LA LIBERTÉ D’EXPRESSION À l’ÈRE DU NUMÉRIQUE : UNE ÉQUATION ENTRE SÉCURITÉ ET LIBERTÉ

Comme l’affirmait Nelson Mandela: “Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres”. Ainsi, à l’heure où le numérique se développe, les moyens d’expression se sont démultipliés et il a donc été nécessaire d’adapter le contrôle effectué afin de concilier le maintien de la liberté tout en préservant la sécurité. Cela met en exergue l’importance d’une mise en balance entre les différents droits en cause.

 

L’histoire et l’évolution de la liberté d’expression

 

Ce principe de liberté d’expression a été généré dans de nombreux textes, qu’ils soient nationaux ou européens, et cela affirme la primauté de cette liberté ainsi que le devoir de protection qui l’entoure.

 

En effet, elle est définie par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 comme le fait selon lequel “Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.” Ainsi, chacun a le droit d’avoir ses opinions, ses idées et de les exprimer par n’importe quel moyen et sous n’importe quel format. Mais, cette liberté d’expression comprend plusieurs corollaires au-delà du principe même du droit de s’exprimer tel que le droit d’accéder à l’information ou encore la liberté de création dans le cadre du droit d’auteur.

 

L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme réaffirme aussi la liberté d’expression. La jurisprudence européenne, notamment celle de la CEDH, exprime que la liberté d’expression est ’un “fondement de la démocratie”. Cela a été exprimé en 1986 dans une décision Lingens c. Autriche, (8 juillet 1986). De plus, un arrêt Handyside contre Royaume Uni de 1976 avait préalablement insisté sur le fait que la liberté d’expression s’appliquait aussi concernant des paroles, qui peuvent choquer ou heurter. De plus, c’est un principe qui a une valeur supra législative et il doit donc primer sur toutes les lois nationales.

 

En France, la liberté d’expression est consacrée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 possédant une valeur constitutionnelle¹ .

 

En droit, la liberté d’expression est une liberté fondamentale, c’est à dire une liberté essentielle dans une société démocratique comme la nôtre. En tant que droit fondamental, la liberté d’expression ne doit connaître de limites qu’en cas d’abus, pour des raisons sécuritaires ou pour protéger les droits des individus² . L’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales mentionne d’ailleurs les possibles restrictions ou encadrements de la liberté d’expression.

 

Toutefois, cette mise en balance nécessaire entre la liberté d’expression et les droits individuels et collectifs est de plus en plus complexe suite au développement du numérique dans la société et cela doit alors faire l’objet d’un équilibre, parfois difficile.

 

L’expansion du numérique: une adaptation nécessaire de la liberté d’expression

 

Le numérique, par sa dimension mondiale, place le droit international face à des problématiques nouvelles. Comment donc adapter la liberté d’expression au numérique ? Cet encadrement de la liberté d’expression sur Internet et du fonctionnement même des nouvelles technologies est d’ailleurs sujet aux critiques et a déjà fait l’objet de nombreuses interrogations afin de permettre un encadrement fiable et équilibré³. Cela démontre les diverses contrariétés qu’entrainent le numérique dans l’appréhension de la liberté d’expression et dans son contrôle.

 

Aujourd’hui, l’Internet est devenu l’un des principaux vecteurs de la liberté d’expression. Il convient alors de rappeler que la liberté d’expression n’est pas absolue, et il est donc nécessaire de lui fixer des limites sur le net.

 

Selon certaines associations, la censure du net est de plus en plus abondante et flagrante. En effet, un nombre croissant de gouvernements démocratiques envisagent ou mettent en œuvre des mécanismes bloquant l’accès à certains sites, au nom de la régulation des contenus, sans qu’aucun contrôle ne soit effectué par l’autorité judiciaire. Cela fait alors courir un sur-blocage⁶. Pourtant, la directive e-commerce du 8 juin 2000 et la loi pour la confiance en l’économie numérique de 2004 ont instauré un système de quasi-irresponsabilité pour les hébergeurs et cela entraîne une plus grande difficulté de contrôle de la liberté d’expression mais aussi une complexification de la mise en place de sanctions.

Certaines pratiques comme le droit à l’oubli numérique, principe lié à l’autodétermination informationnelle, ont aussi vocation à réduire le champ de la liberté d’expression et démontrent un encadrement accru des actions effectuées sur le web.

Il apparaît donc difficile de mettre au pas l’Internet. C’est une technologie en perpétuel renouvellement, en pleine évolution et sans limite de frontières. Même s’il existe des lois applicables à l’Internet, le pouvoir public restera toujours en marge. Pour cause : la rapidité de partage, la course à la technologie et les utilisateurs qui en demandent toujours plus.

 

La maîtrise de l’Internet par différents biais en vue de contrôler ou de restreindre la liberté d’expression apparaît donc utopique. La seule alternative serait donc de “s’accommoder d’un véritable outil au service de la liberté d’expression”⁷ pour certains.

 

Néanmoins, à l’ère des réseaux sociaux, ne serait-il pas favorable de restreindre, ou au moins d’encadrer la liberté d’expression?

 

En effet, le monde communique directement sur les réseaux sociaux, partageant des pans entiers de leur vie personnelle sans avoir en tête les répercussions et conséquences sur ce partage. Les réseaux sociaux entraînent une émancipation de la parole. Les langues se délient alors que certains sujets sont encore tabous aujourd’hui et créent de nombreux conflits. Dans cet état d’esprit, l’article 6 de la Charte d’éthique et de civilité de 2004 dispose que “Le numérique ne doit pas être un vecteur de discrimination, d’incitation à la haine, ou d’actes attentatoires à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine”, et la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 offre une base pour réprimer ce type de propos. Une loi du 22 décembre 2018 est d’ailleurs venue renforcer les exceptions préexistantes dans la loi de 1881 avec la création d’une loi spécifique aux Fake News. Cela a permis d’imposer aux différentes plateformes numériques de nouvelles obligations notamment de loyauté, de clarté mais aussi de transparence⁸. Cette loi a aussi pour but de lutter contre la manipulation de l’information et la propagation de fausses nouvelles, notamment lors des périodes électorales⁹.

 

De plus, l’apparition de risques nouveaux à cause d’Internet a été mis en avant par la Cour européenne des droits de l’Homme dans une décision du 16 juin 2015 Delfi contre Estonie où elle explique que “la diffusion massive d’informations, la rapidité de cette diffusion et la permanence des informations constituent des risques nouveaux”¹⁰.

 

Ainsi, le développement du numérique au cœur de notre société met en exergue la nécessité d’encadrer la liberté d’expression et le partage de contenus effectués par ce nouveau moyen d’expression. Cela devient d’ailleurs de plus en plus pressant puisque des vidéos d’actes meurtriers, comme c’est le cas avec l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande ont pu être publiées et partagées des millions de fois avant de pouvoir être supprimées. Cela a ainsi entrainé de nombreuses critiques et polémiques notamment à l’égard du réseau social Facebook¹¹.

 

Enfin, cette liberté d’expression revalorisée à l’ère d’Internet engendre aussi de nombreuses problématiques face aux paroles désobligeantes et dégradantes que les personnes formulent derrière leur écran sans qu’il n’y ait pour le moment beaucoup de sanctions. C’est pourquoi, fin février 2019, le gouvernement français a annoncé qu’une proposition de loi allait être déposée afin de contrer la multiplication des contenus haineux sur internet¹². Cette règle imposerait aux plateformes le retrait dans les 24 heures des paroles de haine sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaire et pourrait permettre une suppression plus simple des sites en question lorsque cela est nécessaire.

 

 

Ainsi, cette numérisation de la société démontre la nécessité d’adapter les moyens existants pour encadrer la liberté d’expression mais il convient aussi de déterminer les justes limites aux abus à la liberté d’expression, et dans un souci d’équilibre des droits, d’en assurer l’application sans pour autant la restreindre injustement.

 

Cette volonté d’encadrement était d’ailleurs un des arguments mis en exergue dans le cadre de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. En effet, l’article 17, qui a fait l’objet de nombreuses polémiques, était pour certains le symbole de la fin d’Internet et donc de la liberté d’expression qui y est présente. Pourtant, la volonté première de l’Union Européenne était d’instaurer un “value gap” lors de partage d’œuvres protégées par le droit d’auteur au profit des créateurs. Cela impliquait donc un filtrage quand un contenu était délivré illégalement sur un site. L’article 11, quant à lui, permet aussi de protéger le travail effectué par les journalistes afin qu’il ne soit pas réutilisé sans qu’ils ne soient rémunérés¹³.

 

Toutefois, ces nombreuses évolutions bousculant l’Internet, dessinent aussi la nécessité d’éduquer les utilisateurs de ces services. Cela est désormais inscrit dans l’article L312-15 du code de l’éducation et vise à “amener les élèves à devenir des citoyens responsables et libres, à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi, y compris dans leur usage de l’internet et des services de communication au public en ligne”¹⁴ . Cela risque donc de prendre du temps avant de pouvoir éduquer les mentalités à ces divers changements mais aussi pour trouver un consensus entre les intérêts de chacun sur le web. Ce nouveau support est, en effet, bien plus complexe à contrôler. Il convient donc d’être attentif à l’évolution du numérique et à son encadrement.

 

Manon HOTTIN et Ismérie SAISON

 

1 https://justice.ooreka.fr/astuce/voir/553907/liberte-d-expression

2 http://desdroitsdesauteurs.fr/2015/01/la-liberte-dexpression-aujourdhui-en-france-en-droit-en-fait/

3 https://blogs.mediapart.fr/edition/libres-enfants-du-numerique/article/040714/liberte-dexpression-lheure-numerique-quel-cadre-juridique

4 https://peregrinationsjuridiques.wordpress.com/2013/03/13/le-droit-dacces-a-internet-un-droit-fondamental/

5 https://www.infopresse.com/article/2016/7/5/l-onu-declare-l-accessibilite-a-internet-comme-droit-fondamental

6 https://www.polemia.com/la-liberte-dexpression-a-lere-de-la-communication-numerique-faut-il-domestiquer-internet/

7 https://www.polemia.com/la-liberte-dexpression-a-lere-de-la-communication-numerique-faut-il-domestiquer-inter net/

8 Cours de Monsieur Arnaud Latil

9 https://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/proposition-loi-proposition-loi-organique-relative-manipulation-information.html

10 https://eduki.ch/sites/default/files/resources/prix2014_Ecrit%2013.pdf

11 https://www.lepoint.fr/societe/video-de-l-attentat-de-christchurch-non-facebook-n-est-pas-coupable-19-03-2019- 2302298_23.php

12 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/02/21/01016-20190221ARTFIG00002-ce-que-va-contenir-le-projet-de-loi-pour-lutter-contre-la-haine-sur-internet.php

13 http://master-ip-it-leblog.fr/larticle-11-permettra-t-il-une-meilleure-repartition-des-richesses-entre-editeurs-de-presse-et-geants-du-web/

14 http://www.itineraires-avocats.fr/2019/01/03/loi-n2018-1202-du-22-decembre-2018-relative-a-la-lutte-contre-lamanipulation-de-linformation/

 

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