Le projet de loi PACTE : les apports et enjeux en droit des brevets

Le « projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises » autrement dit loi PACTE a été présenté à l’Assemblée Nationale le 19 juin 2018 qui l’a voté en première lecture le 9 octobre 2018. Le 29 janvier, le Sénat a commencé l’étude de ce projet de loi qui présente des apports considérables dans le monde de l’entreprise mais aussi dans le cadre de la propriété industrielle.

En effet, on peut voir que ce projet est présenté comme une « nouvelle étape dans la transformation économique de la France¹ ».

Lors de l’examen de cette loi, il est possible de voir que les plus grandes nouveautés en matière de propriété intellectuelle ont été posées dans le domaine de la propriété industrielle, et plus particulièrement dans la branche du droit des brevets. Toutefois, depuis son dépôt au Sénat, il est possible de voir qu’une autre procédure va être étudiée concernant les dessins et modèles. Celle-ci permettrait l’adoption d’une procédure administrative d’opposition devant l’INPI qui entrainerait la demande en nullité d’un dessin ou modèle². Malgré tout, il semble plus intéressant de se focaliser sur le droit des brevets, qui va faire l’objet de nombreux changements si cette loi est adoptée.

Ainsi, comme il est possible de le voir en matière de brevets, « l’intérêt particulier de l’inventeur se conjugue avec l’intérêt général; le brevet canalise la concurrence pour favoriser l’innovation »³ et cela démontre la nécessité grandissante d’encourager à l’innovation au sein des entreprises, notamment dans le but de revaloriser le brevet français, qui a souvent fait l’objet de réprobations sur sa valeur, à cause du peu de contrôle effectué lors de son dépôt.

Face à ces critiques incessantes, il semblerait que ce projet de loi PACTE soit le reflet d’une société en évolution et qui souhaite s’adapter et vaincre ses faiblesses. L’évolution du brevet français souhaitée par la loi pacte pourrait s’inscrire dans une volonté d’harmonisation européenne. Elle permettrait également une augmentation de la sécurité juridique du brevet, nécessaire à l’industrie, et ce d’autant plus dans une économie mondiale de plus en plus concurrentiel.

Ainsi, trois grandes évolutions ont été abordées dans le cadre de ce projet de loi concernant le droit des brevets:

 

• Contrôle de l’activité inventive

 

L’article L.611-14 du CPI pose le contrôle de l’activité inventive comme condition de brevetabilité mais elle n’était, jusqu’à présent, pas vérifier par l’INPI. De ce fait, l’article 42 bis du projet de loi PACTE propose de modifier l’article L.612-12 du CPI pour étendre la portée de l’examen par l’INPI. Actuellement, ce dernier ne contrôle que la nouveauté lors de l’analyse des conditions de brevetabilité. Le projet de la loi Pacte prévoit à l’article 42 bis la mise en place d’un examen de l’activité inventive au stade de la procédure de délivrance, avant même la naissance d’un litige devant les tribunaux. Ce contrôle du critère d’activité inventive s’inscrit dans la perspective d’accroître la qualité du brevet français, en augmentant le seuil d’exigence pour l’accès à la protection.

Toutefois, la mise en place de ce nouvel examen par l’administration met en avant de nombreuses questions, à la fois économique et juridique. La mise en place de cette condition par l’INPI pose la question de l’arbitraire et de l’équité des examinateurs. En effet, ces derniers devront déterminer de manière subjective si l’invention relève d’une activité inventive. Cet examen peut mener à des solutions arbitraires qui ne permettraient pas la sécurité juridique qui est recherchée. Contrairement à la nouveauté qui est un critère subjectif, le critère d’activité inventive ne l’est pas. Ce projet pose également une question d’ordre économique. Selon les Matthieu Dhenne et Emmanuel Py « « la réforme relative à l’examen de l’activité inventive a été introduite dans la précipitation » et les pouvoirs publics doivent pouvoir « investir les coûts de cette mesure »⁴. Cette réforme nécessite de recruter et de former de nouveaux examinateurs, sans quoi la délivrance de brevets risque de devenir de « faible qualité pour un prix élevé pour tous ». Si l’on compare avec le DPMA (Deutsche Patent– und Markenamt, i. e. l’office allemand des brevets et des marques), ce dernier emploie davantage d’examinateurs puisqu’il est composé de 2700 personnes dont 700 ingénieurs et juristes examinateurs contre 730 personnes à l’INPI dont 80 ingénieurs et juristes⁵ L’augmentation du nombre de recruteurs apparaît donc comme essentielle à un tel projet.

Or, une majoration semblable aura pour conséquence d’augmenter les coûts qui pourront se répercuter sur le montant du brevet, allant à l’encontre de l’objectif poursuivi de baisser les coûts de ce dernier pour le rendre plus « attractif » pour les entreprises.
Bien que le Code de propriété intellectuelle prévoie l’appréciation du critère d’activité inventive, le brevet français connait pour le moment de nombreuses critiques du fait de l’absence d’examen approfondi de cette condition d’activité inventive par l’administration en charge d’enregistrer les brevets. Le refus d’enregistrement ne peut jusqu’alors s’effectuer que « pour défaut de nouveauté manifeste ». Toutefois, le 5 février 2019, le Sénat a supprimé, lors de l’examen du projet de loi, l’amendement concernant l’article 42 bis sur l’activité inventive⁶

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Ce projet tend à instaurer deux autres articles, 40 et 42, qui sont mentionnés comme étant «relatifs à la protection des inventions et l’expérimentation des entreprises»⁷. Ils vont permettre respectivement d’instaurer une procédure d’opposition devant l’INPI mais aussi une évolution du certificat d’utilité.

 

• La procédure d’opposition

 

Concernant la procédure d’opposition, il est important de mentionner que celle-ci existe déjà dans le cadre de l’Office Européen des Brevets et cela permettrait de contrer l’absence de procédure administrative pour contester le brevet en France. L’instauration de cette procédure d’opposition est par ailleurs logique puisque comme le relève Bruno Le Maire : « quasiment tous les pays européens ont mis en place cette procédure »⁸. En effet, une procédure d’opposition existe en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays tels que les Etats-Unis ou le Japon.

Cette procédure d’opposition, qui permettrait d’une part cette harmonisation tant attendue avec celle préexistante de l’OEB, entrainerait aussi un rapprochement avec la procédure d’opposition développée en France dans le cadre du droit des marques, autre partie de la propriété industrielle, mise en place par l’INPI en 1991 afin de s’opposer à des demandes d’enregistrement⁹.

Toutefois, il convient de s’interroger sur la pertinence d’une telle procédure qui pourrait entraver l’enregistrement de brevet. En effet, des déposants mal intentionnés seraient en mesure de contrer volontairement le déposant. Cette critique potentielle est d’ailleurs formulée par Matthieu Dhenne et Emmanuel Py qui envisagent des sanctions possibles comme une amende ou l’engagement de la responsabilité civile pour l’abus. De plus, la condition d’activité inventive pourrait aussi être un motif d’opposition¹⁰, ce qui engendrerait une multiplication des possibles oppositions.

 

• Le certificat d’utilité

 

Caractérisé comme un titre analogue au brevet au sein de l’article L611-2 du CPI, ce certificat engendre moins de formalités et de coûts qu’un brevet mais il a aussi une protection plus limitée. En effet, la protection offerte par ce certificat est actuellement de 6 ans et ce projet de loi aurait pour but de l’étendre à 10 ans. L’article 40 du projet de loi PACTE permettrait de modifier l’article L612-15 CPI et créerait une certaine flexibilité disposant que « le demandeur peut transformer sa demande de brevet en demande de certificat d’utilité dans des conditions fixées par voie réglementaire ». Selon L. Costes, il pourra « être transformé en demande de brevet si l’invention de l’entreprise nécessite une protection plus forte », ce qui constituerait un atout stratégique important pour les entreprises en fonction de leurs besoins. Toutefois, si cette disposition est mise en place il faudra se questionner sur la nouveauté. Ce titre de propriété industrielle, bien que moins protecteur que le brevet, entrainerait l’existence d’une antériorité avant l’enregistrement de la demande de brevet. La nouveauté pourrait alors faire l’objet d’une nouvelle appréciation, qui devra concilier l’existence d’un certificat avec l’enregistrement d’un brevet postérieurement. De nombreuses interrogations restent alors en suspens face à la possible valorisation de ce titre.

 

• La demande de brevet provisoire

 

Enfin, il faut aborder cette nouveauté provenant d’un amendement n°1990. Pour la Commission Européenne, cette nouvelle demande permettrait un accès à la protection simplifiée pour les PME et les start-ups. Même si l’amendement a été retiré du projet de loi, le gouvernement a exprimé son souhait de préserver cette disposition et de l’adopter par voie réglementaire¹¹. Cela pourrait constituer un avantage pour le déposant qui aurait alors une « date de priorité » sur le projet. Ainsi, il disposerait d’un délai afin de l’adapter et de le détailler. Cette procédure soulève à nouveau le problème des antériorités et de l’argumentation de la Cour sur ce cas. Cette demande provisoire ressemblerait à celle existante aux Etats-Unis qui se nomme «Provisional Patent Application»¹². La création de cette procédure tend vers une concurrence possible avec le certificat d’utilité qui est déjà un titre provisoire…

Ainsi de nombreuses dispositions démontrent une volonté d’harmonisation et d’uniformisation des procédures mais aussi la nécessité de préserver et de renforcer la valeur du brevet français. Néanmoins ces dispositions ne sont pas encore adoptées et les débats restent nombreux avant une évolution notable.(13)

Clara DELAMARE et Ismérie SAISON

 

1 Christophe Radé

2 https://www.senat.fr/presse/cp20190118.html

3 UNJF – Rapport de la Cour de Cassation 2005 P.67

4Le projet de loi PACTE, du discours et de la méthode, Matthieu Dhenne et Emmanuel PY

5 Cour des comptes, 20 oct. 2014, référé n° 70807

6 https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-192510-opinion-loi-pacte-propriete-industrielle-acte-ii- 2244125.php

7 https://www.latribune.fr/economie/france/loi-pacte-le-gouvernement-simplifie-les-procedures-de-depot-de- brevets-pour-les-pme- 792552.html fbclid=IwAR1MyhifQPCsLZls5jcTy0rGQb4loCLDXomSn1LB8t6MOGb8lYsmHoXWY3Y

8 La Tribune

9 Articles L712-3 à L712-5 CPI

10 Loi Pacte et Propriété Industrielle : comment rendre le brevet français plus attractif ? August Debouzy

11 August Debouzy

12 https://www.patentattorneys.ch/nos-services/brevets/demande_de_brevet_provisoire/

13 https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/immateriel/19805/loi-pacte-quid-de-la-propriete-industrielle?platform=hootsuite

Amendement 1990: http://www.assemblee-nationale.fr/15/amendements/1088/CSPACTE/1990.asp

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