Si le ciblage numérique et la collecte des données en tout genre sont strictement encadrés par des dispositifs législatifs et par des réglementations, cela n’empêche pas les partis politiques de s’en servir lors de la campagne présidentielle afin de rallier à leur cause plus de partisans.
L’utilisation des données numériques dans les campagnes électorales n’est pas nouvelle puisqu’elle a connu un tournant majeur lors de la campagne de Barack Obama, en 2008, qui avait alloué près de 80 millions de dollars dans la publicité en ligne. Sa victoire a largement reposé sur l’utilisation intelligente des réseaux sociaux à son avantage, posant ainsi les prémices de l’utilisation massive de la collecte des données.
En France, les élections présidentielles de 2017 se sont fortement inspirées de cette méthode de communication. La campagne d’Emmanuel Macron, entre autres, reposait également sur une utilisation extensive des données numériques.
À l’heure où tous les Français sont appelés à aller voter pour élire le prochain président de la République, l’utilisation des données devient un élément incontournable pour les candidats. Ces données leur permettent un ciblage précis, et d’influencer les citoyens à travers l’envoi de messages, de SMS et d’e-mails, les incitant à aller manifester leur volonté à l’occasion du scrutin.
Alors, une question demeure, que peuvent-ils faire avec nos données ?
Tout d’abord, les partis politiques sont en droit de stocker des données sur des informations nominatives lors de leur collecte. Ces données comprennent les noms, prénoms, adresses postales, adresses mails, les informations sur les centres d’intérêt, en somme, toutes les informations permettant d’identifier précisément un individu. Les partis sont toutefois dans l’obligation de prévenir, en amont, lors de la collecte de ces données, les individus de la destination de ces informations. Généralement, elles servent à coordonner les mouvements des partisans par le biais d’organisations de meetings. Le candidat de l’extrême droite, Éric Zemmour, a largement utilisé la collecte de ces données durant sa campagne électorale avec la création de plusieurs sites internet: Zemmour2022.fr, Jeunes-lr-avec-zemmour.fr Ericzemmour2022.fr, la droitavecZemmour.fr.
Ensuite, les partis ont la possibilité de faire appel à d’autres bases de données dans le but de récolter plus de données. Ils ne sont pas cantonnés aux bases de données qu’ils ont créées. Par ailleurs, ils ont librement accès aux listes électorales, leur fournissant certains renseignements tels que les noms, prénoms et âges des électeurs. Toutefois, l’imprécision de ces données les pousse à les croiser avec d’autres sources d’information à l’instar des données publiques, et plus précisément des cartes indiquant le niveau d’abstention dans les quartiers, la démographie, le parti majoritaire dans certaines régions. Ils peuvent ainsi, cibler leur électorat, comme, par exemple, dans les quartiers affichant un fort taux d’abstention.
Mais, allant plus loin, certains partis achètent les services de ce que l’on nomme les data brokers, organismes qui certifient récolter les données de manière purement légale via des sites internet ou des chaînes de magasins. La controverse autour de ces entités résulte notamment du fait que les données récoltées ne sont ni anonymisées, ni publiques et ni locales.
Zecible et SelfContact sont, par exemple, des data brokers. Ils rassemblent des informations liées à l’âge, au genre, à la situation familiale et même à la localisation. Ces informations sont reliées à des numéros de téléphone, des adresses emails permettant de contacter les futurs potentiels partisans. Toutefois, les données ne sont pas directement fournies aux candidats. Les data brokers demandent aux partis de fournir leur cible. À cet égard, la directrice de Zecible précisait que « les données personnelles restent chez nous pour des raisons de sécurité. Notamment pour éviter que les partis ciblent des noms de famille à consonance étrangère, ou envoient des messages trop répétés s’apparentant à du harcèlement ».
Pour poursuivre, si, de manière purement théorique, les partis politiques ne peuvent pas s’appuyer sur des données obtenues à partir de données tierces, afin d’analyser les opinions politiques d’une autre personne, toujours-est-il qu’ils détiennent ce pouvoir en se fondant sur leur base personnelle d’adhérents.
D’autre part, les candidats disposent également du droit d’envoyer des correspondances, des messages, des SMS et courriers électroniques grâce, là aussi, aux data brokers. Toutefois, pour se conformer aux normes, cette communication doit comprendre l’origine, la nature et la durée de conservation des données. Elle doit aussi comporter un contact permettant de faire supprimer les informations. Les anciennes campagnes présidentielles ont démontré que ces exigences n’ont pas toujours été respectées par les candidats. Durant l’élection de 2017, avant le premier tour, six millions de français ont reçu des appels du parti En Marche !, donnant lieu à plusieurs plaintes auprès de la CNIL.
De surcroît, les partis peuvent également collecter des informations sur les réseaux sociaux. Cette pratique est cependant soumise au respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD). L’individu concerné doit, en outre, faire partie des contacts réguliers du parti. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, dite la CNIL, ne donne aucune indication quant à la définition du contact régulier. Mais selon certains avocats, dont Philippe Bluteau, il s’agit d’amis ou de suiveurs du parti sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, en cas de collecte, le parti doit informer individuellement la personne de la collecte de données sur ses réseaux.
Dans un secteur plus privé, les sympathisants peuvent encore, liker, commenter, communiquer avec leurs followers afin de toucher une audience toujours plus large car « chaque citoyen fait ce qu’il veut avec ses opinions » selon Aloïs Ramel, avocat en droit des données à la cour de Paris.
En revanche, il est interdit aux partis de cibler les individus avec de la publicité sur les réseaux sociaux. Prohibition contournée puisqu’une publicité visant à promouvoir le parti et incitant les gens à y adhérer peut être permise.
Et enfin, les partisans peuvent également se rendre au domicile de leurs contacts présents sur les bases de données et dans les listes électorales. Beaucoup utilisent cette méthode, et notamment Zemmour.
Finalement, la marchandisation et l’utilisation des données de l’électorat a permis le développement de tout un panel de techniques utiles pour les candidats. Les outils de cartographie, l’étude de données sur les réseaux sociaux, le ciblage des profils et le maniement des canaux de communication ont permis aux partis d’évaluer et de cibler plus précisément l’électorat afin d’influencer leurs votes.
Mais si ces nouvelles techniques tendent à révolutionner le monde des campagnes électorales, il n’en demeure pas moins qu’elles restent difficiles à mettre en place en ce que qu’elles appellent au rassemblement de sources colossales et à la mobilisation d’experts en tout genre. À cela s’ajoute le dur labeur d’actualiser les informations puisque les données, par essence, fluctuent et changent à travers le temps.
Cette pratique de grande envergure démontre que les candidats seront amenés, voire contraints à l’utiliser à l’avenir, tant elle fait preuve d’efficacité. Gare, toutefois, à celui qui violerait les réglementations de la CNIL et du RGPD.
Son impact réel sera mesuré le 10 avril 2022, jour de vote.
Salimatou SIDIA
Sources :
https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/presidentielle-2022-l-enjeu-des-donnees-907286.html
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