Comme l’exprime le titre du livre d’Ambre Viaud, le Street Art est un « musée à ciel ouvert ». Il permet aux gens de découvrir un art moderne et libre dans les rues. Celui-ci s’est démocratisé au fil du temps après avoir fait son apparition dans les années 60 aux Etats-Unis et depuis les années 80 en Europe1.
Cet art sert, au-delà du côté esthétique, à revendiquer une opinion et à faire réagir, comme le mentionne Hyuro (alias Tamara Djurovic) : « Je pense que je n’aurais jamais pu imaginer l’impact fort que le travail dans les espaces publics allait avoir sur moi2. » C’est un art contestataire et réactionnaire en plus d’être désormais culturellement et artistiquement reconnu.
En effet, le Street Art constitue une multitude de possibilités artistiques, comme des « tags, fresques, collage, mosaïques, graffitis » « L.A.S.E.R Tags » ou « drones paintings », ou encore sous forme de pochoirs. « Il se matérialise par des formes d’expression qui évoluent au gré des innovations technologiques lui permettant de se réinventer3 ».
Toutefois, depuis sa naissance, cette forme d’art démontre une difficile collaboration entre les droits d’auteur et les droits de propriété du support de cette œuvre d’art. Ainsi, cet art a d’abord vu le jour dans l’illégalité qui représentait d’ailleurs l’élément majeur de cet art et cela était un moyen pour les artistes de se démarquer. Cela fait d’ailleurs l’objet d’une condamnation dans le cadre de l’article 322-1 du code pénal qui dispose dans son second alinéa que « Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger. » Cependant, la difficulté perdure sur la question de la protection car l’illicéité d’une œuvre n’est pas prise en compte dans le cadre de l’attribution du droit d’auteur4.
Pourtant cette création peut tout de même se voir reconnaître une certaine protection comme l’a démontré une décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e ch., 2e sect., 13 oct. 2000, M. Aichouba et al. c/ M. Lecole. Dans cette affaire, les juges ont retenu le caractère protégeable de l’œuvre par le droit d’auteur et ont ordonné un délai afin que les auteurs de l’œuvre puissent procéder à sa dépose5. Cette décision reste néanmoins l’une des seules et le statut juridique de l’œuvre urbaine reste encore souvent l’objet de nombreuses controverses.
Afin qu’une œuvre urbaine puisse faire l’objet d’une protection, il convient qu’elle réunisse plusieurs critères requis par le Code de la Propriété Intellectuelle. Elle est normalement protégée du « seul fait de sa création » comme l’énonce l’article L111-1 du CPI et nécessite une certaine originalité d’après l’article L112-4. Henri Desbois disait d’ailleurs qu’elle représentait « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». L’auteur ajoute « les idées sont libres de parcours », ce que confirme l’affaire du Pont Neuf de Christo (TGI 26 mai 1987).
En étudiant l’ensemble des critères évoqués dans le code de la propriété intellectuelle, l’œuvre graphique urbaine semble pouvoir être protégée classiquement, comme l’ensemble des œuvres connues mais elle reste toutefois confrontée à de nombreuses complexifications notamment dues à son support matériel mais aussi à l’évolution de sa perception par la société moderne.
Les exceptions légales du Street Art
Depuis son apparition, le Street Art a connu un fort développement et s’est largement démocratisé au point que certaines œuvres sont désormais faites à la demande des particuliers ou des municipalités. Dans ce cas, l’œuvre n’a plus nécessairement un caractère illicite lorsqu’elle respecte l’ensemble des règles liées à son apposition dans un lieu spécifique. En effet, lorsque la municipalité réclame le travail d’un artiste urbain, cela requiert le respect des règles d’urbanisme, telle qu’une autorisation municipale, mais aussi de Copyright6. Dans ce cas,l’œuvre est généralement protégée malgré certaines limites, et cela a parfois permis de reconnaître « une protection indirecte des œuvres apposées sans autorisation ». Cela a d’ailleurs été mentionné dans le cadre d’un litige engagé par la société SNCF en 2006 où la Cour a reconnu les œuvres d’art urbain comme des « œuvres éphémères »7.
Un autre exemple peut être mentionné : il s’agit du graffiti dessiné par Chanoir sur la place Anatole France à Tours qui a eu une durée limitée jusqu’à la destruction totale des murs en vue de travaux d’aménagements8. Dans ce cas, le statut d’œuvre éphémère peut alors être repris et l’instauration culturelle, bien que limitée, démontre son ouverture grandissante vers la démocratisation et l’acceptation de cet art urbain, qui pourrait, au fil des années, se voir reconnaître un statut et une meilleure protection.
Néanmoins, ces dernières années, les œuvres issues de l’art urbain ont fait l’objet de nombreuses problématiques qui vont à l’encontre de la protection des droits d’auteurs et démontre une perception divergente de cet art. Son ampleur démontre la nécessité d’opérer une codification de règles relatives à sa protection et aux conflits qui en découlent.
Les vols et reventes d’œuvres d’art urbain
Comme l’écrit Mélany Billard dans son mémoire sur la protection du Street Art, cette forme d’art tend à devenir légale et « le succès et la notoriété du Street Art parmi les mouvements artistiques est indéniable».
Dès 2014, des œuvres d’art issues de l’art urbain font l’objet de ventes. Dans cette affaire, une célèbre œuvre de Banksy avait été cédée aux enchères9. Mais ces dernières années, de nombreuses histoires de vols et de ventes d’œuvres d’art urbain et de graffiti ont aussi été recensés et cela a entraîné des controverses.
En effet, en septembre 2017, des œuvres « Spaces invaders » ont été volées. La mairie de Paris a d’ailleurs porté plainte contre X pour « usurpations de fonctions » après le vol de ces œuvres qui permettaient de valoriser la culture artistique dans la capitale et d’étendre le tourisme. La mairie ne disposait pas d’autres moyens afin de se défendre contre ces délits sur le patrimoine artistique laissé par les Street Artists10.
La liberté de création est protégée par le biais d’une législation (loi du 7 juillet 2016) et les street artists l’utilisent souvent pour obtenir la préservation et la protection de leurs œuvres. Mais, la CEDH a été plus loin dans un arrêt en date du 24 mai 1988 Müller c/ Suisse en disant que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensables à une société démocratique »11. Il convient alors de se demander comment protéger d’avantage ces œuvres face aux vols et aux reventes effectuées ?
Des voleurs s’approprient, par la destruction des supports utilisés par les artistes ou le vol des pochoirs, les œuvres créatives des artistes urbains afin de les revendre, soit aux enchères comme avec l’œuvre de Banksy ou encore par le biais d’internet. Banksy a d’ailleurs créé une certification « le pest control » qui lui permet de ne certifier que les œuvres qu’il vend12.
Récemment, Banksy a fait le buzz en autodétruisant une de ses œuvres « Girl with balloon », de ce fait il a causé un trouble important mettant en péril le marché de l’art13 et a fait monter, la côte de son œuvre. En voulant faire un pied de nez à la société de consommation lors de la vente d’une de ses œuvres, l’auteur et créateur a conduit à la situation inverse.
Ainsi, cette évolution, qui tend déjà à reconnaître la nécessité de certifier les œuvres mises en vente comme l’explique le commissaire-priseur Guillaume Crait à CheckNews : « Les commissaires-priseurs ne revendent pas les œuvres venant de la rue si elles n’ont pas été certifiées par l’artiste, ou si un vol est avéré. Sinon, c’est du recel14», cela permettra sans doute de faire valoir une protection supplémentaire aux créateurs de ces œuvres afin d’éviter les conflits qui s’exposent encore aujourd’hui. Cette évolution tend à se proroger aux autres pays comme aux Etats-Unis avec l’affaire du 5Pointz en 2017 où le jury a basé son raisonnement sur le Visual Artists Rights Act de 1990 en reconnaissant une sorte de droit moral aux œuvres pour empêcher leur modification, altération ou destruction. Cela pourrait être «déterminant dans la consécration juridique américaine du street art15 ».
Ismérie SAISON
1 Mémoire La protection du Street Art de Mélany Billard
2 https://dailygeekshow.com/hyuro-street-art/
3 Street Art et propriété intellectuelle : quels enjeux ? https://www.avocats-mathias.com/propriete-intellectuelle/street-art
4 https://www.avocats-mathias.com/propriete-intellectuelle/street-art
5 Le Street Art, hors-la-loi à quel point ? http://blog.leclubdesjuristes.com/street-art-loi-jusqua-point/
6 Le Street Art, cet objet juridique non identifié https://www.lagazettedescommunes.com/521287/le-street-art-cet-objet-juridique-non-identifie/
7. https://www.lagazettedescommunes.com/521287/le-street-art-cet-objet-juridique-non-identifie/
8 Reconnaissance officielle pour le street Art à Tours
https://www.37degres-mag.fr/culture/reconnaissance-officielle-pour-le-street-art-a-tours/
9 Brighton kisses Goodbye to Banksy’s kissing coppers
https://www.theguardian.com/artanddesign/2011/apr/21/banksy-kissing-copppers-sold-america
10 Le Street Art, cet objet juridique non identifié
https://www.lagazettedescommunes.com/521287/le-street-art-cet-objet-juridique-non-identifie/
11 Street Art : entre protection et répression https://www.village-justice.com/articles/street-art-entre-protection-repression,30105.html
12 https://www.liberation.fr/checknews/2018/07/09/une-oeuvre-de-street-art-peut-elle-etre-decrochee-puis-vendue _1662819
13 La destruction de l’œuvre de Banksy rend le marché de l’art incertain https://www.bfmtv.com/economie/la-destruction-de-l-oeuvre-de-banksy-rend-le-marche-de-l-art-incertain-15421 86.html
14 Une œuvre de street art peut-elle être décrochée puis vendue ? https://www.liberation.fr/checknews/2018/07/09/une-oeuvre-de-street-art-peut-elle-etre-decrochee-puis-vendue _1662819
15 https://www.fournol-avocat.fr/actualite/2017/11/16/la-protection-juridique-des-graffitis-aux-tats-unis