Le caractère trompeur d’une marque « ne saurait résulter automatiquement de l’application d’une disposition […] dans le code de la consommation, mais seulement de son appréciation conformément à l’article L. 711-3 c du code de la propriété intellectuelle et à l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence »[1]. Cette citation de Jacques Azéma, Professeur émérite à la Faculté de Droit de l’Université Jean Moulin (Lyon III), illustre parfaitement un exemple d’objet appréhendé par le droit sous deux aspects différents : la marque sous l’angle du droit de la propriété industrielle (droit des marques) et sous l’angle du droit de la consommation.
En 2014, la Cour de cassation[2] est venue rappeler la finalité spécifique du droit des marques qui s’oppose à celle du droit de la consommation. Ainsi, selon Thierry Lambert[3], « la finalité spécifique de la marque […] est de permettre de distinguer sans confusion possible le produit couvert de ceux qui ont une autre provenance, tandis que le droit de la consommation […] a pour objet particulier d’informer le consommateur sur les caractéristiques du produit en question ». Ainsi, le droit des marques et celui de la consommation demeurent autonomes l’un de l’autre, « la déceptivité d’une marque [s’appréciant] exclusivement au regard des règles prévues par le Code de la propriété intellectuelle et non celles envisagées par le Code de la consommation ». Par conséquent, si le régime issu du droit des marques a pour objectif de protéger les intérêts patrimoniaux du titulaire de la marque, le consommateur se retrouve alors exclu de la protection. Les dispositions du Code de la consommation viennent alors combler cette carence à travers divers mécanismes.
La marque au cœur de l’intérêt du titulaire, de l’intérêt général et de l’intérêt du consommateur
La marque se caractérise par plusieurs fonctions. La première est la fonction de garantie de provenance : la marque est un signe de ralliement de la clientèle en étant informée de l’origine d’un produit ou d’un service mais est aussi un signe distinctif permettant de distinguer des produits similaires des concurrents ou des services rendus par d’autres. Ensuite, la marque a une fonction plus juridique : son enregistrement confère au titulaire un droit exclusif de propriété sur cette marque pour les produits ou services désignés. On peut aussi caractériser une fonction davantage économique : la marque possède un rôle de communication, d’investissement et de publicité car « l’image [qu’elle] véhicule, sa notoriété, son pouvoir d’évocation et d’attraction, sa réputation, son pouvoir d’identification constituent une valeur économique »[4]. Enfin, la marque a une fonction de garantie de qualité car « c’est parce que l’objet marqué provient d’une origine constante que le consommateur peut attendre la permanence de certaines qualités »[5].
Ces fonctions sont protégées par le Code de la propriété intellectuelle (CPI) et par le Code de la consommation. Ainsi, pour remplir ses rôles, la marque est soumise par le droit positif à un certain nombre d’exigences. Elle doit être un signe distinctif, être disponible, licite, et ne pas être déceptive.
Une marque trompeuse – ou déceptive – est une marque « de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service »[6]. Cette marque trompeuse peut être préjudiciable pour une diversité d’intérêts : l’intérêt du titulaire de la marque qui veut faire respecter son droit de propriété et maintenir la réputation de son produit ou service, l’intérêt général car « la marque contribue au bon fonctionnement du marché et à la loyauté de la concurrence »[7] et enfin l’intérêt du consommateur qui souhaite être informé de l’origine du produit ou du service. Si ces deux premiers intérêts sont particulièrement pris en compte par le droit des marques, celui du consommateur l’est principalement à travers le Code de la consommation.
La carence de protection du consommateur en droit des marques
L’article L711-3 c) du Code de propriété intellectuelle dispose que « Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe : […] De nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ». Cet article est présenté comme une disposition protectrice des consommateurs par plusieurs auteurs tels que Jean Calais-Auloy ou Frank Steinmetz[8].
En effet, lorsqu’une entreprise se voit refusée à l’enregistrement un signe trompeur, on peut considérer que le consommateur se retrouve indirectement protégé. Les associations de consommateurs peuvent par exemple avoir intérêt, à compter de la publication de la demande d’enregistrement, à faire connaître leurs observations au directeur de l’INPI au cours de la procédure d’examen en vertu de l’article L712-3 du CPI. Encore mieux, ces associations ou un consommateur individuel peuvent aussi agir en nullité d’une marque déceptive, car la nullité absolue sanctionnant les conditions des articles L711-1 du CPI et L711-3 du CPI peut être invoquée par tout intéressé, ou exercer une action en déchéance d’une marque devenue trompeuse, l’action étant elle aussi ouverte à tout intéressé[9].
Néanmoins, il n’existe aucune protection issue du droit des marques qui appréhende l’usage d’un signe trompeur dans le commerce. En effet, le droit des marques exclut bien qu’un signe trompeur puisse être couvert par un droit de marque, mais il ne s’occupe pas d’en interdire l’usage. Si un déposant est déchu de ses droits, voit sa demande d’enregistrement rejetée ou sa marque annulée, il n’est cependant pas empêché par le droit des marques d’engager ou de continuer l’exploitation du signe : les dispositions du CPI sont impuissantes à faire cesser la tromperie à l’égard de la clientèle.
La sanction de l’usage d’une marque trompeuse relève alors de régimes externes au CPI. Sur le plan civil, on peut imaginer qu’un consommateur puisse agir en dommage et intérêts s’il établit avoir subi un préjudice du fait de l’emploi de la marque trompeuse[10]. Les concurrents, eux, peuvent intenter une action en concurrence déloyale[11] car l’emploi d’un signe trompeur rompt l’égalité des chances dans la compétition économique, rupture contre laquelle chaque concurrent a un intérêt direct et personnel à agir.
Mais la sanction de l’usage d’une marque trompeuse relève principalement des dispositions du Code de la consommation tel que l’article L441-1 si cet usage est l’instrument d’une fraude ou d’une tromperie mais aussi des articles L121-1 et suivants du même code sur les pratiques commerciales déloyales. Ces dispositions posent de lourdes sanctions pécuniaires ayant pour effet d’inciter le titulaire de la marque à stopper l’exploitation de cette dernière.
La sanction de l’usage d’une marque trompeuse en droit de la consommation
La sanction de l’usage d’une marque trompeuse peut tout d’abord relever des articles du Code de la consommation relatifs à la tromperie. Ainsi, l’article L441-1 (ex-article L213-1) dispose « Il est interdit pour toute personne, partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers : 1° Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises […] 3° Soit sur l’aptitude à l’emploi […] ». Ainsi, l’usage d’une marque déceptive peut constituer l’élément matériel du délit de tromperie, la peine étant prévue par les articles L454-1 et suivants du Code de la consommation pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaire annuel d’une société. Par exemple, l’usage de la marque « Fermiers de Champagne » pour désigner des poulets provenant d’élevages industriels a été poursuivi sous la loi du 1er août 1905[12] sur les fraudes car la marque « est de nature à créer, dans l’esprit de l’acheteur, une confusion avec les poulets élevés en plein air dans les fermes »[13]. Dans le domaine du prêt-à-porter, la marque NCF Nouvelle Couture Française désignant des articles de prêt-à-porter a été condamnée parce qu’elle suggérait que les vêtements désignés étaient de haute couture[14].
L’article L121-2 2° du Code de la consommation relatif à la publicité mensongère constitue également une source de sanction de l’utilisation des marques déceptives. Depuis l’ordonnance du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation, la publicité fausse ou de nature à induire en erreur n’est plus présente en tant que telle dans le Code de la consommation mais constitue une forme de pratique commerciale trompeuse par action. Ainsi, cette disposition remplace l’ex-article L121-1 du même code en prévoyant qu’une pratique commerciale est trompeuse lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur un ou plusieurs éléments que la loi détermine. Dès lors, le domaine des pratiques commerciales trompeuses s’applique à la publicité trompeuse : la publicité doit émaner d’un professionnel, et non plus d’un particulier, mais peut viser aussi bien une clientèle de commerçants que de consommateurs. La publicité mensongère a servi plusieurs fois de fondement de la sanction de l’utilisation d’une marque déceptive[15] : par exemple, une société qui mélange des œufs étrangers avec des œufs produits localement en les emballant avec la mention « Fermiers d’Argoat » constitue un délit de publicité mensongère[16].
Au regard de ces différents mécanismes, le Code de la consommation vient sanctionner l’usage de la marque déceptive en obligeant le professionnel, à travers d’importantes sanctions pécuniaires, à cesser la tromperie à l’égard de la clientèle. Par conséquent, la marque est apte à remplir sa fonction d’identification pour permettre aux consommateurs d’identifier l’origine des productions et de faire un choix raisonné parmi les multiples offres concurrentes. Les dispositions du CPI et du Code de la consommation sont alors à la fois autonomes et complémentaires.
La marque est aujourd’hui au cœur de l’actualité juridique. En effet, avec la réforme du « paquet marque »[17] de l’Union Européenne et la suppression de l’exigence de représentation graphique, les objets susceptibles d’être protégés par la marque deviennent encore plus nombreux. Des marques olfactives aux marques tactiles, en passant par des marques gustatives : la nouvelle condition exige seulement que le signe soit représenté « d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet »[18]. Cette extension du champ d’application de la marque se trouve ainsi fortement agrandi, d’autant plus ce dernier l’était déjà[19]. Quid de la protection du consommateur dans un champ aussi élargi que celui de la marque ?
Benjamin BARATTA
1ère année Master IP/IT
Références bibliographiques :
- La marque, garantie de qualité, T. Lambert, D. 2015. Chron. 2087
- Répertoire commercial, Marques de fabrique, de commerce ou de service, J. Schmidt-Szalewski, Dalloz
- Passa, Droit commun des marques et protection du consommateur, in Mél. J. Calais -Auloy, Dalloz, 2004
Sources :
[1] Marque déceptive – Jacques Azéma – RTD com. 2014. 360
[2] Arrêt de la Cour de cassation, chambre Commerciale – 21 janv. 2014, n° 12-24.959
[3] La marque, garantie de qualité, T. Lambert, D. 2015. Chron. 2087
[4] F. Pollaud-Dulian, La propriété industrielle, ed. Economica, p.710.
[5] P. Mathély, Le droit français des signes distinctifs, LJNA, 1984, p. 12
[6] Article L711-3 c) du CPI
[7] F. Pollaud-Dulian, La propriété industrielle, ed. Economica, p.719.
[8] J. Calais-Auloy et F. Steinmetz, Droit de la consommation, P. 61
[9] I. Marteau-Roujou de Boubée, Les marques déceptives, Litec, coll. « CEIPI », 1992, n°424
[10] J. Passa, Droit commun des marques et protection du consommateur, in Mél. J. Calais-Auloy, Dalloz, 2004
[11] Par exemple : arrêt de la Cour de cassation, chambre Commerciale – 29 mars 1994 – commenté dans PIBD 1994 n°570 III 381 ; article 10 bis paragraphe 2, 3° de la Convention d’union de Paris
[12] Cette loi ayant été reprise par l’ex-article L213-1 du Code de la consommation relatif au délit de tromperie
[13] Arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle – 28 mai 1974 – commenté dans PIBD 1974. III. 372
[14] Arrêt de la Cour d’appel de Paris – 27 avr. 1981 – commenté dans RIPIA 1981, p. 490
[15] Autre exemple, arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle – 15 févr. 1982 – commenté dans D. 1983. 275, note D. Mayer et J.-P. Pizzio, marque « Expert » utilisée dans la publicité
[16] Arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle – 19 oct. 2004 – commenté dans JCP 2004. IV. 3422
[17] Le « paquet marque » est matérialisé par la Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 et du Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015. Cette réforme est un « paquet » car composée de deux textes
[18] Article 3 b de la directive ; article 4 b du règlement
[19] Par exemple, l’agencement des magasins Apple Store a été reconnu comme une marque dans une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne : http://www.journaldugeek.com/2014/07/10/brevet-apple-store/