, à travers la Directive, a voulu exclure de la brevetabilité les produits végétaux et les parties de végétaux obtenus par un procédé essentiellement biologique), qui dispose que « Conformément à l’article 53 b), les brevets européens ne sont pas délivrés pour des végétaux obtenus exclusivement au moyen d’un procédé essentiellement biologique ». Suite à cette nouvelle règle peu avantageuse pour les entreprises, les artisans semenciers ou encore les scientifiques, le semencier Syngenta a vu sa demande de brevet rejeté par l’Office européen des brevets, décision à laquelle il a formé un recours. Dans sa décision du 5 décembre 2018, la Chambre de Recours a jugé que la nouvelle rédaction de la règle 28 du règlement d’exécution de la Convention sur le brevet européen n’était pas applicable et donc que la demande de brevet portant sur des poivrons à valeur nutritionnelle améliorée ne pouvait être rejetée sur cette base. La demande a été renvoyée devant la division d’examen pour statuer sur les autres critères de recevabilité.

Ces législations et ces jurisprudences ont créé une incertitude juridique puissante. En effet, il est facile de comprendre qu’un brevet ne peut être délivré pour des végétaux obtenus exclusivement au moyen d’un procédé essentiellement biologique, c’est-à-dire faisant appel à des phénomènes naturels. Cependant, il n’est pas aisé de comprendre les termes employés et un tel raisonnement : tantôt il convient d’examiner la brevetabilité de ce type de produits, tantôt il est automatiquement exclu.

En attendant un positionnement fixe, la protection des variétés végétales est possible à travers le Certificat d’Obtention Végétale (COV), délivré par l’Instance Nationale des Obtentions Végétales. Ce certificat donne à son titulaire le droit d’exploiter exclusivement la variété protégée pendant 25 à 30 ans selon l’espèce.

 

Manon Hottin

 

 

 

Sources : 

Article blog master 1 IP/IT « Les certificats d’obtention végétale : quels enjeux ? » par Kelly Trang (février 2018)

Séminaires de Madame Julie Groffe en Propriété industrielle

https://www.ieepi.org/paroles-dexperts-brevetabilite-plantes/

https://www.inpi.fr/fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/le-brevet/cas-particulier-non-brevetabilite-des-plantes-et-des-animaux-obtenus-par-croisement

http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/B-9-2019-0044_FR.html

http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/O-9-2019-000026_FR.html

https://information.tv5monde.com/info/europe-le-vivant-est-desormais-brevetable-29257

https://www.epo.org/news-issues/issues/biotechnology-patents_fr.html

https://www.cairn.info/revue-internationale-d-intelligence-economique-2013-1-page-9.htm#

https://www.regimbeau.eu/REGIMBEAU/GST/COM/PUBLICATIONS/2019-04-02-Brevetabilit%C3%A9%20des%20plantes%20obtenues%20exclusivement%20par%20des%20proc%C3%A9d%C3%A9s%20essentiellement%20biologiques_GFA%20PHB.pdf

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