La cession des droits d’adaptation audiovisuelle : des enjeux importants pour les auteurs

Aujourd’hui à moins de vivre dans une grotte et encore, il est difficile de ne pas avoir entendu parler de la série à succès Games of Thrones produite par la chaîne de télévision américaine HBO. Adaptée des romans de George R. R Martin la série constitue grâce à son incroyable succès une véritable poule aux œufs d’or aussi bien pour HBO que pour George R.R Martin.  Ce dernier vient d’ailleurs de signer un accord de 5 ans avec la chaîne de télévision américaine afin de développer « de nouveaux contenus » dont potentiellement plusieurs séries dérivées dans le même univers que Games of Thrones. Un contrat qui s’élèverait tout de même à plusieurs dizaines de millions de dollars selon le magazine spécialisé Hollywood Reporter.

Si Games of Thrones fait partie sans aucun doute des exemples de série à succès les plus connu au monde d’adaptation audiovisuelle d’une œuvre littéraire, celles-ci sont aujourd’hui légions que cela soit sous forme de film ou de séries, et ce filon en or n’est pas près de s’arrêter. Bien au contraire de nombreux projets d’adaptation devraient en effet continuer de voir le jour dans les mois et années à venir. Occasion ici de se questionner sur les contrats de cessions par les auteurs de leur droit d’adaptation audiovisuelle pouvant avoir une grande valeur économique.

Les droits d’adaptation audiovisuelle sont-ils obligatoirement cédés aux éditeurs ?

Si un auteur est souvent ravi de se faire publier par une maison d’édition et notamment quand c’est la première fois, il lui faut négocier le fameux contrat d’édition. Cependant, en pratique les éditeurs ne s’arrêtent pas à ce dernier et demande bien souvent également à l’auteur la cession de ces droits d’adaptation audiovisuelle afin d’en tirer un revenu en cas d’éventuel adaptation audiovisuelle de l’œuvre.

Cette cession est prévue en droit français par l’article L. 131-3 du Code de propriété intellectuelle (CPI).  Ce dernier dispose en son alinéa 3 que cette cession doit faire l’objet « d’un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l’édition proprement dite de l’œuvre imprimée ». En effet, le contrat d’édition et d’adaptation audiovisuelle doivent bien constituer deux contrats distincts. Une mesure ici de protection des auteurs évitant que la signature d’un contrat soit conditionnée à celle de l’autre. Ainsi un auteur peut parfaitement signer son contrat d’édition avec son éditeur tout en refusant toute cession à ce dernier de ces droits d’adaptation audiovisuelle sur son œuvre littéraire. Les éditeurs eux ont tout intérêt à se faire céder les droits d’adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires qu’ils publient.

En effet même si dans un tel cas l’éditeur est alors tenu d’une obligation de moyen de rechercher une exploitation des droits d’adaptation audiovisuelle qui lui ont été cédé celui-ci ne joue finalement qu’un rôle d’agent.  Il touchera bien souvent si l’auteur n’a pas négocié la cession de ses droits 50% de la rémunération de l’auteur pour l’adaptation audiovisuelle de son œuvre. Un pourcentage élevé pour l’éditeur en cas d’adaptation de l’ouvrage qui part ailleurs ne perd rien dans le cas où l’œuvre ne ferait l’objet d’aucune adaptation audiovisuelle. Il peut donc potentiellement gagner une importante somme d’argent en cas de succès d’une adaptation sans risquer cependant de perdre un centime si l’œuvre n’est pas adaptée ou dans le cas de l’insuccès d’une adaptation de cette dernière. Le producteur assume en effet seul les risques de la création de l’adaptation dont notamment son éventuel insuccès.

Ainsi, du point de vue des auteurs il serait souvent préférable de ne pas céder à leurs éditeurs les droits d’adaptation audiovisuelle de leurs œuvres littéraires en recherchant soit eux- même un producteur afin de lui proposer une adaptation ou en engageant pour cela un agent dans l’audiovisuel qui demandera une rémunération bien inférieure que celle d’un éditeur. Cependant dans les faits un auteur peu connu à une marge de négociation bien moindre face à son éditeur qu’un auteur déjà apprécié par bon nombres de lecteurs qui n’attendent que la sortie du dernier roman de l’un de leur auteur favori. En effet, pour un auteur peu connu trouver un agent peut s’avérer plus compliqué ayant moins de chance qu’une potentielle adaptation de l’œuvre engrange d’importantes recettes. Il reste donc la négociation avec l’éditeur. Même si le rapport de force peut être déséquilibré, lire le contrat avant de le signer et tenter de négocier afin de parvenir à une meilleure rémunération et à des conditions d’exploitations défendant aux mieux leur intérêt ne peut qu’être une bonne recommandation pour tout auteur face aux important enjeux notamment économique pouvant découler de la cession des droits d’adaptation audiovisuelle.

Que l’auteur ai cédé ces droits d’adaptation audiovisuelle en exclusivité à son éditeur ou directement à un producteur, il découle de l’alinéa 1 de l’article L131-3 du CPI l’obligation que « le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée » dans l’acte de cession. C’est sur cette délimitation que l’auteur peut notamment tenter de négocier. Plus la cession sera longue et l’étendu des droits cédés sera grande et mieux cela sera pour le producteur. En cas de succès de l’adaptation, les retombées économiques de ces négociations peuvent être considérables. L’avocate Magaly Lhotel spécialisée en propriété intellectuelle affirme en effet que « dans une adaptation d’œuvre littéraire en production audiovisuelle, il y a également la question du merchandising et des produits dérivés. L’auteur et l’éditeur, s’il y a cession, toucheront de l’argent dessus, mais bien sûr, il faut que tout cela soit habilement négocié avec le producteur au moment de la conclusion du contrat ». Il suffit de songer à quelques adaptations à succès telle que celle des romans Harry Potter de J. K. Rowling et de ces très nombreux produits dérivés pour imaginer les revenus importants résultant de la vente de ces derniers.

La cession des droits d’adaptation : une source de revenu pour l’auteur 

Bien entendu l’auteur ne cède pas ces droits d’adaptation audiovisuelle sans contrepartie et se verra rémunéré pour celle-ci, ainsi l’auteur bénéficiera d’une rémunération découlant du prix de la cession de ces droits d’adaptation au producteur et également d’une rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation de l’œuvre adaptée.

Cette dernière est prévue par le dernier alinéa de l’article L131-3 du CPI ce dernier disposant que le bénéficiaire de la cession s’engage « à verser à l’auteur, en cas d’adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues ».

Ainsi plus l’adaptation aura de succès et plus l’auteur gagnera d’argent. Les pourcentages des recettes reversées aux auteurs sont assis soit sur le prix payé par le public pour accéder à l’œuvre ou sur les recettes nettes part producteurs (RNPP). Ces pourcentages étant en moyenne plutôt bas, les producteurs en pratique accordent souvent un minimum garanti aux auteurs, une avance sur les recettes pouvant être importante afin de simplifier notamment la gestion des sommes à verser. Si cela est courant en pratique, ce n’est toutefois pas obligatoire.

La question de la rémunération des auteurs due pour l’exploitation d’œuvres audiovisuelles est par ailleurs encadrée par des protocoles signés par des organisations professionnelles et des accords interprofessionnels afin notamment de clarifier les termes juridiques dans le domaine de l’audiovisuel. Ainsi un accord interprofessionnel signé le 6 juillet 2017 consacré à la transparence des relations professionnelles dans l’audiovisuel et à la rémunération des auteurs a notamment défini de manière uniforme les RNPP, notion qui ne disposait auparavant d’aucune définition légale harmonisée.

La conservation par l’auteur de ses droits moraux

Si l’auteur d’une œuvre littéraire cède ses droits d’adaptation sur cette dernière, ce dernier n’en conserve pas moins son droit moral sur celle-ci. En effet le droit moral étant inaliénable, même si l’adaptation de l’œuvre implique nécessairement une limitation du droit moral de l’auteur afin de pouvoir modifier et adapter l’œuvre littéraire en fonction des impératifs de la production, toute clause privant totalement l’auteur de cette prérogative en laissant une totale liberté d’adaptation au producteur serait nulle.  Ainsi, si des aménagements du droit moral sont nécessaires et autorisés, arriver à un juste milieu entre les inéluctables modifications de l’œuvre littéraire pour les besoins de l’adaptation de cette dernière et son droit au respect peut s’avérer compliqué et être source de contentieux.

Florent El abidi

 

Sources : 

MasterIPIT