Retour sur l’arrêt la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 5 janvier 2017.
Ce titre prête à sourire, pourtant c’est bel et bien ce qu’a dû juger la deuxième chambre civile Cour de cassation le 5 janvier 2017 dans une affaire relative à la récusation d’un juge. (1)
L’émergence des réseaux sociaux depuis le début de XXIème avec l’apparition progressive de Facebook (2004), Twitter (2006), etc. n’a pas laissé le droit indifférent face à des multitudes « d’amis virtuels » et pages personnelles.
Le réseau social est un espace de liberté pour celui qui écrit sur son « mur » ou page personnelle mais n’échappe pas pour autant au droit et notamment aux restrictions de la liberté d’expression. C’est en matière de droit du travail que beaucoup de litiges ont vu le jour. En effet, il est parfois arrivé que le salarié insulte son employeur et le dénigre.
La page personnelle semble relever du domaine de la vie privée, pourtant, la liberté d’expression du salarié peut se voir limitée si celui-ci laisse son compte totalement public, ou encore si le nombre d’ami est tel qu’on ne peut plus considérer ce compte comme « privé », dans ce cas les propos peuvent constituer des injures publiques. Le délit d’injure publique est un délit de presse soumis au régime de la loi sur la Liberté de la presse du 29 juillet 1881.
Dans un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 10 avril 2013 (n° 11-19530) une ancienne salariée avait publié sur divers réseaux sociaux des insultes de ses anciens employeurs, la Cour de cassation retient que les insultes ne constituent pas des injures publiques si le compte personnel est paramétré de façon à ce qu’il ne soit accessible qu’aux membres agréés, en petit nombre, formant une communauté d’intérêt. (2)
Cet arrêt donne une première piste de réflexion sur ce qu’est l’ami sur les réseaux sociaux.
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L’arrêt rendu par la 2ème chambre de la Cour de cassation rendue le 5 janvier 2017 (n°16-12.394) concerne un domaine tout à fait différent puisqu’il s’agit d’une récusation d’un juge en fonction de ses liens d’amitié sur le réseau social Facebook.
La récusation est un mécanisme permettant de refuser d’être jugé par un juge lorsqu’on conteste son impartialité. C’est l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire qui prévoit les modalités d’application de la récusation. La loi énonce 9 raisons pour lesquelles la récusation peut être demandée, et notamment le 8° concerne le cas où « il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l’une des parties ».
Qu’est-ce que l’amitié ? Si le droit connaît cette notion d’amitié à l’égard de différentes matières notamment le service d’ami (3), ou encore le prêt d’ami, il n’existe pas de notion précise ce qu’est l’ami réel, encore moins de définition de l’ami virtuel. Le Larousse définit l’amitié comme étant « le sentiment d’affection entre deux personnes ; attachement, sympathie qu’une personne témoigne à une autre ». La troisième chambre civile de la Cour de cassation du 7 janvier 1981, à propos de l’impossibilité de se procurer un écrit comme moyen de preuve, l’arrêt nous éclaire sur une définition de l’ami, et énonce que ce sont « les liens particuliers et quasi familiaux d’estime et d’affection » (4).
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La question qui est alors posée à la Cour de cassation est la suivante : l’ami Facebook peut-il être entendu au sens traditionnel d’ami ?
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Dans l’arrêt du 5 janvier 2017, la Cour de cassation répond par la négative :
« Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la pertinence des causes de récusation alléguées que la cour d’appel a retenu que le terme d’ « ami » employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme et que l’existence de contacts entre ces différentes personnes par l’intermédiaire de ces réseaux ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession ; »
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Il ressort trois éléments de cette décision,
Que tout d’abord le terme « ami » tel qu’employé sur le réseau social n’est pas opportun en ce qu’il ne s’agit pas de réels liens d’amitiés tels que compris traditionnellement. Le terme « contact » aurait été sans doute plus opportun. Ensuite, l’existence de contact entre ces personnes via le réseau social n’est pas de nature à caractériser en lui-même une partialité particulière. Enfin, la Cour énonce que le réseau social est simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent un même centre d’intérêt.
Dans cette affaire, l’ami Facebook n’est donc pas un vrai ami en raison d’absence de proximité réelle entre les protagonistes. Pourtant, si cette affaire est mise en lumière avec l’affaire précitée de la chambre 1ère chambre civile du 10 avril 2013, on voit que la Cour de cassation décide au cas par cas s’il y a liens d’amitié. Elle reconnaîtra alors parfois qu’il existe une communauté d’intérêts entre les membres et parfois, qu’il n’en existe pas comme c’est le cas en l’espèce.
Telle que le démontre Sophie Prétot (5), dans l’arrêt de la 1ère chambre civile du 10 avril 2013, le groupe qui était constitué sur son réseau social était restreint, fermé, les membres avaient été tous agréés par la salariée, « l’existence de liens sur les réseaux sociaux ne faisait que concrétiser des liens de proximité déjà existants ».
En l’espèce, dans l’arrêt de la 2ème chambre civile du 5 janvier 2017, le compte n’était pas fermé mais ouvert avec un grand nombre de contacts, de ce fait, la Cour de cassation a pu constater que l’utilisation du réseau social en question n’était qu’un outil de communication, sans communauté d’intérêts et sans la volonté de vouloir lier des liens réels.
Ainsi, si nos amis réels peuvent être nos amis virtuels, tous nos amis virtuels ne sont pas nécessairement nos amis réels.
Cela revêt une réelle importance dans le contexte actuel de l’État d’urgence et de la lutte contre le terrorisme. Être lié à des liens d’amitié sur Facebook n’est pas sans danger, les services de renseignements se servent fréquemment des liens d’amitié sur les réseaux sociaux ou encore d’un « j’aime » sur une page, un groupe, pour rechercher d’éventuels complices et démanteler les réseaux.
La Cour de cassation ne tranche pas aveuglément du simple fait d’un lien d’amitié sur un réseau social et cette solution est la bienvenue. Les juges seront amenés à analyser s’il existe de réels liens d’amitiés entre les utilisateurs d’un réseau social, afin de ne pas en tirer de conclusions hâtives…
Mélanie Cras
1ère année Master IP/IT
Sources
(1) – Arrêt n° 1 du 5 janvier 2017 (16-12.394) – Cour de cassation – Deuxième chambre civile – ECLI:FR:CCASS:2017:C200001. REJET.
(2) – « Mais attendu qu’après avoir constaté que les propos litigieux avaient été diffusés sur les comptes ouverts par Mme X… tant sur le site Facebook que sur le site MSN, lesquels n’étaient en l’espèce accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre très restreint, la cour d’appel a retenu, par un motif adopté exempt de caractère hypothétique, que celles-ci formaient une communauté d’intérêts ; qu’elle en a exactement déduit que ces propos ne constituaient pas des injures publiques. »
(3) – Service d’ami est employé par rapport au dépôt souvent dès le droit romain.
(4) – Cour de cassation, 3ème chambre civile, du 7 janvier 1981, n° 79-14.831.
(5) – L’ami des réseaux sociaux : précisions sur l’appréhension juridique de la communauté virtuelle – Sophie Prétot – 19 janvier 2017