L’affaire Myriad Genetics : Peut-on breveter des gènes humains isolés ?

Peut-on breveter des gènes humains isolés ? L’affaire Myriad Genetics est une affaire de bioéthique bousculant la jurisprudence américaine en droit des brevets.

 

C’est tout particulièrement en matière de droit des brevets que bioéthique et propriété intellectuelle révèlent des problématiques importantes. Le champ de brevetabilité est ainsi l’objet de débats qui mêlent droit et morale. L’affaire Myriad Genetics soulève la question de la brevetabilité de la séquence d’un gène. Si les juges australiens et européens se sont aussi prononcés sur les brevets de cette société, nous nous pencherons sur les solutions retenues par les juges américains.

 

L’affaire Myriad Genetics devant les tribunaux américains

La société Myriad Genetics, leader en matière de tests génétiques & diagnostic moléculaire, a posé un brevet portant sur deux gènes appelés BRCA1 et BRCA2 qui sont impliqués, entre autres, dans des cancers comme le cancer du sein, des ovaires et de la prostate. L’intérêt de leur étude est évidemment de mieux détecter ces cancers et surtout les prédispositions que certains pourraient avoir. 

La Cour du South District de New York  (1) a été amenée à se prononcer sur la validité de ce brevet et retient qu’une grande partie des revendications du brevet portait en réalité sur des objets ne pouvant être brevetés au titre du droit américain des brevets, plus particulièrement, l’article 101 du Titre 35 du United States Code (USC). D’autre part, les juges considèrent que les molécules d’ADN qui avaient été isolées n’étaient pas brevetables car l’ADN isolé était très ressemblant à l’ADN dont il était dérivé (naturel).

En appel, la US CAFC (2) se prononce en sens inverse puisqu’elle estime que ces gènes isolés résultaient d’une intervention humaine nécessaire de sorte qu’ils ne devaient être regardés comme des produits naturels purifiés. Cette décision confirme la jurisprudence jusqu’alors constante de l’office américain des brevets qui admettait en effet des brevets revendiquant des séquences de gène isolé. 

Déjà dans l’affaire Mayo v. Prometheus (3), la Cour suprême avait pourtant jugé qu’une méthode d’optimisation du traitement d’un patient atteint d’une affection immunitaire se développant sur plusieurs étapes, n’était qu’une simple observation des lois de la Nature associés à des étapes de sorte qu’elle ne saurait être brevetable. L’objet du brevet portait sur le dosage d’un composé permettant de connaître le niveau de dégradation du médicament dans le corps du patient. Or cette dégradation étant un phénomène nécessairement naturel et les autres étapes techniques étant classiques, le critère d’utilité permettant d’accéder à la protection par le brevet ne saurait être regardé comme rempli (rappelons à ce titre qu’il existe 3 critères de brevetabilité en droit américain des brevets : la nouveauté, la non évidence et l’utilité). 

Dans l’affaire Myriad Genetics, les juges de la Cour suprême, le 13 juin 2013, concluent que les molécules isolées d’ADN sont des produits de la nature et ne sont donc pas brevetables, néanmoins l’ADN synthétique (ADNc) est brevetable semble-t-il. En effet, cet ADN est synthétique car spécialement conçu, et donc n’existant pas à l’état naturel, pour reproduire des parties codantes des gènes (contenant des informations). Frédéric Pollaud-Dulian relève néanmoins que cette arrêt n’ouvre pas nécessairement une grande porte à l’obtention d’un brevet sur un ADN synthétique car la condition d’activité inventive risque d’être difficile à remplir au vu du fait qu’il paraît facile pour un homme du métier d’obtenir cet ADN synthétique à partir d’un ADN naturel, non brevetable. 

Ainsi, en dehors de l’hypothèse incertaine d’un ADN synthétique, les séquences ADN ne sont plus brevetables depuis cet arrêt aux Etats-Unis. Plus largement, il n’est plus possible de revendiquer des séquences génétiques en raison de leur origine naturelle. L’Office américain des brevets a dû ainsi changer sa pratique : immédiatement après cette décision, il rédige une note à l’intention des examinateurs de l’USPTO (4) où il est clairement annoncé que toute revendication de produit constitué d’une séquence d’ADN, isolé ou non, sera rejetée pour manquement à la condition d’utilité. 

 

Un revirement de jurisprudence en droit américain des brevets portant sur des séquences d’ADN

Par cette décision, la Cour suprême prend un tournant inattendu en retenant qu’une séquence génétique ne pourrait être brevetable au vu de son origine naturelle. En effet, dans un célèbre arrêt Diamond vs Chakrabarty (5) trente ans plus tôt, les juges avaient ouvert la voie à la brevetabilité du vivant concernant alors un OGM (6) : la brevetabilité d’éléments naturels isolés était ainsi admise. Sa jurisprudence depuis lors avait été constante jusqu’à l’arrêt du 13 juin 2013 où elle semble exiger que l’élément ne puisse exister dans la nature et suppose ainsi une création de l’Homme (ex : ADN synthétique).

Ce revirement de jurisprudence s’est suivi en pratique de la note déjà mentionnée au sein de l’USPTO à l’attention des examinateurs. L’année suivante l’Office américain l’a complétée afin d’élargir les instructions données à tout type d’invention et tous domaines confondus. En juillet 2016, l’office a mis à jour ces instructions pour renseigner les examinateurs sur la façon de justifier un rejet de brevetabilité au titre de l’article 101 du Titre 35 de l’USC. 

 

Critiques & portée de l’affaire Myriad 

L’affaire Myriad s’inscrit dans une tendance générale de questionnements relatifs à la bioéthique en droit des brevets. Ces problématiques sont centrales mais essentielles à la matière étant donné que la recherche scientifique doit continuer pour des questions d’intérêt général (par exemple, pour trouver des traitements). Néanmoins ces mêmes recherches représentent des coûts faramineux et on comprend ainsi pourquoi, au vu des investissements, les opérateurs souhaiteraient acquérir un monopole d’exploitation comme le permet le brevet. Trouver un équilibre entre la promotion du progrès technique et la récompense des acteurs privés pour leurs efforts pécuniaires est, par conséquent délicat.

Lors du dépôt des brevets litigieux, de nombreuses critiques relevaient la monopolisation presque immorale de la société Myriad Genetics. En effet, le prix élevé des licences (pour pouvoir réaliser des tests entrant dans le champ du brevet) qu’elle accordait empêchait les laboratoires les moins fortunés à les effectuer. Se pose ainsi un problème de concurrence puisque les autres laboratoires étaient alors contraints de transmettre leurs prélèvements à Myriad Genetics pour obtenir des résultats. En outre, il existait une impossibilité de comparer les différents résultats en question (pour élaborer de meilleurs traitements par la suite) au vu de l’appropriation par Myriad des informations déduites des résultats des tests. 

On pourrait ainsi voir en cette solution une victoire en matière de bioéthique. Les avis en réalité divergent. Si J. Sulston, généticien britannique, accueille les conclusions des juges américains en raison du risque de “paralysie de la recherche” que permettrait la brevetabilité du vivant et ainsi d’aller dans un sens contraire du progrès scientifique qui permet, notamment, de mettre au point de nouveaux tests génétiques. D’autres comme J. Greenwood, Président de l’Organisation des industries de biotechnologie aux Etats-Unis, relèvent que la fin de la jurisprudence Diamond v. Chakrabarty est perturbante puisqu’elle rompt avec la pratique de l’Office américain de la propriété industrielle. Enfin, certains font remarquer que la jurisprudence américaine, et de surcroît la pratique de l’USPTO, allaient désormais être différentes de celles de leurs homologues étrangers. En effet, en Europe, l’OEB (7) reconnaît la brevetabilité de séquences génétiques tant qu’une application industrielle peut être prouvée. Si dans un premier temps, l’OEB avait invalidé les brevets de Myriad Genetics, après appel, la société est tout de même parvenue à voir une partie de ses revendications être accueillies. L’Australie, quant à elle, a rejeté la brevetabilité du gène BRCA1 comme les Etats-Unis mais également celle de l’ADNc, théoriquement possible pourtant en droit américain.

 

Sarah Second & Vanille Duchadeau.

 

(1) South District of New York Court, 29 mars 2010.

(2) US Court of Appeals for the Federal Circuit, 29 juillet 2011. 

(3) US Supreme Court, 20 mars 2012.

 (4) US Patent & Trademark Office.

 (5) US Supreme Court, 16 juin 1980.

(6) Organisme génétiquement modifié.

 (7) Office européen des brevets.

 

Sources : 

  • BINCTIN, N., Brevet d’invention – Objet de l’appropriation. Janvier 2018 (actualisation : Juillet 2019), pt 62, Dalloz.
  • FAIVRE PETIT F., “Myriad : Deuxième confirmation de la brevetabilité de l’ADN isolé. Dernière étape ? Rien n’est moins sûr !”, Site du cabinet Regimbeau.
  • FAIVRE PETIT F., “Le système des brevets américains exige (toujours) plus que la nature …”, Site du cabinet Regimbeau.
  • POLLAUD DULIAN F., “L’adieu au brevet et le retour à la Nature des séquences d’ADN : l’arrêt Myriad Genetics de la Cour suprême des Etats-Unis”, Recueil Dalloz 2013 p.2594.
  • GAUMONT-PRAT H., Fasc. 4241 : Brevetabilité du vivant : animal, végétal et humain. – Application du droit des brevets aux inventions biotechnologiques. Date du fascicule : 2 Février 2017. Date de la dernière mise à jour : 10 Juin 2019.

 

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