En 1987, CompuServe (premier grand fournisseur de services en ligne aux États-Unis) fit découvrir une nouvelle facette d’internet grâce à un nouveau format de fichier d’image: le GIF. Déjà considéré à l’époque comme hors des chantiers battus, le Graphic Interchange Format a connu une montée en puissance depuis quelques années déjà, et s’utilise comme mode de communication original dont le succès tient à sa forme mais aussi à ses origines. Habituellement basés sur l’échange de messages, les réseaux sociaux ont su développer des stratégies toujours plus innovantes pour conserver un maximum d’utilisateurs et développer le partage d’informations.
Grâce aux GIFs, ce n’est plus seulement l’échange de texte qui prévaut, mais bien des extraits très succincts d’images issus de films, de séries, de dessins animés ou de la vie courante. Au plus grand plaisir des internautes, ces GIFs constituent un bien pour un mal. Il est possible de les exploiter librement à l’heure actuelle pour leur forme puisque depuis l’expiration en 2004 du brevet d’Unisys qui était la société possédant le «.gif », ce dernier est tombé dans le domaine public et est désormais utilisé de manière libre, et cela même sans permission légale des auteurs des œuvres utilisées. Les droits patrimoniaux des auteurs étant par conséquent mis sur la touche dans de telles situations, il est nécessaire de s’interroger sur la protection de ces droits et de ces œuvres utilisées – pour ne pas dire subtilisées – le plus souvent à des fins humoristiques.
I – Le GIF face aux droits d’auteur
Il s’avère que la législation française n’a pas (encore) connu d’intervention pour encadrer l’utilisation spécifique de cette forme de communication. Le droit d’auteur, partagé entre le droit patrimonial et le droit moral, correspond à l’ensemble des prérogatives dont dispose une personne sur les œuvres de l’esprit qu’elle a créées. L’intrusion des GIFs dans ces domaines peut être à l’origine de conflits puisque ces droits essentiels du droit d’auteur viennent être bousculés. Concernant les droits patrimoniaux, ils constituent les prérogatives économiques qui permettent à l’auteur d’encadrer les conditions de l’exploitation de son œuvre, en vue d’être rémunérée. L’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle rappelle d’ailleurs que toute utilisation (reproduction, représentation) de l’œuvre protégée est normalement soumise à autorisation préalable de l’auteur, sous peine de contrefaçon. A cet égard, le GIF, qui reprend de courtes parties d’œuvres porte les germes d’une contrefaçon.
Les droits moraux quant à eux emportent l’interdiction de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Une telle atteinte peut être caractérisée lorsque l’œuvre est déformée ou diffusée hors contexte. Il existe néanmoins des exceptions apportées à ces droits, de sorte que le public puisse également s’exprimer en s’inspirant d’oeuvres, sans pour autant porter atteinte aux droits de ces auteurs.
II – Les exceptions aux droits patrimoniaux
Ce qui peut inquiéter dans le GIF est sa nature même. En effet, le GIF, est un extrait très bref d’une œuvre. Son utilisation peut donc porter atteinte au respect de l’œuvre et à l’intérêt des ayants droits. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit des exceptions aux droits patrimoniaux permettant d’utiliser une œuvre dans des situations spécifiques et donc de paralyser l’utilisation du droit exclusif.
La première exception est celle de l’exception en faveur de l’usage privé. Dans ce cas, l’œuvre divulguée peut être partagée dans un cercle familial sans que l’auteur ne puisse interdire cette représentation. Ainsi, des GIFs échangés entre amis ou membres de la famille s’intègrent dans cette notion et semblent difficilement blâmables du point de vue de leur utilisation pratique.
Il s’ensuit l’exception de citation, qui est la possibilité de citer des œuvres de l’esprit sans demander une quelconque autorisation auprès de l’auteur. L’article L.122-5 alinéa 3 du Code la propriété intellectuelle dispose que « sous réserve que soit indiqué clairement le nom de l’auteur et la source, l’auteur ne peut interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifiques ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ».
Trois conditions sont requises pour pouvoir bénéficier de l’exception de citation.
Tout d’abord, la brièveté de la citation, appréciée in concreto en fonction de la longueur de l’œuvre citée et de l’œuvre citante.
Ensuite, le but de l’extrait doit être critique, polémique, pédagogique, scientifique ou à but informatif.
Enfin, le nom de l’auteur ou de la source doit être mentionné.
Les GIFs semblent remplir ces conditions mais il y a de quoi s’interroger sur leur portée, leur but, les types de GIF étant très divers. A l’origine en tout cas, le dessin était essentiellement humoristique ou ironique, ainsi, l’on pourrait considérer le champ d’application de l’exception de parodie.
Celle-ci est prévue par l’article L.122-5 alinéa du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que sont « exempte d’autorisation la parodie, le pastiche et la caricature compte tenu des lois du genre ». De même , des conditions sont nécessaires : il ne doit pas y avoir de risque de confusion entre l’œuvre parodiée et la parodie et une volonté de faire rire le public. La CJUE a eu se prononcer sur cette exception dans l’affaire « Bob et Bobette »1. La Cour déclara que « l’application concrète de l’exception de parodie doit respecter ce juste équilibre entre liberté d’expression et droit d’auteur. Dans l’appréciation de cet équilibre, si la parodie transmet un message discriminatoire, les ayants droits ont un intérêt légitime à ce que leur œuvre ne soit pas associé à un tel message ». Cette conclusion se rapporte au cas de Pepe la grenouille dont l’utilisation a été maintes fois détournée de son origine humoristique et qui est désormais listée comme «symboles de haine» par l’Anti-Defamation League, (une organisation américaine de lutte contre l’antisémitisme). Il semble alors que les œuvres détournées dans un objectif à caractère haineux ou discriminatoire sont celles qui risquent le plus d’être considérées comme portant atteintes aux droits patrimoniaux de l’œuvre et notamment au droit au respect de l’intégrité de celle-ci.
III – Les entreprises créatrices de GIF
A l’heure actuelle, peu de plaintes de la part des ayants droits sont à recenser. Jusqu’à ce jour, les entreprises qui mettent à disposition des GIFs n’ont pas de but lucratif. Partant, les ayant droits n’ont pas à revendiquer l’utilisation de ces extraits. Des interrogations pourraient apparaitre quant à l’intervention d’entreprises qui souhaiteraient faire de cet outil un commerce lucratif. C’est l’exemple d’entreprises telles que TENOR ou GIPHY qui permettent de trouver et déployer des GIFs en masse. En effet, ces sites (ou extensions) proposent une quantité astronomique d’extraits de films, de séries, de dessins animés, de documentaires…
Une balance semble pourtant avoir été trouvée puisque ces plates-formes ont conclu des accords avec de nombreuses franchises comme la NBA, Netflix, BET, Walt Disney Animation, ou encore The Rock qui les laissent utiliser leurs propriétés. Toutefois cette utilisation questionne lorsque le site laisse cette voie ouverte à d’autres protagonistes leur permettant ainsi de partager les extraits en question, sans autorisation, donnant lieu à des retombées financières. On peut s’interroger sur l’évolution de GIPHY notamment qui, comme plate-forme de partage, pourrait servir d’intermédiaire de contrôle pour ses partenaires afin de s’assurer de la rémunération de ces derniers lorsque les conditions légales d’utilisation ne sont pas respectées… Là ne semble en tout cas pas être la priorité des ayant-droits, Maître Benjamin Montels, avocat en droit d’auteur, droit du cinéma et de l’audiovisuel, affirmant qu’« il existe un piratage bien plus conséquent ailleurs« 2.
1 CJUE Grande ch., 3 septembre 2014
2 « Droits d’auteur : pourriez-vous être attaqué pour un GIF animé ? » L’Obs – Emilie Brouze
Vincent Vosges