Le lobbying de Youtube face à la directive européenne sur les droits d’auteurs

La proposition de directive européenne sur le droit d’auteur pour le marché unique numérique a fait couler de l’encre. Entre partisans et détracteurs de cette réforme, le combat est rondement mené.

Cette directive publiée le 14 septembre 2016, cherche à répondre à l’évolution technologique et numérique.

Elle a été très critiquée, surtout par l’une des plus imposantes entreprises du marché d’Internet : Google. Il est désigné par l’acronyme GAFA, qui regroupe Amazon, Apple et Facebook. Le point commun de ces entreprises : leur place dominante sur le marché, mais surtout leur influence. En effet, ces « géants » du web, n’hésitent pas à dépenser des millions d’euros dans des opérations de lobbying. Les lobbys sont des groupes de pression, qui ont un impact considérable sur l’élaboration des normes. Créés afin de promouvoir et défendre des intérêts privés, leurs actions consistent notamment à mobiliser les individus, afin de faire pression sur les hommes politiques et influencer directement le législateur. Si les lobbys ne sont pas nouveaux, leurs techniques se développent au fur et à mesure des années. Ainsi, un véritable e-lobbying est né¹, consistant à utiliser internet comme relais face à l’opinion publique. Il permet au lobby de maitriser le système médiatique, ce qui lui donne un avantage pour orienter, en sa faveur, l’opinion publique. C’est ce qu’a utilisé Google, par l’intermédiaire de sa filiale d’hébergement de vidéos, Youtube, puisqu’il n’a pas hésité à utiliser la notoriété et l’influence de youtubeurs reconnus, pour relayer ses revendications. Ces méthodes ont été dénoncées, notamment par la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) qui parle d’un « lobbying insensé et inédit fait de mensonges, de caricatures et de menaces² ».

Mais pourquoi toute cette polémique autour de cette directive ? Cette directive a pour objectif de protéger les contenus des ayants droits sur internet. En effet, les plate-formes telles que youtube, mettent à la disposition des internautes de nombreuses oeuvres faisant l’objet d’une protection des droits d’auteurs (musiques, photographies…), et cela sans aucune autorisation. Ce sont précisément l’article 11 et 13 qui sont au coeur du débat. L’article 11 vise à créer un nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse, donnant à ces derniers des droits au moment où leurs publications sont utilisées sur des sites internet ou des plateformes. Dès lors un site internet comme Google, qui utilisera des articles de presse sur son site, devra payer une redevance. L’article 13, lui, obligerait les plateformes à verser de l’argent aux ayants droits, pour que les utilisateurs puissent utiliser les extraits de leurs oeuvres sur internet. Dès lors si les droits d’auteurs ne sont pas respectés, les plateformes seront mises en cause. Cet article instaure un véritable filtrage automatique des oeuvres avant même leur publication, alors que la logique actuelle autorisait Youtube à supprimer une vidéo après sa publication, lorsqu’elle contenait un contenu non autorisé. Cela va considérablement changer la circulation des informations sur internet, ce qui explique les opinions divergentes à son sujet.

En conséquence, les opposants craignent une censure importante en Europe et alarment sur la possible disparition d’internet, et notamment de Youtube. La directrice de Youtube, Susan Wojcicki, a d’ailleurs inquiété sur cette possibilité en publiant une tribune dans le Financial Times appelant à une modification de cet article sous peine de voir possiblement son service disparaitre. En conséquence la plateforme a appelé fin octobre les Youtubeurs à s’engager eux aussi, contre le projet européen de réforme du droit d’auteur. S’en sont suivis des milliers de vidéos postées sur Youtube, chacune oeuvrant à leur manière pour mobiliser les internautes contre ce projet. Google a même lancé un slogan #Saveyourinternet, relayé par l’ensemble des utilisateurs mobilisés. De même, des youtubeurs français importants comme Cyprien ou Squeezie ont relayé sur les réseaux sociaux une pétition, afin de faire échouer l’adoption de l’article 13. Selon eux, l’article risquerait de menacer la liberté de publication sur internet mais aussi la liberté d’information. En effet, cette réforme prévoit que sans accord des auteurs, les contenus seraient automatiquement supprimés.

Mais l’article 13 annonce-t-il réellement la fin de youtube ? Si les titres des vidéos de ces youtubeurs peuvent paraître inquiétants « le fin de Youtube en Europe », « l’article 13 va tuer Youtube »… il semblerait que la réalité le soit moins.

Ainsi, la SACEM indique que cet article est censé permettre un rééquilibrage des rapports de force entre les plateformes et les artistes, et une meilleure rémunération des auteurs. Selon son secrétaire général, David El Sadegh³, les internautes pourront toujours utiliser des musiques connues pour leur vidéo personnelles et certains contenus parodiques, comprenant des citations ou en encore utilisé à des fins scientifiques ou pédagogiques  pourront bénéficier d’une exception.

Cette directive n’affecterait apparemment pas la possibilité ni, de se faire connaitre grâce à des reprises de chansons, ni de mettre en fond sonore de vidéos des musiques. Finalement, l’objectif n’est pas de mettre fin à Internet, mais au contraire d’assurer une meilleure transparence des plateformes bénéfiques aux auteurs, aux utilisateurs ainsi qu’au créateurs de contenu. D’autant plus que bon nombre de Youtubeurs protestait contre l’algorithme de Youtube (dénommé « Content ID ») qui permettait déjà une reconnaissance des contenus violant les droits d’auteurs. Mais ce procédé est depuis plusieurs années une source de mécontentement⁴, puisqu’il ne distingue pas entre l’utilisation d’extraits d’œuvres pour des caricatures, citations ou autres exceptions aux droits d’auteurs, de l’exploitation intégrale d’une œuvre sans autorisation.

Cette directive risque de continuer à faire polémique, puisque les dernières négociations à son sujet démontrent une division entre les députés européens. Les négociations interinstitutionnelles ont eu lieu le jeudi 13 décembre.

 

Fanny Coignard

 

1 http://www.spherecpp.fr/wp-content/uploads/2018/02/MEMENTO-LOBBY.pdf

2 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/07/06/directive-sur-le-droit-d-auteur-une-victoire-du-lobbying-des-gafa-vraiment_5326914_4408996.html

https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0600314715838-david-el-sayegh-la-directive-droit-dauteur-naboutira-pas-a-un-filtrage-generalise-2228733.php?fbclid=IwAR3lHluW0Q0S8UfXbDWi6mO0XCcleNVQZLvIkW7efRI5GFJ4eopd7vhoK3g

4 https://www.touteleurope.eu/actualite/directive-copyright-l-article-13-va-t-il-vraiment-tuer-youtube.html

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