Les certificats d’obtention végétale : Quels enjeux ?

Un certificat d’obtention végétale (COV) est un titre de propriété intellectuelle conférant un droit exclusif, appelé “droit d’obtenteur”, à son titulaire, sur une variété végétale. Consacré par la loi du 11 juin 1970 (1), le COV est aujourd’hui visé aux articles L. 623-1 et suivants du Code de propriété intellectuelle.

À l’image de la propriété industrielle dans son ensemble, les COV font l’objet de nombreuses contestations. Tant sur le plan économique, écologique, qu’idéologique, les idées et les acteurs s’affrontent, allant de la simple critique à la proposition de voies alternatives.

C’est en effet derrière cette notion juridique de certificat d’obtention végétale que s’affrontent différents points de vue. D’une logique d’encouragement de l’innovation à une logique purement économique, en passant par la question de l’impact environnemental, le COV semble se révéler aussi contesté qu’apprécié.

Développement du droit des obtentions végétales dans les années 1960

Bien que le droit français des obtentions végétales ait été instauré par la loi du 11 juin 1970, un droit international des obtentions végétales a plus généralement été consacré lors de la Convention Internationale pour la protection des obtentions végétales (Convention UPOV) tenue à Paris.

La Convention UPOV du 2 décembre 1961 a mis en place l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV), une organisation intergouvernementale siégeant à Genève et ayant pour objectif de mettre en place et de promouvoir un système de protection efficace des variétés végétales dans une perspective d’encouragement des innovations (2). En effet, l’UPOV a mis en place un cadre encourageant la recherche et l’amélioration des plantes par le biais de l’octroi de droits exclusifs aux obtenteurs de nouvelles variétés végétales. Progressivement ratifiée par les États, dont la France le 3 octobre 1971, la Convention UPOV compte aujourd’hui 75 membres (3).

Le développement du droit des obtentions végétales s’est également fait au niveau européen, notamment à travers le règlement (CE) 2100/94 du 27 juillet 1994. L’Union européenne s’est, en effet, dotée d’une législation permettant une protection communautaire des obtentions végétales. Ces COV sont délivrées par l’Office Communautaire des Variétés Végétales (OCVV). Contrairement au droit des brevets, mais à la manière du droit des dessins et modèles, la protection de l’obtention végétale s’applique sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

Le droit des obtentions végétales a pour principal but d’encourager l’innovation et la création de nouvelles variétés végétales. Dès lors, pourquoi les obtentions végétales ne sont-elles pas protégées par le droit des brevets, qui, lui aussi, a vocation à encourager l’innovation ?

Intérêts juridiques de la protection par le COV

Pointant certes vers un même objectif d’innovation, le COV et le brevet ne répondent, en pratique, pas aux mêmes problématiques. Certains pays avaient pourtant fait le choix de protéger les variétés végétales sur le terrain des brevets. C’était notamment le cas des Etats-Unis avec le Plant Patent Act de 1930 (4).

Il est, cependant, vite apparu que le caractère “vivant” des plantes imposait une protection distincte du brevet d’invention. Le législateur français a donc fait le choix de consacrer un régime spécial tenant compte des caractéristiques de l’objet de la protection, les obtentions végétales. Mais avant de voir la définition de l’obtention végétale, il semble important de rappeler la définition de la variété végétale.

La « variété végétale » est définie à l’article 1, vi) de la Convention UPOV. Cette définition a été reprise en droit français à l’article L. 623-1 du Code de propriété intellectuelle avec la loi du 8 décembre 2011. Il s’agit d’un « ensemble végétal d’un taxon botanique du rang le plus bas connu qui peut être :

1° Défini par l’expression des caractères résultant d’un certain génotype ou d’une certaine combinaison de génotypes ;

2° Distingué de tout autre ensemble végétal par l’expression d’au moins un desdits caractères ;

3° Considéré comme une entité eu égard à son aptitude à être reproduit conforme » (5).

 

La notion d’obtention végétale est quant à elle définie à l’article L. 623-2 du Code de propriété intellectuelle qui énonce que  « pour l’application du présent chapitre est appelée « obtention végétale » la variété nouvelle, créée ou découverte :

1° Qui se différencie des variétés analogues déjà connues par un caractère important, précis et peu fluctuant, ou par plusieurs caractères dont la combinaison est de nature à lui donner la qualité de variété nouvelle ;

2° Qui est homogène pour l’ensemble de ses caractères ;

3° Qui demeure stable, c’est-à-dire identique à sa définition initiale à la fin de chaque cycle de multiplication. »

 

Pour résumer, toutes les variétés végétales sont susceptibles d’être éligibles au COV dès lors qu’elles sont des obtentions végétales. C’est-à-dire qu’elles doivent répondre aux critères de distinctivité, homogénéité, stabilité (DHS) et nouveauté posés à l’article L. 623-2 du Code de propriété intellectuelle.

Les conditions de fond vérifiées, il faut cependant que la variété soit inscrite au Registre National des Obtentions Végétales pour être protégée. Une demande doit donc être adressée à l’Instance Nationale des Obtentions Végétales (INOV), dépendant du Ministère de l’Agriculture. Ce n’est qu’à l’issue d’un examen et d’une décision favorable de l’INOV que l’obtenteur se verra accorder le COV.

D’après l’article L. 623-4 du Code de propriété intellectuelle, le COV confère un droit exclusif de « produire, reproduire, conditionner aux fins de la reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente, vendre ou commercialiser sous toute autre forme, exporter, importer ou détenir à l’une de ces fins du matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée » (6).

La durée de protection a été révisée par la loi du 1er mars 2006, la faisant passer de 20 à 25 ans à partir de la délivrance du certificat, avec un délai spécial de 30 ans pour « les arbres forestiers, fruitiers ou d’ornement, pour la vigne ainsi que pour les graminées et légumineuses fourragères pérennes, les pommes de terre et les lignées endogames utilisées pour la production de variétés hybrides » (7).

La démarche de protection peut, cependant, se révéler relativement longue et coûteuse. Ainsi, pour l’inscription au Catalogue européen des espèces et variétés, ouvrant à une protection sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne, il faudra compter environ 4 à 5 ans d’attente pour un coût d’environ 25 000 € (8).

Néanmoins, ces coûts élevés de dépôt mais également de recherche sont à mettre en balance avec les bénéfices qu’apportent une telle protection. C’est ici la question des enjeux économiques.

Les enjeux économiques : une nécessaire mise en balance de deux intérêts économiques divergents

À l’instar d’autres droits de la propriété industrielle tels que le droit des brevets ou le droit des créations ornementales, le droit sui generis des obtentions végétales répond à une logique de récompense, ici, celle de la récompense de l’innovation.

Les COV ouvrant à un droit exclusif d’exploitation, les agriculteurs souhaitant utiliser les semences protégées ont l’obligation de verser des droits à l’obtenteur, aussi appelées royalties. Ces royalties représentent un coût non négligeable et font l’objet de fortes contestations de la part des agriculteurs et des associations telles que le MODEF (MOuvement de Défense des Exploitants Familiaux) ou la Confédération Paysanne.

Ces droits sont le moyen pour les obtenteurs de rentabiliser leurs investissements. Il est, en effet, important de noter que la recherche et le développement de nouvelles variétés sont longs et supposent de gros investissements de la part des obtenteurs. Il n’est pas rare que ces recherches durent 8 à 10 ans (9). C’est donc à travers le COV, garant de fortes retombées économiques, que l’on a trouvé le moyen d’encourager l’innovation.

Le sujet des COV peut s’avérer sensible sur le plan économique puisqu’il tente d’allier les intérêts économiques divergents des agriculteurs et des obtenteurs.

Dans un souci d’équilibre entre les ayants droits et la société, le législateur a instauré, à l’instar des autres droits de propriété intellectuelle, des exceptions au droit exclusif.

Les exceptions au droit exclusif

Au titre des exceptions au droit exclusif posées par l’article L. 623-4-1 du Code de propriété intellectuelle, il est possible de citer le privilège de l’obtenteur, l’exception des actes privés et expérimentaux et le privilège de l’agriculteur.

Le privilège de l’obtenteur paralyse le droit exclusif face aux « actes accomplis aux fins de la création d’une nouvelle variété » (10), c’est-à-dire à des fins de recherche en vue de la création d’une nouvelle variété. En cas de création d’une nouvelle variété, suffisamment distincte de la variété protégée, il sera possible de l’exploiter et de la commercialiser librement.

Le privilège de l’agriculteur est une exception qui a soulevé beaucoup de débats. Il s’agit de la question des semences de ferme, c’est-à-dire le fait pour les agriculteurs de ressemer une partie de leurs récoltes. Ce privilège était consacré au niveau européen par l’article 14 du règlement 2100/94 mais ne l’était pas au niveau national. C’est finalement la loi du 8 décembre 2011 qui le consacre à travers les articles L. 623-24-1 à L. 623-24-5 du Code de propriété intellectuelle. L’article L. 623-24-1 du Code de propriété intellectuelle se réfère par ailleurs à la directive 2100/94 (11), autorisant les semences de fermes à seulement 34 espèces. Les espèces concernées sont listées dans la directive 2100/94 ainsi que dans un décret de 2014 (12). Le privilège de l’agriculteur ouvre au paiement d’une indemnité à l’obtenteur. Les “petits agriculteurs”, au sens de la directive, sont cependant exemptés du paiement de cette indemnité.

Il est également possible d’observer certaines jurisprudences consacrant une exception de possession personnelle antérieure (13). Ces décisions restent cependant rares et critiquées par la doctrine (14).

Il existe également des limitations au droit exclusif sous forme de licences. Il est ainsi possible de citer les licences d’office pour motif d’intérêt public ou encore les licences obligatoires de dépendance entre un COV et un brevet.

Au-delà de l’aspect économique, ce sont également des questions d’ordre écologique qui se sont posées.

Enjeux écologiques : l’effet paradoxal des COV sur la biodiversité

Organisé dans une perspective industrielle, le droit des obtentions végétales n’avait pendant très longtemps pas permis l’utilisation de semences fermières. Cette interdiction les obligeait donc à n’utiliser que les graines obtenues auprès des obtenteurs, les forçant donc à en racheter chaque année tout en versant de nouveau des royalties.

Au-delà de l’aspect financièrement contraignant du système, c’était également un frein à la biodiversité. Ce renouvellement permanent empêchait, en effet, l’adaptation naturelle des plantes à leur milieu, au fil des générations.

L’adaptation d’une plante à un certain milieu peut se traduire par une meilleure résistance à certains types de sols ou climats, limitant ainsi les pertes pour les agriculteurs. Cette adaptation peut se révéler bénéfique pour l’environnement et la biodiversité dans son ensemble en limitant l’utilisation d’agents chimiques (15).

Parallèlement au COV et en réaction à celui-ci, certains acteurs ont souhaité mettre en place d’autres systèmes alternatifs.

La voie alternative des semences libres

Des alternatives, telles que les semences dites « open source », sont proposées pour contourner le système actuel.

En avril 2017, l’ONG allemande Agrecol avait mis sur le marché deux variétés végétales (tomate et blé) sous licence open source. Le concept de licence open source, plus souvent utilisé en matière de logiciel, a été transposé aux semences. Cette licence se réfère ici à l’idée de mettre sur le marché une variété qui est légalement, librement et gratuitement accessible et améliorable par tous. Elle agit comme un contrat régi par la loi allemande et précise que : « En acquérant ou en ouvrant le paquet de ces graines, vous acceptez, au moyen d’un accord, les dispositions d’un contrat de licence où aucun frais ne vous incombe. Vous vous engagez surtout à ne pas limiter l’utilisation de ces graines et de leurs améliorations, par exemple en faisant une demande de droits de variété végétale ou de droits de brevet sur les composants des graines. Vous ne transmettez les graines, et les descendants obtenus à partir de celles-ci, à des tiers que dans les termes et conditions de cette licence. Vous trouverez les dispositions exactes sur les licences à www.opensourceseeds.org/licence. Si vous ne souhaitez pas accepter ces dispositions, vous devez vous abstenir d’acquérir et d’utiliser ces graines » (16). Il faudra ainsi suivre l’évolution de cette licence open source, empreinte d’une réelle volonté d’innovation et de partage.

Le droit des obtentions végétales, du fait de la dualité des intérêts des acteurs, ne fait pas l’unanimité mais reste cependant le principal mode de protection et d’encouragement de l’innovation en matière de recherche végétale. Il souffre, à l’instar des droits de propriété intellectuelle dans leur ensemble, de critiques, bien qu’il tente au mieux de trouver le juste équilibre.

 

Kelly Trang

 

(1) Loi n° 70-489 du 11 juin 1970 relative à la protection des obtentions végétales : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000693437

(2) http://upov.int/about/fr/mission.html

(3) Rapport du 13 octobre 2017: http://upov.int/export/sites/upov/members/fr/pdf/pub423.pdf

(4) https://www.infogm.org/faq-les-brevets-sur-le-vivant-et-les-OGM

(5) https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000024958450&cidTexte=LEGITEXT000006069414

(6) https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000029595301&cidTexte=LEGITEXT000006069414

(7) Article L. 623-13 Code de propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006069414&idArticle=LEGIARTI000006279640

(8) https://www.infogm.org/6255-inscrire-variete-vegetale-catalogue-difficile

(9) https://www.semencemag.fr/certificat-obtention-vegetale.html

(10) Article L. 623-4-1 Code de Propriété Intellectuelle

(11) Article 14, 2) du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire de obtentions végétales

(12) DÉCRET n°2014-869 du 1er août 2014 – art. 1

(13) J. PASSA, Droit de la propriété industrielle, L.G.D.J, Traités, 2013

(14) J. AZEMA et J.-C. GAILLOUX, Droit de la propriété industrielle, 7e éd., 2012, n°1071 ; F. POLLAUD-Dulian, La propriété industrielle, n°933

(15) http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/11/29/pour-les-agriculteurs-ressemer-sa-propre-recolte-sera-interdit-ou-taxe_1610778_3244.html

(16) https://www.infogm.org/6320-semences-libres-vraiment#nb41-13

 

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