L’affaire Metabirkin, M. Rothschild contre Hermès

©️ Mason Rothschild

 

     La numérisation et la compression des données ont des conséquences importantes sur le droit de la propriété intellectuelle. De plus en plus d’objets protégés par ce droit sont reproduits sous forme numérique. L’opportunité du « on line » est en effet intéressante pour les utilisateurs d’Internet car, dans le monde numérique participatif, ceux-ci peuvent télécharger, copier, ou reproduire des œuvres sans perdre en qualité et de façon plus accessible. Critiquée de toutes parts, la propriété intellectuelle est devenue, pour les internautes, le symbole d’une forme d’archaïsme à l’heure de la société de l’information. Pour autant, la propriété intellectuelle continue de s’appliquer dans le monde numérique. Il est en effet indispensable de renforcer sa protection, afin qu’elle soit pour le moins équivalente à celle accordée aux œuvres, inventions et signes distinctifs dans le monde physique.

     En droit des marques, la contrefaçon se modernise. Aujourd’hui, un nouveau contentieux voit le jour à travers la contrefaçon de marque par des NFTs. Le recours à la blockchain et aux NFTs, uniques et infalsifiables, permet aux consommateurs de retrouver les sentiments d’exclusivité et d’appartenance ainsi que la promesse d’unicité traditionnellement recherchés dans l’acquisition d’un bien de luxe. Or, la contrefaçon de marque peut être admise lors d’une action impliquant une marque et un NFT litigieux comme en témoigne l’affaire Metabirkin.

 

I. Les faits

     En l’espèce, Mason Rothschild, le défendeur, a décidé de lancer courant 2021 à l’adresse <metabirkins.com>, ce qu’il qualifiait d’un projet artistique, soit la mise en vente de 100 reproductions digitales inspirées du sac Birkin en fausse fourrure, commercialisées sous forme de NFTs. Si l’artiste avait pris le soin de préciser, sur le site internet <metabirkin.com>, l’absence de lien entre les NFT Metabirkin et la maison Hermès, le 14 janvier 2022, Hermès International et Hermès of Paris ont tout de même intenté une action en violation du droit des marques et de la concurrence déloyale à l’encontre de Mason Rothschild devant la Southern District Court of New York (SDNY), craignant un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

 

                   

  ©️ Hermès International                                  ©️ Mason Rothschild

 

 

II. La décision de la Southern District Court of New York

        La loi fédérale américaine « Lanham Act » confère en effet un monopole d’exploitation sur la marque, c’est-à-dire le droit pour son titulaire d’en interdire toute utilisation identique ou similaire non autorisée dès lors qu’il existe un risque de confusion ou un risque de dilution d’une marque renommée. Si en l’espèce, le terme « Metabirkin » fait directement référence aux sacs Birkin d’Hermès, l’auteur des NFTs, Mason Rothschild prône la liberté d’expression. Il fait valoir que son projet était artistique de sorte qu’il ne constituait pas une violation du droit des marques. Au regard de la jurisprudence américaine, l’appréciation juridique concernant l’utilisation de la marque d’un tiers dans le cadre d’un projet présenté comme artistique ou pouvant prétendre à la protection du premier amendement doit se faire à l’aune de deux précédents : lorsque le projet poursuit avant tout des velléités commerciales, le test à appliquer est celui de Gruner + Jahr ; lorsque le projet intègre en revanche un véritable concept artistique nonobstant son caractère lucratif, c’est alors le test Rogers. En vertu du premier, les juges vont simplement identifier s’il existe un risque de confusion entre les marques en cause. En vertu du second, au nom de la liberté d’expression artistique, chacun est libre d’exploiter une marque protégée dès lors que cette exploitation constitue une expression artistique qui n’induit pas explicitement les consommateurs en erreur. Or, les juges ont estimé que l’on ne pouvait pas exclure que le projet ait été considéré, à l’origine, comme présentant un intérêt artistique. En effet, indépendamment du caractère lucratif du projet, Rothschild souhaitait expérimenter si l’aspect iconique et luxueux du sac Birkin pouvait être transposé en une forme uniquement numérique en recourant de surcroît de manière ironique à de la fausse fourrure pour les orner, à une époque où les grandes maisons de cette industrie disent se libérer de toute fourrure.

        Toutefois, les juges ont considéré que Rothschild ne pouvait pas se prévaloir de la protection conférée par le premier amendement de la Constitution des États-Unis car le test Rogers démontrait qu’un risque de confusion manifeste entre la marque et l’œuvre litigieuse existait. En effet, dans le cadre du procès, Hermès avait produit une étude de marché témoignant d’un risque de confusion de 18,7% auprès du public potentiellement acquéreur de NFTs. Par ailleurs, les juges ont également retenu que Rothschild a eu recours de façon conséquente aux marques d’Hermès. Même si cette décision ne lie pas les juges de l’Union européenne de façon significative, elle indique que les droits sur une marque existante pour les produits et services qu’elle commercialise sont renforcés contre les emplois non-autorisés dans l’environnement virtuel, malgré le fait que la marque antérieure ne soit pas enregistrée pour des produits et services propres à la classe 9.

       La décision indique également que les images digitales associées aux NFTs qui reproduisent des marques antérieures peuvent constituer des formes d’expression artistique aux États-Unis. Il y a une conséquence importante à ce principe. Le juge reconnait l’expression artistique de Mason Rothschild et constate ainsi que la subtile distinction que Hermès cherchait à faire entre l’image digitale du sac Birkin d’une part et le NFT associé à cette image d’autre part, n’avait pas de raison d’être. Seul importe le point de vue de l’acheteur, déterminant en droit des marques. Or, pour ce dernier, le NFT et l’image qui lui est associé forment un tout : le NFT est l’image qu’il reproduit. La prise en compte du consommateur comme standard de référence dans la caractérisation de la contrefaçon est primordiale et le juge américain et rend sa décision en conséquence.

 

 

III. La persistance de certaines limites et interrogations

       Si la décision est bienvenue, certaines limites demeurent. En effet, elle est rendue sur le territoire américain par la SDNY. Aussi, elle n’a pas vocation à s’appliquer sur le territoire européen. Il y a donc une limite territoriale considérable. De plus, la décision n’est pas définitive puisqu’il ne s’agit que de l’interprétation des juges du fond. Mason Rothschild a en effet interjeté appel de ladite décision. L’affaire est donc à suivre.

      Enfin, même si les juges européens calquent leurs futures décisions au regard des arguments tirés de l’affaire Metabirkin contre Hermès, il s’agit encore une fois d’une jurisprudence propre aux marques de renommée. Quid des marques non-enregistrées en classe 9 qui ne bénéficient pas de la dérogation au principe de spécialité ? Si la classification de Nice s’est modernisée, conseiller les entreprises à procéder à l’enregistrement de leur marque en classe 9, par précaution, ne résout pas de façon absolue le problème puisque l’absence d’activité de la marque dans cette même classe pourrait lui faire perdre son monopole d’exploitation pour défaut d’usage sérieux de la marque.

      C’est pour cette raison que la qualification juridique du NFT est primordiale en ce que cela permettrait d’assurer une certaine harmonie juridique quant à son régime. En effet, les NFTs sont des biens immatériels diffusés très largement sur Internet. Cela signifie que le public qu’ils visent est international. Dans ce monde numérique transcontinental, une qualification juridique des NFTs est donc indispensable pour assurer l’harmonie des décisions rendues à leur égard. Or, on remarque rapidement que les quelques États qui se sont positionnés sur cette qualification n’ont pas la même conception des NFTs. La plus grande divergence tenant à la qualification ou non d’œuvre de l’esprit des NFTs.

      Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a déposé un rapport de mission en juillet 2022 sur les NFTs en tentant de définir juridiquement ce que recouvre réellement la notion. Selon ledit Conseil, les NFTs ne sont pas des œuvres d’art. Autrement dit, le propriétaire du NFT ne pourra se défendre sur le fondement du droit d’auteur ou encore de sa liberté d’expression en cas de contentieux. Le contrôle de proportionnalité, conséquence de la fondamentalisation de la propriété intellectuelle, ne bénéficiera donc pas aux titulaires de NFTs. Cette position se comprend car le NFT est un code qui transporte une image numérique. Cette distinction entre code et image sous-jacente peut être justifiée sous l’angle du droit d’auteur. En effet, le législateur est réticent à l’idée de faire entrer dans le champ de protection du droit d’auteur des « œuvres » qui ne retracent pas réellement la personnalité de l’auteur (originalité). Si une protection au titre du droit d’auteur est par exception accordée aux logiciels (lignes de code également) par la loi Lang de 1985, les critères d’appréciation de l’originalité pour ces œuvres sont plus restrictifs. La Cour de cassation est stricte à ce sujet puisqu’elle refuse d’octroyer une protection au titre du droit d’auteur aux logiciels non-originaux, témoignant d’une simple « mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante, la matérialisation de cet effort résultant en une structure individualisée » (Cass, 1ère civ 17 octobre 2012, n°11-21541).

      Aussi, une question subsiste : si les NFTs ne sont que des lignes de code, non-protégeables par le droit d’auteur, le juge français écartera-t-il toute contrefaçon, dès lors que l’image contrefaisante d’une marque protégée par le droit des marques ne fait pas partie intégrante du NFT ? Autrement dit, si l’on considère que le NFT est un bien distinct de la chose qu’il représente, empêchant son titulaire de se défendre au regard de sa liberté d’expression, la contrefaçon de marque n’est-elle pas alors impossible ? Une ligne de code ne peut en effet contrefaire une marque tridimensionnelle ou verbale. À cet égard, la Cour Suprême britannique a récemment décidé que les NFTs devaient être considérés comme des biens distincts de la chose qu’ils représentent, appelant donc un protection légale autonome, ce qui soulève des enjeux relatifs à la protection des marques actuellement enregistrées pour des biens matériels et non pour leur représentation numérique, notamment dans le secteur du luxe.

Cette conception du NFT n’est pas envisageable. En effet, la contrefaçon de marque et la contrefaçon en générale doivent s’apprécier par rapport au standard de référence qu’est le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Or, le consommateur moyen ne fait pas de distinction entre le NFT en tant que code pur et l’image associée à celui-ci. Le NFT est compris par le consommateur comme un tout indissociable : il s’agit de l’image numérique téléchargeable. Aussi, la décision de la Southern District Court of New York dans l’affaire Metabirkin contre Hermès est tout à fait compréhensible dans le sens où les juges prennent en compte ce facteur afin de qualifier la contrefaçon de marque. Selon eux, seul importe le point de vue de l’acheteur déterminant en droit des marques. Or, pour ce dernier, le NFT et l’image qui lui est associée forment un tout. On estime alors que c’est dans cette même logique que le juge américain considère que si le consommateur perçoit le NFT comme image numérique, alors le créateur du NFT peut également se défendre en évoquant le projet artistique derrière celle-ci. D’où la qualification d’œuvre du NFT.

Ainsi, en France et en Angleterre, il y a une tendance forte à distinguer le NFT en tant que code, de l’image qu’il renvoie. Or, dans l’Union européenne, le standard de référence est toujours ce consommateur d’attention moyenne en ce qu’il est l’acteur principal dans la caractérisation de la contrefaçon. Les juges sont nécessairement contraints de prendre en compte le fait que le consommateur ne distingue pas le code de l’image. Autrement dit, la théorie de la dissociation code/image parait discriminatoire au regard du créateur du NFT. En effet, pourquoi, en référence au consommateur moyen, le juge prendrait en compte le NFT dans sa totalité, sans pour autant accorder cette conception du NFT à son titulaire et limitant ainsi ses moyens de défense ? On estime ainsi que les prochaines solutions des tribunaux français ou anglais, voire européens, seront dans le sillage de la décision rendue par la Southern District Court of New York et se conformeront à son approche de la contrefaçon. Reste à savoir s’ils abandonneront la qualification juridique restrictive actuelle accordée aux NFT.

En attendant, cette divergence quant à la qualification ou non d’œuvre d’art du NFT limite considérablement sa compréhension et son appréhension. Il est nécessaire de légiférer afin de pallier les discordances en la matière. Si ce travail de régulation a d’ores et déjà débuté, il reste aujourd’hui insuffisant.

Laure MICHELOT et Lucie DOLLA

 

Sources : 

Nathalie (D.), Marques et Internet, protection, valorisation, défense, LAMY axe de droit, LAMY, 2011, 470p

Anne-Sophie (C.), « Deuxième acte dans l’affaire des NFT « MetaBirkin » », Twelve avocats, Dalloz actualité, 25 novembre 2022

Philippe (G)., Wilhem (G)., « Droit des marques et NFT : que faut-il penser d’Hermès v Rothschild ? », 20 février 2023

Premier Amendement de la Constitution des États-Unis de 1791

Us Court of Appeals for the Second Circuit, 5 May 1989, Rogers v. Grimaldi, 875 F.2d 994, 1989

Us Court of Appeals for the Second Circuit, 28 April 1993, Gruner + Jahr USA Publishing v Meredith Corporation, 991 F.2d 1073, 1993

EUIPO, « Are trademarks protected in the metavers? », case law comment, March 30, 2023, [En ligne]. https://urlz.fr/lCAX

Article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle

U.K. High Court of Justice, 10 mars 2022, Lavinia Deborah Osbourne and Person Unknown and Ozone

CJCE, 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, aff. C. 342/97

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