LE « RIGHT TO REPAIR » : EVOLUTION LOGIQUE DES DROITS DU CONSOMMATEUR EN MATIERE TECHNOLOGIQUE ?

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Votre serviteur est depuis quelques années le détenteur de la dernière console de la société japonaise Nintendo, à savoir la Nintendo Switch. Si cette console est une source constante de divertissement – ainsi qu’une distraction problématique pendant les périodes de révision… – un problème technique vient, depuis des années, empêcher ma jouissance paisible des différents jeux acquis. Le « Joycon Drift » est un phénomène par lequel les manettes dédiées de la console, appelées « Joycons », se déplace en absence de toute intervention humaine, ayant pour conséquence la quasi-impossibilité de jouer à certains jeux disponibles sur la console puisque les sticks analogiques sont en mouvement perpétuel. Le véritable problème lié au Joycon Drift n’est pas tant l’impossibilité pour l’auteur de cet article de jouer convenablement à Mario Kart 8 Deluxe, mais surtout la proportion immense de consoles et manettes atteintes de ce défaut technique. Défaut pour lequel la société n’a pas fourni de véritables offres de remboursement ou réparation abordable post-garantie.

 Sans crier immédiatement au complot, la thèse de l’obsolescence programmée, définie comme « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement » reste cependant plausible pour de nombreux utilisateurs.

Ce problème donc, cumulé au prix astronomique des manettes – frôlant parfois les 70 euros – a poussé de nombreuses personnes à essayer de réparer par eux-mêmes leur manettes, procédure mettant fin à leur droit en garantie.

 Mais est-il encore justifié, au regard de ces problématiques d’obsolescence programmée, d’admettre, qu’en 2021, les utilisateurs ne puissent pas réparer leurs objets par des moyens autres que les services de réparation des fabricants ? Cette perte de confiance envers la pérennité des produits s’articule aujourd’hui autour de la demande d’une part grandissante des consommateurs d’un « right to repair » ou droit de réparer.

    A.  Un droit nouveau désormais étudié par les législateurs

A l’issue d’un groupe de discussion regroupant des législateurs fédéraux ainsi que des chefs d’entreprises, la Commission des affaires commerciales et du travail de la Chambre des représentants du Colorado a rejeté, le 25 mars 2021, un projet de loi sur le right to repair.

Le projet s’articulait autour d’une nouvelle obligation pour les fabricants d’équipement d’origine, de « mettre à la disposition d’un prestataire de services de réparation indépendant ou du propriétaire de l’équipement du fabricant toute la documentation, les pièces, les logiciels intégrés, les micrologiciels ou les outils qui sont destinés à être utilisés avec l’équipement électronique numérique, le tout sous des conditions et à un coût équitable et raisonnable ». Il faudrait donc interdire la possibilité pour les grandes entreprises de restreindre la réparation indépendante en l’enfermant derrière des outils et pièces d’équipements spécifiques et pratiquement inaccessibles pour les particuliers.

Les législateurs ont, par une majorité écrasante rejetée cette proposition pour manque de précision quant au champ du droit de réparation indépendant, mais la pression des lobbies est également un facteur à prendre en compte dans la lenteur des démarches concernant ce droit. Nonobstant cette décision, aujourd’hui, prés de la moitié des Etats américains étudient la possibilité de consacrer ce droit ; le Parlement européen a également fait connaître son ambition de faire bénéficier les consommateurs européens de ce droit en novembre 2020.

    B.  Les revendications des utilisateurs et réparateurs indépendants.

Comme énoncé précédemment l’initiative de cette démarche est communément rattachée au consommateur en matière technologique, c’est pour cela qu’il apparaît surprenant que l’un des acteurs à l’origine des débats se trouve être….…les agriculteurs américains.

En effet, les agriculteurs avaient toujours pu réparer de manière indépendante leurs équipements une fois acquis. Mais l’avènement des outils technologiques dans le domaine agricole mis en péril cette tradition, poussa ces agriculteurs à retourner vers les fabricants pour réparer leurs nouveaux outils et par conséquent impacta négativement la production.

Aujourd’hui les revendications des partisans de ce droit se cristallise à travers le GoFundMe de Louis Rossmann, propriétaire d’une société de réparation, qui par le biais de la plateformes de financement participatif, cherche à utiliser le mécanisme d’initiative populaire [ Direct Ballot Initiative], pour faire appliquer ce droit sans passer par les instances parlementaires, procédure longue et devant traverser les obstacles que sont le manque d’intérêt ou d’information des élus ainsi que du lobbying des entreprises numériques. Vient s’ajouter à l’obsolescence programmée, les politiques de restriction de la part des entreprises quant à l’acquisition par des entreprises indépendantes de certains composants. C’est notamment le cas d’Apple, qui rend impossible l’achat par des particuliers de certain circuit indicateur de charge à travers des régimes de fourniture exclusive. Vient également s’ajouter des considérations environnementales, puisque simplifier la réparation viendrait réduire le volume de déchets électroniques.

    C.  Les limites de cette nouvelle prérogative

Au regard de toutes ces considérations, les motifs venant justifier le régime actuel peuvent apparaître limités. Après tout Apple eux-mêmes ont pris en considération ces préoccupations à travers le « Independent Repair Provider program » facilitant aux réparateurs l’accès aux pièces, outils, manuels de réparation et diagnostics d’origine Apple. Toutefois, cette démarche contraste avec les démarches anti-réparation de l’entreprise, qui a notamment incorporé un certain module de la caméra de l’iPhone 12, dans sa liste dans des outils non remplaçables par des tiers.

Le droit de réparer vient également se heurter à de nombreuses considérations juridiques. Les droits exclusifs des fabricants sur leur produit peuvent devenir un véritable obstacle. En appliquant le régime du droit d’auteur, non seulement au produit, mais également aux équipements adjacents au produit, tel que les manuels d’utilisation par exemple, les fabricants utilisent le droit d’auteur, pour limiter l’accès aux informations ainsi que pour restreindre les alternatives offertes aux consommateurs et les diriger vers des services de réparation officiels, dont ils contrôlent les prix. De même pour le brevet, qui possède une importance capitale en matière de nouvelles technologies. Est-ce que réparer un outil technique à l’aide de pièces issues de partie tierce peut être interprété comme une violation du droit exclusif du breveté ?

En droit français, l’article L613-3 vient subordonner au consentement du propriétaire du brevet la fabrication, l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation […] ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet […] ou lorsque les circonstances rendent évident que l’utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l’offre de son utilisation sur le territoire français.

Si la thèse de l’épuisement des droits vient empêcher que le motif de « remise dans le commerce » soit utilisé par les fabricants, des interrogations subsistent. Est-ce qu’insérer des pièces « tierces » à un produit breveté au sein d’un service de réparation constitue en une fabrication et offre de l’objet du brevet ? Les circonstances rendent-elles évident que l’utilisation du procédé est prohibée par les fabricants ? L’ensemble des politiques anti-réparation effectuées par les fabricants pourrait pousser à le constater.

CONCLUSION

En conclusion, le droit de réparer est et restera au centre de nombreux débats. Mettant en exergue la parfois difficile cohabitation des droits des consommateurs et les droits exclusifs des fabricants, les enjeux économiques et politiques rendent essentiels l’élaboration d’un cadre juridique, clair et exhaustif des possibilités offertes aux utilisateurs. Si l’une des ambitions des Etats est d’adapter les régimes juridiques aux nouvelles technologies, une régulation des pratiques des acteurs sur les marchés est ainsi de mise. Après tout, il apparaît contradictoire de concrétiser d’un côté le libre arbitre des consommateurs à travers de nombreuses décisions où ce choix est au centre des débats [voir notamment l’article d’Amelle Hocine, relatif à la décision de l’Autorité de concurrence vis-à-vis de l’ATT de l’IOS14.5], tout en protégeant de l’autre, le droit pour ces entreprises de créer un véritable monopole en matière de réparation d’équipements numériques. L’un de ces raisonnements est donc amenée à disparaître dans les mois et années à venir.

Quant à moi, la garantie de ma Nintendo Switch étant depuis bien longtemps expirée, il ne me reste plus qu’à essayer de souffler sur mes cartouches de jeux et nettoyer mes contrôleurs ; des techniques heureusement encore inconnues de la propriété intellectuelle.

Olivier BIKILI 

 

Sources : 

MasterIPIT