Le secret des affaires et la Propriété intellectuelle

Comme l’a exprimé Franck Riboud, PDG de Danone, “Le silence et le secret sont des armes indispensables dans toutes les études stratégiques”. Cela revient à caractériser l’importance du secret des affaires au sein de la vie commerciale et son usage fréquent.

Est protégé au titre du secret des affaires “toute information ayant une valeur commercial ayant un caractère secret, revêtant une valeur, effective ou potentielle, et faisant l’objet de la part de son détenteur légitime, de mesures de protection raisonnables pour en conserver le caractère non-public”¹.

La Propriété intellectuelle, quant à elle, confère au titulaire des droits exclusifs, contrairement au régime du secret qui ne confère pas un droit de propriété à son détenteur. Existe-t-il, néanmoins, une coexistence entre ces régimes, et surtout un possible cumul de protection ?

 

L’appréciation du secret des affaires

 

La loi n°2018-670 du 30 juillet 2018 a consacré la protection du secret des affaires, sous les articles L.151-1 et suivants du Code de commerce, et en a donné une définition : c’est un actif immatériel de l’entreprise, au même titre que les marques, dessins et modèles, brevets d’invention, logiciel etc.
En effet, “est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.”².

Pour Aristote Onassis “Le secret des affaires est de savoir quelque chose que personne d’autre ne sait”. Il en est ainsi des secrets de compositions du Coca Cola ou du Nutella.

La directive du 8 juin 2016 avait énoncé que les secrets d’affaires tendent à constituer “un autre moyen de s’approprier les résultats de l’innovation (visant) à protéger l’accès aux connaissances qui ont une valeur pour l’entité et qui sont peu connues, et à exploiter ces connaissances”, par exception aux droits de propriété intellectuelle traditionnels.

Le secret des affaires est donc présenté comme un outil supplémentaire permettant de renforcer la compétitivité et l’innovation de l’entreprise ainsi que la préservation de ses actifs informationnels. Il s’agit d’un véritable complément aux droits de propriété intellectuelle “classiques”. Le savoir-faire et le secret des affaires appartiennent incontestablement au patrimoine informationnel secret, qui s’insère dans la catégorie des actifs incorporels de l’entreprise. Ces actifs permettent à l’entreprise de se protéger et de préserver ses connaissances plus longtemps, contrairement aux droits de la propriété intellectuelle qui confèrent une protection plus limitée³.

Aux Etats-Unis, le secret des affaires a aussi fait l’objet d’une protection renforcée suite à l’adoption du “Defend Trade Secret Act” en 2016. Le président de la Commission de la Justice de la Chambre à cette époque, Bob Goodlatte, a d’ailleurs expliqué que cette loi permettait “d’aider les innovateurs américains à protéger leur propriété intellectuelle du vol par des agents étrangers et de l’espionnage économique”.

Ainsi, il est possible de voir que le secret des affaires est en plein essor et tend à être de plus en plus protéger dans les pays innovants. Ce principe de secret des affaires revêt d’ailleurs une forte importance au sein de la propriété intellectuelle, même s’ils sont souvent décrits comme antinomiques. Néanmoins, ces deux protections ne s’opposent pas nécessairement⁴.

 

La coexistence entre les secrets d’affaires et le droit de Propriété intellectuelle

 

Une certaine coexistence s’apprécie à plusieurs niveaux entre les secrets d’affaires et le droit de la propriété intellectuelle.

Tout d’abord, il existe une coexistence au niveau des procédures de délivrance. En effet, le dépôt de la demande de titre ne fait pas obstacle au secret. Entre la date du dépôt de la demande et la date de sa publication, il s’écoule un temps plus ou moins long où le secret est maintenu et continu de produire ses effets. Pendant cette période, l’INPI, l’OEB ou l’EUIPO doivent maintenir la confidentialité du dépôt et son contenu.

Ensuite, il existe une coexistence dans les procédures judiciaires. La directive du 8 juin 2016 introduit en droit français un dispositif de protection des secrets d’affaires dans toutes les procédures civiles ou commerciales, et la loi du 30 juillet 2018, transposant l’article 9 de la directive, prévoit des mesures générales de protection des secrets des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales. Le législateur français, à travers ces deux textes, a décidé d’ouvrir ces mesures à l’ensemble des procédures des instances “relatives à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires”, lorsque ce dernier est menacé⁵.

Néanmoins, cette protection spécifique bénéficiant aux secrets d’affaires menace l’articulation des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale. Nonobstant, la nature des actions destinées à protéger le secret d’affaires ne serait-elle pas la même que pour une action en concurrence déloyale ?

En aparté d’une coexistence reconnue, le cumul est-il possible entre le secret d’affaires et le droit de propriété intellectuelle ?

 

Le cumul des secrets d’affaires et d’un droit de Propriété intellectuelle

 

Les hypothèses de cumul sont rares. La majorité d’entre elles relève de la propriété littéraire et artistique, puisque la protection conférée par le droit d’auteur résulte du seul fait de la création. Cependant, l’hypothèse d’un cumul en propriété industrielle n’est pas exclue.

Au sein de la propriété littéraire et artistique, l’auteur a le pouvoir de divulguer ou non sa création, constituant une prérogative de son droit moral. Dans le cas de la non-divulgation, l’auteur peut garder secrète sa création. Il y aura donc un cumul entre le régime du secret d’affaires et celui du droit d’auteur (droit de propriété intellectuelle).

Il en est de même pour les créations dans le domaine de l’informatique. En effet, la qualification du savoir-faire, forme reconnue du secret d’affaires est applicable aux programmes d’ordinateur. C’est aussi le cas pour la protection des fragrances. En effet, elle n’est pas reconnue par le droit d’auteur (1ère chambre civile du 13 juin 2006) puisque “la fragrance d’un parfum qui procède de la simple mise en oeuvre d’un savoir-faire ne constitue pas la forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l’esprit par le droit d’auteur”, mais elle semble pouvoir être protégée par le droit des brevets (la formule de la fragrance) mais aussi par le savoir-faire et donc le secret des affaires⁵.

Ce cumul avantageux peut cependant être une source d’insécurité juridique pour le titulaire. En effet, l’article L.151-2 A du Code de commerce dispose que: “est détenteur légitime d’un secret des affaires celui qui en a le contrôle de façon licite” ainsi que “celui qui peut se prévaloir des dispositions de l’article L.151-6 ou celui qui n’a pas obtenu, utilisé ou divulgué ce secret de façon illicite au sens des articles L.151-3 et L.151-5”. L’article L.151-2 du Code de commerce vise les modes d’obtention licite d’un secret des affaires “1° Une découverte ou une création indépendante ; 2° L’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret”. La détention du secret des affaires est donc étendue à plusieurs hypothèses, même si ces dispositions devront s’articuler avec celles du Code de la propriété intellectuelle ⁵.

Entre autres, le secret des affaires permet de protéger des créations non couvertes par le droit de la propriété intellectuelle, même si sa procédure relative à sa protection effectue de nombreux calques avec ce droit.

 

Manon HOTTIN-THEVENET

Sitographie et bibliographie :

1. https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/actualites/A12849
2. https://www.gpi-et-associes.com/p-le-secret-d-affaires_fr.htm
3. https://www.iptrust.fr/brevets/protection-du-savoir-faire-et-des-secrets/secrets-daffaire-et-propriete-intellectuelle/
4. https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/usa-le-congres-adopte-une-loi-sur-le-secret-des-affaires-1547516.php
5. Revue numéro 12 de décembre 2018 Dalloz IP/IT “Le secret des affaires : la reconnaissance juridique d’un droit de l’information protégée”

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