La paternité artistique : une question qui secoue le milieu de l’art contemporain

 

Qui est l’auteur d’une œuvre ? Le concepteur ou l’exécutant ?

C’est toute cette question qui a été débattue, le 13 mai dernier devant le Tribunal judiciaire de Paris opposant le sculpteur Daniel qui revendique la paternité de neuf œuvres de l’artiste Maurizio Cattelan réalisées entre 1999 et 2006.  

Maurizio Cattelan, figure iconoclaste de l’art contemporain, a commencé à travailler avec Daniel Druet, modeleur exclusif du Musée Grévin à Paris à partir de 1999. Le modeleur a conçu plusieurs œuvres pour l’artiste dont la célèbre « Him » représentant Hitler à genoux en prière. 

Après ses nombreuses collaborations, le sculpteur a demandé à ce que son nom soit associé comme réalisateur-sculpteur aux œuvres de Cattelan. Ceci lui a été refusé. Le galeriste de Cattelan ainsi que la Monnaie de Paris qui en 2016 a organisé une exposition « Cattelan, Not afraid of love » sont assignés par Druet pour avoir porté atteinte au droit, au nom et à sa qualité d’auteur. Il réclame une paternité exclusive et la somme de 5 millions d’euros. La monnaie de Paris va attraire l’artiste dans la procédure.

Ce n’est pas la première fois que cette question se pose, ce débat est aussi vieux que l’histoire de l’art. Les grands artistes de la Renaissance, comme Tintoret ou Vinci, s’entouraient eux aussi dans leurs ateliers de nombreux collaborateurs pour réaliser leurs toiles. Michel Ange n’a pas non plus peint le plafond de la Chapelle Sixtine seul. Néanmoins, dans ce cas la collaboration n’a fait l’objet d’aucun contrat, Druet n’ayant travaillé que sur devis.

La défense de Druet plaide le caractère unique de la création de cet artiste recruté grâce à ses réalisations pour le musée Grévin.« Des sculpteurs qui sculptent comme Daniel Druet, il n’y en a pas cinq. (…) Daniel Druet était cher et, malgré cela, on est venu le voir lui » « Quand on regarde le travail de ces œuvres, il est incontestable qu’on a une expression artistique », alors que « M. Cattelan, de son propre aveu, est incapable de sculpter, est incapable de peindre, est incapable de dessiner« , a-t-elle ajouté.

Cependant selon l’avocat de Cattelan, Druet a seulement exécuté les indications que lui donnait Cattelan. Les instructions données par l’artiste étaient « d’une précision mathématique », il s’agissait de demandes spécifiques, angle d’inclinaison, tête, buste, couleur des visages, position des mains « Qui donne l’ordre, qui est le maître, qui est le créateur ? Évidemment Maurizio Cattelan. Qui est l’exécutant ? Évidemment Daniel Druet », assène-t-il, présentant ce dernier comme un « maillon interchangeable »

 

 

Cette affaire permet de se poser une question fondamentale : Qui est, en droit, l’auteur d’une œuvre d’art ?

Selon l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Cependant, l’auteur n’est pas défini par la loi, cette qualité est rattachée à l’existence d’une « œuvre de l’esprit », soit une création qui résulte d’une activité intellectuelle ou artistique, qui revêt toute forme d’expression et a un caractère d’originalité.

Une présomption est néanmoins posée à l’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle selon laquelle, « la qualité de l’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». Si un auteur peut consentir à ce que l’œuvre soit divulguée sous le nom d’un autre, il peut renverser cette présomption en prouvant son rôle dans le processus de création. 

S’il ne peut se voir la qualité d’auteur exclusif, il peut éventuellement obtenir la qualité de coauteur. 

Concernant l’œuvre de collaboration, il s’agit de « l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » selon l’article L113-2 du Code de la propriété intellectuelle. C’est ainsi qu’en 1983 la Cour de Cassation a reconnu la qualité de co-auteur à Richard Guinot, élève d’Auguste Renoir, dès lors que la comparaison des tableaux du maître et des sculptures litigieuses révélait que certaines attitudes, certaines expressions avaient été acceptées et non dictées par Renoir. 

Pourtant la qualité de l’auteur ne peut être reconnue au simple exécutant matériel. Une personne ne saurait revendiquer la qualité d’auteur sans rapporter la preuve de son activité créative personnelle. Il reste à savoir si Daniel Druet sera en mesure d’apporter les preuves matérielles qui permettront de révéler sa paternité exclusive, ou à tout le moins sa qualité de coauteur avec Maurizio Cattelan. 

Cependant, une autre issue pourrait se cacher dans la commande même des œuvres à Druet, car il est admis que le commanditaire d’une œuvre ne peut prétendre en être l’auteur dès lors qu’il laisse une liberté d’exécution à la personne chargée de réaliser la création

A ce titre, Druet affirme que les instructions de Cattelan étaient vagues et que donc il devait façonner les sculptures avec sa créativité, il signait également ses sculptures, nichées dans le cou des personnages.

 

 

Le critique et commissaire d’exposition Jean de Lois, ancien président du Palais de Tokyo témoigne que Maurizio Cattelan ne laisse rien au hasard « Tout est calculé chez lui, l’éclairage, la distance de l’œuvre par rapport au mur, il est très précis dans ses demandes ». 

« Depuis le début du XXe siècle, l’art n’est plus esthétique mais conceptuel, avance Pierre-Olivier Sur, ancien bâtonnier de Paris et avocat de la galerie Perrotin. C’est l’exposition qui fait l’œuvre. »

La décision sera rendue le 8 juillet 2022, elle est vivement attendue car elle est susceptible de rebattre les cartes juridiques de création de l’art conceptuel. Selon l’avocat d’artistes Alexis Fournol « A ma connaissance, c’est la première fois qu’une affaire comme celle-ci va jusqu’au procès. Elle va peut-être redéfinir la problématique de la propriété intellectuelle. La place de l’artisan est essentielle dans la création contemporaine. Mais qui est l’artiste et qui est l’artisan ? » 

Affaire à  suivre.

Nefssetou GASSAMA

Sources : 

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/05/01/le-sculpteur-de-maurizio-cattelan-se-rebiffe-contre-l-artiste-star_6124313_4500055.html

https://www.dalloz-actualite.fr/flash/l-art-de-rien-une-reconnaissance-en-paternite-artistique#.YqumBS8itQI

https://www.lepoint.fr/arts/maurizio-cattelan-ou-daniel-druet-duel-d-artistes-au-tribunal-13-05-2022-2475449_36.php

https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/sculpture/affaire-maurizio-cattelan-un-juge-statuera-de-la-paternite-des-oeuvres-pensees-par-l-artiste-mais-executees-par-un-autre_5136499.html

https://www.parismatch.com/Culture/Art/Maurizio-Cattelan-escroc-ou-genie-1807119

https://www.lefigaro.fr/culture/druet-contre-cattelan-le-proces-qui-affole-le-milieu-de-l-art-contemporain-20220513

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