Quelques notions importantes
Le secteur du jeu vidéo en France est en plein développement, alors qu’il y a encore une dizaine d’années, on voyait dans ce marché une bulle où seuls les “geeks” avaient plaisir à participer. Aujourd’hui la réalité est toute autre. En effet, le marché du jeu vidéo en France pèse environ 2,6 milliards d’euros ce qui n’est pas rien. Ainsi, il est normal de s’intéresser à son régimes et aux différentes problématiques actuelles ou anciennes qui se posent quant à celui-ci).
En matière de jeux vidéo, on peut nécessairement se poser la question du régime applicable. En effet, on ne peut pas le limiter à sa dimension de logiciel tant sa conception est complexe. C’est d’ailleurs cette complexité qui explique le régime que la Cour de cassation a finalement retenu dans son arrêt Cryo du 25 juin 2009. En effet, le Code de la propriété intellectuelle étant silencieux sur ce type d’œuvre, il a fallu que la jurisprudence se prononce pour que son régime soit établi. Ainsi la première Chambre civile de la Cour de cassation retient un régime distributif en matière de jeux vidéo. Le régime distributif se caractérise par l’application de différents régimes à différentes parties de l’œuvre. On peut par exemple retenir le régime audiovisuel pour les cinématiques, le régime musical pour les musiques ou encore le régime du logiciel pour la partie technique. Au final, bien qu’admis dans d’autres domaines, on peut voir une certaine instabilité juridique tant les régimes sont différents les uns des autres. Il existe dans le reste du monde, d’autres choix ont pu être fait, on peut à ce titre, prendre l’exemple des Etats Unis qui ont choisis de protéger le jeu vidéo en le rattachant à une seule de ses composantes (logicielle, audiovisuelle ou musicale).
La plupart du temps, la jurisprudence aime reconnaître le jeu vidéo comme une œuvre collaborative dont le régime est défini à l’article L 113-3 du CPI. Du fait de ce rattachement, il existe par principe un régime d’indivision nécessitant l’accord de l’ensemble des auteurs pour l’exploitation de l’œuvre. Heureusement, en matière de jeu vidéo, les contributions sont de genres différents et ainsi, il pourra y avoir une exploitation séparée de chaque apport si cette exploitation ne porte pas atteinte à l’œuvre commune. Sous cette dernière forme cependant, la cession de l’œuvre est très compliquée.
On peut relever un autre cas particulier, celui des créations salariés pour lequel la jurisprudence a eu beaucoup de mal à se prononcer sur la qualification de l’œuvre en la matière. En effet, qui dit création salariée dit œuvre collective comme définie par l’article L 113-2 du CPI et de ce fait on assisterait à un transfert ab initio de la propriété de l’œuvre au studio en contrepartie d’une rémunération complémentaire des créateurs. Pourtant, la jurisprudence privilégie la reconnaissance du statut d’œuvre collaborative même dans ce cas. En retenant cette vision, le studio n’est plus propriétaire ab initio de l’œuvre, mais il va devoir signer des contrats de cession avec chaque acteur de la création afin de se voir octroyer les droits, alors même que c’est par l’utilisation de moyen technique et financier de l’entreprise que le jeu a pu voir le jour. Cette solution semble plus qu’inégalitaire pour les éditeurs de jeu vidéo qui se retrouvent donc dans un flou complet si un litige devait se créer. Ainsi, on voit que la nature même de l’œuvre est complexe, mais là n’est pas le seul problème posé par le jeu vidéo en matière de propriété intellectuelle.
L’absence de protection du joueur non professionnel de jeux vidéo
Il est important ici de souligner que certes, comme l’article publié hier le soulignait, un statut assez particulier a été créé pour le joueur professionnel afin d’appréhender les compétitions, cependant il n’existe que peu de protection pour le joueur amateur. En effet, il faudra se tourner vers le droit de la consommation et plus particulièrement le droit du commerce électronique afin d’appréhender les différentes problématiques qui peuvent se poser à son égard. Pendant longtemps, cette protection était plus que suffisante eu égard au rapport des joueurs aux jeux. Mais voilà, avec l’avènement de ce que l’on nomme le « Web 2.0 », on a observé qu’aujourd’hui le joueur n’est plus qu’un simple consommateur du produit, il en devient une partie intégrante créant dans les jeux lui-même des productions qui lui sont propres. Ainsi se pose un problème : que faire de ces créations intégrées dans un jeu ?
La difficile appréhension de la création du joueur au sein du jeu vidéo
Les exemples en la matière ne manquent pas, notamment avec le développement de jeu dit « bac à sable » comme Minecraft. Ces jeux proposent aux joueurs d’arriver seuls dans un monde vaste (pour Minecraft quasi illimité).Ainsi, le joueur se retrouve donc à pouvoir évoluer et créer son univers comme bon lui semble. Du point de vue de plusieurs professeurs, notre droit d’auteur ne s’adapte pas réellement à ce phénomène. En effet, aucune protection spécifique ne semble venir parfaitement épouser la forme pratique de ces œuvres.
Certains pays comme les Etats-Unis sont venus encadrer cette notion au travers d’une exception spécifique couvrant les contenus générés par des utilisateurs à des fins non-commerciales. Ici, la loi considère que quand bien même le produit créé ait été la résultante d’une mise à disposition de moyens spécifiques d’une société, l’utilisateur créateur peut disposer de sa création dans la seule limite que l’exploitation de cette dernière ne soit pas commerciale. On peut ici faire le parallèle avec la notion d’exploitation séparé des différentes contributions d’une œuvre collaboratives. Tant que l’utilisation du contenu créé ne nuit pas à l’exploitation de l’œuvre (ici, l’œuvre visée sera le jeu en lui-même), alors il sera possible pour le créateur de l’exploiter librement. Cette solution pourrait in fine vernir s’intégrer de manière plutôt claire au sein de notre législation.
En dehors de cette notion, il existe une possibilité, celle de passer par le régime de l’artiste interprète. En effet le jeu dans son fonctionnement est assez ouvert et ainsi en intégrant ses créations dans un univers libre, le joueur ne réalise-t-il pas une interprétation de l’œuvre qui lui est offerte ? Cette idée bien qu’alléchante pour les créateurs ne pourrait qu’être difficilement justifiée vis-à-vis de la loi. Si l’on reprend les critères de définition de l’artiste interprète présent dans le Code de la propriété intellectuelle à l’article L212-1, l’artiste interprète ou exécutant, est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire et artistique. On voit tout de suite que le joueur créateur ne répond pas aux critères de représentation, chant, récit, déclamation ou de jeu. Cependant, la suite de l’article peut permettre de rapprocher les régimes. Il est dit que l’artiste interprète est en réalité la personne qui “exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique”. Ici, aucune limitation ne semble émaner du texte, il serait alors possible de reconnaître que la création du joueur soit une forme d’exécution de l’œuvre préexistante que serait le jeu vidéo. En accordant des droits par ce biais, il serait possible d’accorder ainsi une protection réelle au joueur créateur et de reconnaître des droits exclusifs correctement protégé au sein du droit d’auteur.
La reprise du contenu créé par le joueur, la problématique des plates-formes des éditeurs
En réalité, c’est ici que l’on peut s’apercevoir de la nécessité d’imposer un régime réel aux créations des joueurs. Certaines plates-formes permettent ainsi de mettre à disposition ses créations pour que d’autres joueurs puissent en profiter. C’est le cas des jeux permettant par exemple la création de « map » spécifiques permettant de vivre une expérience différente du jeu. Pendant longtemps, ces plates-formes mise en place par les éditeurs étaient gratuites et portée par les différentes communautés. Pourtant certains éditeurs tel qu’EA les ont monétarisé, soit en rendant payant l’accès à la plateforme, soit en instaurant un nécessaire achat de la création des autres joueurs, sans que le créateur ne touche in fine un centime. On peut y voir clairement une appropriation de l’œuvre d’autrui. Pour l’instant, aucun contentieux n’a eu lieu sur cette problématique. En effet, à chaque fois que l’un des éditeurs a essayé de mettre en place ce genre de système, la communauté est toujours restée soudée faisant redevenir gratuit un service qui était devenu payant. Le problème d’une telle solution est qu’un jour, peut-être, une plateforme décidera de ne plus céder sous la pression de ses joueurs, et dans ce cas, que pourront faire les créateurs ?
BOILE Maxence
SOURCES :
http://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/c-42/page-19.html
http://books.openedition.org/deps/246
http://www.francoiscoppens.be/jeu-video-droit-auteur/
https://www.20minutes.fr/societe/1838459-20160502-statut-joueur-jeux-videos-cree-senat
https://www.inpi.fr/fr/valoriser-vos-actifs/le-mag/droit-d-auteur-et-jeux-video-quels-enjeux
https://www.mapreuve.com/blog/quel-cadre-juridique-pour-le-jeu-video/
C.cass. 1ère civ., 25 juin 2009, n°07-20.387, « CYRO »