Les défis juridiques des jeux vidéo basés sur la blockchain : propriété intellectuelle, contrats intelligents et NFT

            Les jeux vidéo connaissent une popularité incontestable tant ils parviennent à offrir des expériences uniques et immersives pour les joueurs. Œuvres complexes, les jeux vidéo qui peuvent comprendre des logiciels, bases de données et autres éléments audiovisuels, introduisent de nouvelles opportunités économiques et technologiques, complexifiant déjà le régime distributif qui permet leur légifération. En propriété intellectuelle, dans les domaines du droit d’auteur, des brevets, des marques et des secrets commerciaux, les jeux vidéo interrogent la sphère juridique avec l’émergence des contrats intelligents et des actifs numériques dont les jetons non fongibles (NFT) qui complexifient le travail des juges et du législateur quant à leur réglementation et à leurs implications pour les industries concernées.

Cet article examine ces problèmes juridiques et explore les décisions récentes qui pourraient façonner l’avenir de cette industrie en constante expansion.

I.              Propriété intellectuelle et jeux vidéo

Les jeux vidéo qui utilisent la blockchain se caractérisent par leur structure décentralisée. Ils utilisent cette structure pour stocker des données et pour permettre aux joueurs de réaliser des transactions entre eux ou dans le jeu. Ainsi, il est possible pour les joueurs de posséder des actifs numériques gagnés dans le jeu et de les échanger. C’est le cas du jeu de cartes Cometh qui est alimenté par la finance décentralisée et les NFT.

Cette caractéristique soulève des questions fondamentales. Les actifs numériques peuvent revêtir différentes formes et servir à différentes fins d’après la loi Pacte du 22 mai 2019. Les cryptomonnaies, les NFT, ainsi que les objets virtuels dans les jeux semblent entrer dans cette catégorie. Ils peuvent être achetés, vendus ou échangés par les joueurs quand bien même le caractère non fongible des NFT incite certains membres de la doctrine à considérer qu’ils ne répondent pas à la définition législative de l’actif numérique, les NFT excluant toute fonctionnalité d’unité de compte.

Propriété littéraire et artistique

En ce qui concerne les droits d’auteur, il est essentiel de déterminer si ces éléments du jeu sont soumis à une protection par le droit d’auteur. Les tribunaux ont la charge d’évaluer si ces actifs numériques créés dans le cadre des jeux vidéo satisfont aux critères d’originalité et de mise en forme. En ce qui concerne la catégorie des personnages, les juges s’étaient d’abord montrés réticents à l’idée d’attribuer la qualité d’œuvre à certaines formes de personnages. C’était notamment le cas dans un jugement du Tribunal correctionnel de Nanterre qui avait considéré que des pingouins, des créatures hostiles ou des monstres constitués de lignes géométriques ne présentaient pas de caractère original. Cependant, cette décision était isolée et la caractérisation de l’originalité pour les personnages suit aujourd’hui une logique bien moins critiquable.

Les NFT, en revanche, ont déjà été écartés de la qualification d’œuvre, car leur statut de biens meubles incorporels les rend inaptes à être considérés comme étant le fruit d’une activité humaine.

Propriété industrielle

Dans le cadre de la propriété industrielle, les brevets peuvent être pertinents pour les innovations technologiques spécifiques aux jeux vidéo basés sur la blockchain. Les développeurs peuvent chercher à protéger des inventions tels que des algorithmes de consensus qui permettent au système décentralisé de s’accorder sur les données à ajouter parmi les bases de données distribuées, des systèmes de tokenisation pour la sécurisation des données informatiques ou des méthodes d’échange décentralisées. Toutefois, l’admissibilité des inventions basées sur la blockchain aux brevets peut être sujette à débat en raison de l’exigence d’une application industrielle, de l’activité inventive et de la question de la nouveauté.

Les inventions basées sur la blockchain connaissent un nombre de dépôts de plus en plus important à travers le monde. Ainsi, un brevet américain de 2017 a pu protéger un système de suivi et de validation d’un utilisateur dans le réseau distribué blockchain. Cependant, on peut constater notamment à l’égard des brevets européens, une appréciation plus sévère des brevets attribués aux inventions mises en œuvre par un ordinateur. L’invention devant présenter un caractère technique et devant produire des effets techniques, la question se posait de savoir si un logiciel blockchain, mis en œuvre par un ordinateur, pouvait être protégé. La jurisprudence actuelle de l’Office européen des brevets (OEB) considère à ce titre qu’un logiciel blockchain pourrait faire l’objet d’une protection dès lors qu’il offrirait des fonctionnalités démontrant d’un caractère technique suffisant (exemple avec le brevet EP 3 200 167 « Information Transaction Infrastructure » de Mastercard). Il serait donc potentiellement possible d’accorder à un logiciel de jeu vidéo basé sur la blockchain une protection.

La protection des marques est également un aspect important pour les jeux vidéo basés sur la blockchain. Les développeurs peuvent souhaiter protéger les noms des jeux, les logos et les symboles distinctifs afin d’éviter toute confusion avec d’autres jeux ou marques similaires. L’enregistrement de marques peut fournir une protection juridique et contribuer à renforcer la valeur commerciale de ces jeux vidéo.

Enfin, les secrets commerciaux, tels que les codes sources confidentiels, les stratégies de conception et les modèles économiques, sont des atouts précieux pour les développeurs de jeux vidéo. Les entreprises doivent prendre des mesures pour protéger leurs secrets commerciaux contre toute divulgation non autorisée, qu’elle soit intentionnelle ou accidentelle, afin de préserver leur avantage concurrentiel.

II.              Les défis juridiques des contrats intelligents et des NFT

Contrats intelligents

Certaines configurations de blockchain permettent d’exécuter des contrats numériques dit intelligents. Ces contrats issus de programmes informatiques autonomes sont exécutés sur la blockchain et leur automatisme peut poser un certain nombre de défis juridiques dans le contexte spécifique des jeux vidéo.

Tout d’abord, la question de l’autonomie des contrats intelligents se pose. Le contrat numérique s’exécutant automatiquement, une fois déployé, son exécution est prédéterminée et il peut donc s’avérer difficile de modifier ou de stopper son exécution en cas de dysfonctionnement ou comportement inattendu. Dans le cas d’un jeu vidéo où les transactions et interactions sont régies par des contrats numériques, des problèmes peuvent se produire si ces dysfonctionnement adviennent ou simplement si l’utilisateur ne considère pas que le contrat numérique ait répondu à ses attentes. Ainsi, il est nécessaire pour les tribunaux d’évaluer les principes du droit des contrats pour déterminer si les contrats intelligents peuvent être considérés comme des accords juridiquement contraignants, ainsi que d’examiner les mécanismes de gouvernance et de résolution des litiges prévus dans ces contrats. Il est important de rappeler que la nature décentralisée de la blockchain et l’absence d’autorités centrales peuvent rendre la résolution des litiges plus difficile.

De plus, l’évolution de ces contrats nécessite également un encadrement. En cas de modifications ou de mises à jour de ceux-ci, les parties prenantes peuvent avoir intérêt à ce que des mécanismes de décisions collectives ou de vote soient mis en place pour permettre de respecter le principe de gouvernance de la blockchain et protéger les parties au contrat.

La limite à ces différentes réglementations réside cependant bien évidement dans la nature technique complexe du contrat intelligent. En cas de jeux complexes avec interactions multiples et conditions complexes, la rédaction et la programmation de ces contrats peut nécessiter une expertise technique et juridique supplémentaires pour éviter les désagréments.

Il est important de noter que malgré ces défis, les contrats numériques offrent également des avantages évidents, tels que l’automatisation des transactions, l’immutabilité et la transparence. Certains contrats peuvent notamment servir à faire appliquer des instruments de propriété intellectuelle comme des licences au profit des titulaires de droits. C’est le cas de la plateforme de gestion des droits à l’image lancée par Kodak qui est basée sur une blockchain et sur sa propre cryptomonnaie.

Non-fungible token (NFT)

Les NFT utilisés dans les jeux vidéo basés sur la blockchain soulèvent des questions sur la propriété et la circulation des actifs numériques. Les NFT permettent de créer des actifs uniques et indivisibles, tels que des personnages de jeu ou des objets virtuels, qui peuvent être achetés, vendus et échangés sur la blockchain. Cependant, la propriété et les droits associés à ces actifs soulèvent des problèmes complexes en matière de propriété intellectuelle et de droits des consommateurs.

En ce qui concerne la propriété intellectuelle, il convient de clarifier si la vente d’un NFT implique également le transfert des droits de propriété intellectuelle associés à l’actif numérique correspondant. Les tribunaux devront examiner la nature juridique des NFT et leur classification en tant que biens tangibles ou intangibles. La doctrine a déjà émis plusieurs possibilités quant à la question du transfert des droits. Certains auteurs jugent qu’il faudrait considérer la composante logicielle du NFT (le contrat intelligent) comme relevant du droit de distribution, ce qui le soumettrait à la théorie de l’épuisement des droits après le premier usage, mais d’autres considèrent que la vente du NFT s’assimilerait au transfert de propriété d’un support intangible et qu’il relèverait donc du droit de communication au public, nécessitant de ce fait un accord du titulaire des droits.

En outre, les problèmes de contrefaçon et de violation des droits d’auteur peuvent se poser si des NFT reproduisent des éléments protégés par le droit d’auteur sans autorisation.

Les contrats intelligents et les NFT soulèvent également des préoccupations en matière de protection des consommateurs. Les joueurs doivent être informés de manière claire et transparente des caractéristiques des NFT, notamment de la possibilité de revente, des droits associés et des limitations éventuelles. Les régulateurs peuvent être appelés à examiner la conformité des pratiques commerciales liées aux NFT avec les lois existantes sur la protection des consommateurs. 

III.            Les implications des décisions juridiques pour les industries concernées

Les décisions juridiques à venir dans le domaine des jeux vidéo et de la blockchain auront des implications significatives pour les développeurs, les joueurs et les régulateurs de cette technologie décentralisée.

Pour les développeurs, la clarté juridique et la protection de la propriété intellectuelle sont essentielles pour encourager l’innovation et l’investissement dans le développement de jeux vidéo basés sur la blockchain. Il est important de respecter les lois sur les droits d’auteur, les brevets, les marques et les secrets commerciaux tout en exploitant les avantages de la technologie blockchain. Une protection adéquate de la propriété intellectuelle peut garantir la valorisation des actifs numériques créés dans le cadre de ces jeux.

Les joueurs quant à eux ont besoin d’une plus grande sécurité juridique et d’une protection de leurs droits de propriété lorsqu’ils achètent, vendent et échangent des actifs numériques, tels que des NFT, dans les jeux vidéo. Les tribunaux et le législateur doivent s’assurer que les joueurs ont une compréhension claire de leurs droits en tant que propriétaires de ces actifs, y compris la possibilité de les revendre et de les transférer. De plus, des mesures doivent être prises pour prévenir les fraudes et les contrefaçons dans le marché des actifs numériques.

Du côté des régulateurs, il est nécessaire de mettre en place une réglementation appropriée pour encadrer les jeux vidéo. Cela implique de définir des normes en matière de protection des consommateurs, de lutte contre la fraude, de respect de la propriété intellectuelle et de responsabilité des acteurs impliqués. Une approche équilibrée est nécessaire pour encourager l’innovation tout en protégeant les intérêts des utilisateurs et en assurant l’intégrité du marché.

Finalement, on ne peut que constater que le domaine des jeux vidéo basés sur la blockchain ne cesse d’évoluer et de mettre le droit au défi par les nouvelles technologies qu’il applique. Les décisions juridiques doivent donc être flexibles et adaptées à ces évolutions, tout en maintenant un équilibre entre l’innovation et la protection des intérêts légitimes.

Lynn MBONGO

Sources :

La blockchain dans les jeux vidéo : quels enjeux ? quel développement ? (afjv.com)

Cometh : la météorite des jeux blockchains arrive grâce à sa levée de fonds – Journal du Coin

La réglementation, clé de l’adoption de la blockchain | Finance et Investissement (finance-investissement.com)

BARBET-MASSIN, A. KHATAB, « Les “ brevets blockchain ” : état des lieux et perspectives », HAL open science, 2018. ffhal-02284384.

CASANOVA, D. VERET, « Droit d’auteur et jeu vidéo », INPI, 2015. La propriété intellectuelle et la transformation numérique de l’économie | 1 INPI.fr

CLARK, « Blockchain et droit de la propriété intellectuelle : une combinaison idéale au pays de la cryptographie? », OMPI Magazine, février 2018.

ENSER, « Sacem : cap sur les NFT », Dalloz actualité, 13 décembre 2022.

FRICERO, « De la blockchain au smart jugement ? », Comprendre le nouveau schéma procédural à l’épreuve de la justice numérique, Dalloz action Droit et pratique de la procédure civile, 2021-2022.

GROFFE-CHARRIER, « Jeu vidéo et Droit d’auteur », Dalloz IP/IT, janvier 2020.

LAPOUSTERLE, « Les NFT artistiques à l’épreuve des droits d’auteur », Dalloz IP/IT, 2023, p. 84.

SERFATY, « Réflexions sur la nature juridique du NFT et son rapport à l’œuvre de l’esprit », Dalloz IP/IT, 2023, p. 77.

TAZROUT, « Vers un développement progressif de la blockchain dans les jeux vidéo ? », Siècle Digital, 31 mars 2022.

Corr. Nanterre, 29 juin 1984, Coreland c/ Sega, Expertises 1984, no67, p. 301; RIDA 1985, no 124, p. 171.

MasterIPIT