Si le plagiat est une pratique très courante dans le milieu universitaire, les étudiants ne sont pas les seuls à céder à la tentation. L’univers musical est également touché par ce phénomène, puisque de façon récurrente, de nombreuses chansons semblent très « inspirées » de mélodies déjà connues. La dernière controverse oppose la chanteuse Lana Del Rey au groupe de rock Radiohead. En janvier dernier, les britanniques accusent l’artiste américaine d’avoir copié une partie de leur premier single « Creep ». En effet, le titre « Get Free » du dernier album « Just for Life » de Lana Del Rey présente de vraies similarités avec le célèbre tube.
La contrefaçon d’œuvre musicale
Le Larousse définit le plagiat comme « l’acte de quelqu’un qui, dans le domaine artistique ou littéraire, donne pour sien ce qu’il a pris à l’œuvre d’un autre ». Ce terme, très régulièrement utilisé dans le langage courant, ne fait pas partie du lexique juridique. Pour autant, le plagiat est couvert par la propriété intellectuelle et susceptible de poursuites sous la qualification de contrefaçon. Ainsi, il est interdit de reproduire ou de représenter un extrait musical préexistant, sans autorisation de son titulaire. L’article L. 122-4 du CPI dispose que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». Aux termes de l’article L. 335-3 du CPI, « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteurs, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi » constitue un délit de contrefaçon.
La loi du 11 mai 1957 a reconnu aux œuvres musicales la qualification d’œuvres de l’esprit. Ainsi, l’article L. 112-2 du CPI dispose que « sont considérées comme œuvres de l’esprit (…) les compositions musicales avec ou sans paroles ». Pour être protégée par le droit, l’œuvre musicale doit être originale et doit porter l’empreinte de la personnalité de l’auteur. L’exigence d’originalité d’une composition musicale s’apprécie à partir de la trilogie de Desbois : mélodie, harmonie et rythme. La mélodie est le thème musical à partir duquel l’œuvre est composée. Elle peut constituer à elle seule le siège de l’originalité et lorsque l’air est identifiable, la contrefaçon peut être caractérisée. Ainsi, la mélodie de « Llorando se Fue » du groupe Los Kjarkas est devenue la « Lambada » de Kaoma. L’harmonie résulte de l’émission simultanée de plusieurs accords (comme « Let it be » des Beatles). Le rythme est déterminé par les rapports de durée des sons (par exemple, dans « We will rock you » de Queen). Pris isolément, l’harmonie ou le rythme ne peuvent accéder à la protection. Mais combinés à la mélodie, ils donnent prise au droit d’auteur. Dans « Creep » et « Get Free », la même suite d’accords de guitare ouvre les deux chansons et la mélodie des couplets ainsi que le tempo sont très similaires.
Constater la contrefaçon en matière de musique peut s’avérer être un processus complexe pour le juge. Il est souvent indispensable de faire appel à un expert pour mesurer la part d’emprunt dans un titre, au vu des trois caractères. Celui-ci saura apprécier les similitudes entre les œuvres, puisque la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances et non par les différences. Pour les juges, la contrefaçon est caractérisée lorsque qu’un « public moyennement averti » est en mesure de reconnaître des éléments similaires.
Les emprunts licites
Avec autorisation des ayants-droit, il est possible d’exploiter une œuvre musicale. En effet, l’œuvre composite au sens de l’article L. 113-2 du CPI, est construite à partir d’une composition initiale sans la collaboration de son auteur. Cette œuvre dérivée, à condition d’être originale, accède à la protection posée à l’article L.112-3 du CPI. L’artiste peut utiliser plusieurs techniques pour son adaptation : arrangements, variations, compilations, improvisations. C’est grâce à l’autorisation des héritiers de Claude François que M. Pokora a pu reprendre ses chansons dans son dernier album. Toutefois, si l’auteur incorpore dans sa création une œuvre préexistante sans avoir obtenu l’accord de ses ayants-droits, l’œuvre dérivée est requalifiée de contrefaçon.
Les droits patrimoniaux sont temporaires puisque, en principe, passé un délai de 70 ans à compter du décès de l’auteur, l’œuvre tombe dans le domaine public. L’auteur crée en puisant des idées dans un fonds commun, il est donc logique qu’après un certain temps, son œuvre le rejoigne. La limitation de la durée des droits patrimoniaux permet alors à un artiste d’utiliser une œuvre musicale tombée dans le domaine public, sans avoir besoin d’autorisation. Cependant, le droit moral est perpétuel, l’artiste qui ne respecte pas le droit de paternité en divulguant sous son propre nom, pourra se voir poursuivre pour contrefaçon.
Le législateur prévoit des exceptions dans lesquelles l’auteur ne peut invoquer son monopole d’exploitation. L’article L.122-5 du CPI exempt d’autorisation « la parodie, le pastiche et la caricature compte tenu des lois du genre ». Pour que l’exception de parodie s’applique, il ne doit pas y avoir de risque de confusion entre les deux œuvres. En outre, il doit exister dans l’œuvre parodique une intention de faire rire. L’auteur de l’œuvre musicale ne peut s’opposer à l’utilisation de son œuvre à des fins humoristiques. Il existe cependant des hypothèses dans lesquelles l’artiste peut faire des emprunts sans autorisation. En dehors de ces hypothèses, l’artiste qui n’a pas reçu d’autorisation devra préparer des arguments pour éviter une condamnation.
Les moyens de défense du plagiaire
Pour échapper à la contrefaçon, l’artiste a la possibilité d’opposer que les ressemblances proviennent d’une rencontre fortuite ou d’une source d’inspiration commune. Dans l’arrêt Djobi Djoba du 16 mai 2006, la Cour de cassation a considéré que la contrefaçon d’une œuvre musicale ne pouvait être écartée « que lorsque celui qui la conteste démontre que les similitudes existant entre les deux œuvres procèdent d’une rencontre fortuite ou de réminiscences résultant notamment d’une source d’inspiration » (1). La rencontre fortuite sous-entend que deux auteurs aient pu réaliser des compositions musicales semblables par coïncidence. Il peut y avoir source d’inspiration commune lorsque deux artistes utilisent le même répertoire pour créer.
En principe, la bonne foi ne permet pas d’écarter le délit de contrefaçon au plan civil. Pourtant, en matière musicale, le juge prend en compte celle du supposé contrefacteur. Il revient à ce dernier d’apporter la preuve qu’il n’a pas pu avoir accès à l’œuvre prétendue copiée. Pour se faire, l’artiste peut par exemple démontrer que celle-ci est demeurée confidentielle. Laurent Feriol, auteur du titre « Les chansons d’artistes » a assigné en contrefaçon Calogero pour « Si seulement je pouvais lui manquer ». Calogero prétendait ne pas avoir eu connaissance de la chanson, celle-ci étant restée dans l’ombre. Mais dans un arrêt du 3 novembre 2016, la Cour de cassation a rejeté l’argument de la rencontre fortuite et condamné le chanteur pour contrefaçon (2).
Oasis, Coldplay, Bruno Mars, Shakira, Mika ont-ils copié délibérément ou se sont-ils inspiré maladroitement ? Une chose est sûre, le plagiat se révèle comme un enjeu économique important pour les deux parties. Les plagiaires s’approprient des chansons plus ou moins connues pour en tirer les bénéfices, mais les dédommagements peuvent aussi s’avérer très conséquents pour les plagiés. En cas d’accusation, les contrefacteurs ont le choix de se risquer à un procès ou d’ajouter l’auteur initial à leur titre. Le 10 mars 2015, le tribunal de Los Angeles a condamné Robin Thicke et Pharell Williams à verser la somme de 7,4 millions de dollars aux héritiers de Marvin Gaye. Les deux chanteurs ont été reconnus coupables d’avoir plagié le titre « Got to give up » avec leur célèbre tube « Blurred Lines ». Pour le tube de l’année 2017 « Shape of You », Ed Sheeran a admis s’être inspiré de la chanson « No Scrubs » du groupe TLC. Afin d’éviter un procès pour plagiat, le célèbre chanteur a décidé d’ajouter les auteurs aux crédits de son titre. S’agissant de « Get free », Radiohead choisira-t-il d’engager une action en contrefaçon ou Lana Del Rey se pliera-t-elle à créditer les auteurs sur sa chanson ?
Sara ETTAOUMI
(1) Cass. civ., 1re, 16 mai 2006, n° 05-11780
(2) Cass. civ. 1re, 3 novembre 2016, n° 15-24407.
Vidéos pour illustrer :
https://www.youtube.com/watch?v=cUQ0aNuhR-s
https://www.youtube.com/watch?v=6bBPCNXJVNo
https://www.youtube.com/watch?v=wp7-nrLc4d8&t=16s
Sources :
http://www.avocats-picovschi.com/droit-d-auteur-musique-et-contrefacon_article_640.html
https://www.jurisexpert.net/appreciation-de-la-contrefacon-en-matiere-musicale/
https://www.theguardian.com/music/2015/mar/10/blurred-lines-pharrell-robin-thicke-copied-marvin-gaye