La protection des œuvres est indifférente de leur destination. En effet, l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle nous liste les quatre conditions indifférentes dans la protection des œuvres par le droit d’auteur : le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination d’une œuvre. Par destination de l’œuvre, on entend l’usage auquel cette œuvre est affectée. La théorie de l’unité de l’art découle de cette indifférence de la destination. D’après elle « la loi doit être uniforme pour toutes les œuvres qui tiennent à l’art, et qui, de près ou de loin, en procèdent » (1). La publicité telle qu’on la connait (slogan, film publicitaire, affiche…) peut ainsi être protégée par le droit d’auteur, dès lors qu’elle répond aux conditions d’originalité et de mise en forme. Elle est une « œuvre comme les autres » (2). Et cette protection est possible malgré l’objectif de promotion de la vente de produits ou de services. Cette protection ouvre alors l’action en contrefaçon au titulaire des droits, dès lors que l’œuvre sera reproduite ou imitée, sans l’autorisation de son titulaire.
A partir du moment où elle est originale (empreinte de la personnalité de l’auteur (3), ou est un apport intellectuel propre à son auteur (4)) et mise en forme, la publicité pourra être protégée par le droit d’auteur. C’est cette obligation de mise en forme qui posera problème dans le domaine de la publicité. L’œuvre, afin d’être mise en forme, doit être perceptible par l’un de nos sens. Mais il est plus simple de définir cette condition de façon négative : une idée ne peut pas être protégée, elle est de libre parcours (5). Bien qu’originale, une idée ne pourra en aucun cas être protégée par le droit d’auteur.
La protection par le droit d’auteur est extrêmement rare dans le domaine de la publicité, en ce que seule une « reproduction servile » (6) sera sanctionnée comme de la contrefaçon. L’action en contrefaçon n’est exercée que dans le cas de publicités qui ont utilisé sans autorisation une autre publicité, de façon identique. Les simples imitations d’idées devront alors être sanctionnées sur un autre fondement, car la condition de mise en forme n’est pas toujours remplie.
Le concept publicitaire est défini comme le « thème général ou philosophique d’une campagne publicitaire qui sert de fil conducteur à toutes les formes de publicité et de communication » (7). La problématique est évidente face au droit d’auteur : une entreprise, afin de promouvoir la vente de ses produits, poursuit un concept publicitaire, un thème, une idée.
Ce que les titulaires des droits veulent protéger (en plus de la publicité en elle-même) c’est l’idée créatrice de la campagne publicitaire. C’est alors qu’on parlera de « plagiat publicitaire », défini comme la « pratique par laquelle un créatif va réutiliser sciemment une idée créative pour une campagne de publicité sans autorisation de l’auteur de l’idée originale, en en revendiquant la paternité » (8). D’après Gérard Cornu, le plagiat donne lieu à de la contrefaçon. En suivant la logique du droit d’auteur, et comme cela a été confirmé par la jurisprudence de manière constante, « une simple idée publicitaire, fût-elle originale, ne saurait être susceptible d’appropriation en elle-même » (9). Cette solution est reprise dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 mars 2008. En l’espèce, une agence de publicité avait réalisé une campagne de publicité avec des affiches et des dépliants. Plus tard, une autre société a fait réaliser une campagne de publicité « qui ressemblait fort à celle élaborée par KAP ! [première agence de publicité] » (10). La Cour d’appel constate que la seconde agence de publicité n’a repris que des idées publicitaires et pas leur représentation (11). De ce fait, la contrefaçon ne peut en aucun cas être caractérisée.
La copie de l’idée publicitaire est pourtant un véritable problème dans le commerce (bien plus que la reproduction servile). Par exemple, la publicité Evian avec les nourrissons en reflet provient du plagiat d’une publicité « Reflet » de Safia (https://www.spi0n.com/pub-evian-bebe-plagiat-de-la-pub-reflet-de-safia/). Cette affaire est très représentative de la problématique du plagiat publicitaire. En effet, bien que des idées semblent être empruntées d’une publicité à l’autre, elles n’en sont pas pour autant copiées les unes sur les autres. Ainsi, le droit d’auteur ne peut être appliqué, à cause de cette absence de mise en forme. Mais, d’un point de vue commercial, cette « inspiration » peut créer, dans l’esprit des consommateurs, une confusion. Cette confusion peut porter un préjudice à une entreprise, ainsi qu’à son image de marque.
Ainsi, une autre porte s’ouvre aux titulaires de droit sur une publicité afin de trouver des solutions à ces problématiques : la concurrence déloyale. Sur ce fondement, qu’importe la mise en forme ou non de l’idée publicitaire, son imitation pourra être sanctionnée (12). C’est la destination de l’œuvre, son caractère commercial, qui autorise l’action en responsabilité civile de la part de son titulaire.
En vertu de la liberté d’entreprendre, toute personne peut exercer librement une activité économique et commerciale (13). Malgré cette liberté, les entreprises n’ont pas pour autant la possibilité d’aller à l’encontre des usages loyaux du commerce pour nuire à un concurrent (14). Pour que la responsabilité civile délictuelle soit engagée pour concurrence déloyale, il faut répondre à plusieurs conditions : la faute, le préjudice, et le lien de causalité entre les deux. Les acteurs en question doivent être dans une situation de concurrence, de rivalité. Il n’y a pas concurrence déloyale si il n’y a pas concurrence. D’autre part, il faut une faute, un élément de déloyauté. Elle peut apparaître dans différents types d’actes : le dénigrement, l’imitation de signes d’une entreprise concurrente, le parasitisme commercial…
Grâce à cette concurrence déloyale, le plagiat publicitaire pourra être sanctionné. La protection par la concurrence déloyale est bien plus large que la protection par la contrefaçon. En effet, il est plus simple de prouver qu’une publicité est effectuée par un concurrent, qu’il existe un acte d’imitation (imitation, non pas copie !) et qu’il existe un risque de confusion entre les deux publicités.
Dans un arrêt du 18 février 2014, la Cour d’appel de Versailles a été confronté à du parasitisme. Cet arrêt concernait la société Andros, qui commercialise des jus de fruits, et la société Pepsico France (Tropicana). La société Pepsico diffuse en 2012 un film publicitaire avec à la fin, un plan représentant l’orange sur laquelle est apposée une étiquette avec la marque Tropicana. La société Andros assigne la société Pepsico car, en 1988, elle avait produit un publicitaire représentant un fruit en gros plan avec une étiquette comportant la marque Andros. Le fruit changeait selon le jus de fruit présenté par la pub, mais pour les jus d’orange, le fruit en gros plan était une orange. La Cour d’appel de Versailles considère qu’il y a en effet parasitisme, donc concurrence déloyale, les sociétés étant en effet en concurrence sur le même secteur économique, et le risque de confusion étant existant.
Cette solution est intéressante, en effet, s’il avait fallu agir sur le droit d’auteur, la société Andros n’aurait certainement pas gagné (bien que cela soit laissé à l’appréciation du juge). L’idée, dans ces deux publicités, est la même, mais la réalisation matérielle de ces deux publicités est différente.
Ainsi, le droit de la concurrence, par l’action en concurrence déloyale, permet une protection effective des publicités.
Sarah Brière
(1) E. Pouillet, Traité théorique et pratique des dessins et modèles de fabrique, 4eed. Marchal et Billard, Paris
(2) Sylvain Chatry. La protection des œuvres publicitaires par le droit d’auteur en France. Version française de l’article La propriedad intelectual de la obra publicitaria en Francia
(3) Desbois, Le droit d’auteur en France, 3e éd. Dalloz Paris, 1978
(4) Directive DADVSI 2001
(5) Desbois, Le droit d’auteur en France, 3e éd. Dalloz Paris, 1978
(6) Sylvain Chatry, La protection des œuvres publicitaires par le droit d’auteur en France, Version française de l’article La propriedad intelectual de la obra publicitaria en Francia
(7) http://academie-des-sciences-commerciales.org/dictionnaire_new/definition.php?id=1726
(8) B. Bathelot, Définition : Plagiat publicitaire
(9) Com, 16 juin 1964
(10) Originalité. Combinaison d’éléments non protégeables. Arts appliqués. Oeuvre publicitaire. Contrat de commande pour la publicité. Slogan. Droit moral. Idée publicitaire – Frédéric Pollaud-Dulian – RTD com. 2008. 739
(11) ibid
(12) Lucas, Traité de la PLA, fasc. 1159 n°9
(13) http://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/liberte-d-entreprise/
(14) http://www.avocats-picovschi.com/les-conditions-de-la-sanction-de-la-concurrence -deloyale_menu2_68_14.html