La protection par la blockchain des droits de propriété intellectuelle non enregistrés

Selon l’INSEE, la propriété intellectuelle permet à l’auteur d’une création de protéger son œuvre et de lui octroyer les avantages issus de cette dernière. Elle est traditionnellement divisée en deux branches, à savoir la propriété littéraire et artistique d’un côté, et la propriété industrielle de l’autre.

Il existe également une autre distinction au sein de la propriété intellectuelle : les droits enregistrés et ceux qui ne le sont pas. Ainsi, alors que les premiers bénéficient d’une protection, les seconds sont parfois mis à risque par une difficulté à prouver leur antériorité et permettre leur exercice. Ces dernières années, une solution est apparue pour aider à la protection de ces droits de propriété intellectuelle non enregistrés : la blockchain. Concrètement, il s’agit d’une technologie de stockage et de transmission d’informations ayant pour caractéristiques principales d’être décentralisée, sécurisée, transparente, inviolable et infalsifiable. Bien qu’il existe différents blockchains, nous ne parlerons ici que de la blockchain de façon générale.

I- L’apport de la blockchain dans la protection des droits de propriété littéraire et artistique :

 

La propriété littéraire et artistique regroupe deux grands groupes de droits : les droits d’auteur et les droits voisins. Les uns comme les autres peuvent nécessiter un ancrage blockchain pour être assurés et protégés.

A- La protection par la blockchain des droits d’auteur :

 

En France, c’est le système personnaliste du droit d’auteur qui prédomine, contrairement aux pays anglo-saxons, qui font prédominer le système du copyright. Nous sommes donc dans une logique de protection de l’auteur. Selon l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur bénéficie du droit d’auteur sur son œuvre du seul fait de sa création ; l’article L.111-2 du même code vient poser une liste non exhaustive des œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur. Ainsi, l’auteur n’a pas besoin d’effectuer un dépôt pour bénéficier de droits exclusifs sur son œuvre de l’esprit.

Cependant, dans certains cas, des difficultés peuvent apparaître en ce qui concerne les droits moraux et patrimoniaux des auteurs, et un recours à l’ancrage de l’œuvre de l’esprit dans la blockchain peut s’avérer utile. Concrètement, l’auteur va ancrer l’empreinte numérique (dit hash) unique de son œuvre de l’esprit dans la blockchain et un certificat d’authenticité comportant les informations essentielles de l’œuvre sera émis.

Ainsi, en cas de conflit à propos de l’auteur d’une œuvre, il suffira de se référer à ce certificat d’authenticité pour connaître de façon certaine l’identité du ou des auteurs de ladite œuvre. Le certificat d’authenticité constitue donc un renforcement du respect du droit de paternité de l’auteur.

Dans la même logique, en cas de conflit à propos des droits patrimoniaux de l’auteur, il suffira de se référer au certificat d’authenticité pour vérifier qui dispose des droits de représentation et de reproduction de l’œuvre. La blockchain étant une technologie de suivi des transactions, elle trouvera donc également à s’appliquer pour suivre l’historique des transactions liées à une œuvre et donc renforcer ainsi la protection découlant du droit de suite.

De plus, le certificat d’authenticité constitue une antériorité de la preuve de la création de l’œuvre de l’esprit. Ainsi par exemple, en cas de soustraction frauduleuse d’une œuvre de l’esprit non dévoilée au grand public par son auteur, ce dernier pourra dater son œuvre.

B- La protection par la blockchain des droits voisins :

 

Les droits voisins sont définis comme les droits exclusifs reconnus au bénéfice d’auxiliaires de la création. Ils ne sont pas auteurs car ils n’ont pas réalisé d’œuvre de l’esprit mais ils ont contribué à sa réalisation : ils ont ainsi un monopole d’exploitation non pas sur l’œuvre, mais sur son exploitation, ce qui signifie qu’ils ne sont titulaires que de droits patrimoniaux.

Dans le Code de la propriété intellectuelle, sont principalement considérés comme des auxiliaires de la création les artistes-interprètes (article L.212-1), les producteurs de phonogrammes (L.213-1) et les producteurs de vidéogrammes (L.215-1). Depuis une loi du 24 juillet 2019, des droits voisins sont également reconnus aux agences et éditeurs de presse.

Le plus souvent, pour gérer ces droits, des contrats sont conclus avec des sociétés de gestion collective qui vont avoir pour mission de percevoir puis de redistribuer les rémunérations dues. Ces contrats de cession de droits peuvent faire l’objet d’un ancrage dans la blockchain, ce qui permet de renforcer la protection des droits patrimoniaux desdits auxiliaires de la création.

II- La protection par la blockchain des droits de propriété industrielle :

 

La propriété industrielle regroupe trois grands types de droits : les droits des brevets, les droits des marques et les droits des dessins et modèles. Ces différents droits, bien qu’enregistrés, peuvent nécessiter une protection par l’ancrage blockchain avant leur dépôt ou en matière de contrefaçon.

A- La protection par la blockchain en matière de brevet :

 

L’article L.611-10 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle”. Ainsi, pour bénéficier de droits exclusifs sur sa création, le créateur doit effectuer un dépôt auprès de l’INPI.

Cet article vient également poser une condition à la possibilité d’un dépôt : la nouveauté. En effet, le monopole accordé à l’inventeur est considéré comme une contrepartie à l’apport qu’il fait à la société ; mais si sa création a été dévoilée, avant le dépôt alors la raison d’être de ladite rémunération disparaît. Cependant, une création nécessite parfois des années avant de pouvoir être brevetée, et pendant ce laps de temps, elle ne bénéficie d’aucune protection. Ainsi, l’ancrage blockchain va constituer une protection intermédiaire mais ne peut en aucun cas remplacer un dépôt à l’INPI !

Concrètement, le fait d’ancrer les diverses évolutions de sa création permet de se constituer une antériorité. Ainsi, en cas de dépôt frauduleux d’un brevet, l’inventeur pourra exercer une action en revendication de brevet et la preuve qu’il se sera constituée par l’ancrage blockchain pourra lui permettre de récupérer le brevet, même si une autre personne l’a déposé avant lui.

Suivant la même logique, en cas de dépôt de bonne foi d’un brevet, l’inventeur non déposant pourra opposer le fait qu’il exploitait déjà cette invention en le prouvant par l’horodatage blockchain. Il pourra ainsi bénéficier d’une licence exclusive sur l’invention pour continuer à l’utiliser : c’est ce qu’on appelle la possession personnelle antérieure.

A l’inverse, l’inventeur peut choisir de ne pas déposer sa création et ainsi de recourir au secret d’affaires. L’ancrage blockchain peut participer à l’horodatage et à la protection du savoir-faire mais surtout aider à la sanction en cas de violation de cette confidentialité.

La blockchain peut également être utilisée pour établir des accords de confidentialité. En effet, l’un des avantages de l’ancrage dans la blockchain réside dans la constitution d’une preuve vérifiable par tous, tout en conservant la confidentialité du document puisque c’est l’empreinte du document qui est ancrée et non le document lui-même.

B- La protection par la blockchain en matière de marque :

 

En matière de marque, rien ne peut remplacer un dépôt à l’INPI. L’article L.712-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose ainsi qu’il faut enregistrer une marque pour acquérir un droit dessus. L’ancrage blockchain ne contribue donc pas à protéger la marque avant son dépôt.

L’ancrage blockchain va se révéler utile dans deux cas : certifier l’origine des produits et prouver un usage de la marque.

Dans le premier cas, en cas de contrefaçon, la preuve blockchain va permettre de prouver que l’acte litigieux porte atteinte à l’image de marque dans sa fonction de garantie de l’origine des produits. Les marques commencent d’ailleurs à avoir recours à la blockchain pour certifier l’origine de leurs produits, que ce soit des marques de produits de luxe comme des marques de produits de grande consommation par exemple.

Dans le second cas, en cas d’action en déchéance, la preuve blockchain peut permettre de prouver l’usage de la marque et ainsi éviter la déchéance.

C- La protection par la blockchain en matière de dessins et modèles :

 

En matière de dessins et modèles, comme en matière de brevet, l’ancrage blockchain va avoir pour fonction la protection du processus créatif. En effet, il n’y a aucune protection des travaux préparatoires à une création. Ainsi, il est conseillé de déposer dans la blockchain l’évolution des croquis et autres dessins ou modèles nécessaires à la réalisation finale pour assurer une traçabilité de la création. Cet ancrage blockchain constituera une preuve d’antériorité en cas de copie ou d’action en contrefaçon.

Cependant, cet ancrage blockchain ne remplace en aucun cas un dépôt à l’INPI. L’article L.511-1 du Code de la propriété intellectuelle précise à cet effet que “peut être protégée à titre de dessin ou modèle l’apparence d’un produit, ou d’une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son ornementation.”.

 

De manière générale, la blockchain apparaît donc comme un mode de preuve important en matière de droits de propriété intellectuelle non-enregistrés. Il convient à cet égard de rappeler qu’en matière de contrefaçon, tout est une question de preuve, et cette dernière peut être rapportée par tout moyen, ce qui inclut donc une preuve par la blockchain. Ceci a d’ailleurs été énoncé dans une réponse ministérielle du 10 décembre 2019, confirmant la force probante de la preuve blockchain, en rappelant tout d’abord le principe de la liberté de preuve des faits juridique, puis en indiquant que la preuve blockchain est admissible devant le juge qui apprécie souverainement sa force probante, comme pour tous les autres modes de preuve.

De plus, comme la blockchain présente un caractère universel, la preuve peut être utilisée partout dans le monde. A cet effet, le 28 juin 2018, le tribunal internet de Hangzhou en Chine a admis un ancrage blockchain à titre de preuve dans le cadre d’un contentieux en propriété intellectuelle.

 

Magali Cadoret

Sources :

[1] https://blockchainyourip.com

[2] https://legalstart.fr

[3] https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2018/01/article_0005.html

[4] https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1190-les-apports-de-la-blockchain-en-matiere-de-droits-dauteur

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