Les “créateurs de contenus”, “influenceurs”… sont des mots de plus en plus présents dans notre quotidien avec l’essor des réseaux sociaux numériques. En 2022, le marché mondial du marketing d’influence dépassait les 16 milliards de dollars. En réalité, de nombreuses questions se posent. Qui sont les influenceurs ? Quel est leur statut juridique ? Pourquoi existe-t-il un débat aujourd’hui ?
Qu’est-ce qu’un “influenceur” ?
C’est seulement en 2020 que le terme fait son apparition au sein du dictionnaire Larousse.
Avant cette date, en 2017, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité explique qu’un influenceur est un “individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres, à une audience identifiée.”
Aussi, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 février 2021 donne à son tour une définition : “une personne active sur les réseaux sociaux, qui par son statut, sa position ou son exposition médiatique est capable d’être un relais d’opinion influençant les habitudes de consommation dans un but marketing.”
Comme nous le verrons au sein de cet article, de nouveaux projets de loi récents proposent également des définitions similaires à ces dernières.
Leur statut juridique
Les influenceurs n’hésitent pas à effectuer des partenariats avec des marques. Le plus souvent, la promotion du produit/service est faite contre rémunération. Dans la majorité des cas, l’activité relève alors du Code du travail. A défaut, l’influenceur dispose d’un contrat de prestation de services indépendant. Dans tous les cas, il faudra respecter les dispositions prévues dans le contrat signé avec la marque.
De plus, ils disposent de plusieurs devoirs. Par exemple :
– ils doivent se conformer au règlement général sur la protection des données (RGPD). S’ils décident de ne pas s’y conformer, la sanction peut atteindre jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel global de l’exercice précédent.
– ils ont une obligation de transparence. L’intention commerciale d’un contenu doit être révélée au consommateur. En effet, l’article 20 de la loi LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique) précise que “toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.” La mention “Publicité » ou “Sponsorisé” doit apparaître dans son contenu.
– ils doivent respecter les modalités spécifiques de publicité relatives à certains produits/services (services financiers, jeux d’argent) ainsi que les interdictions de publicité (tabac/alcool, médicaments, produits dangereux…). En juillet dernier, la DGCCRF n’a pas manqué de sanctionner l’influenceuse Nabilla suite à la promotion sur son compte Snapchat des services de formation en trading (= spéculation des marchés financiers dans le but d’obtenir de réaliser des profits) car elle avait oublié de mentionner qu’elle était rémunérée. Dans un communiqué de presse, l’administration française annonce le paiement d’une amende de 20 000€ pour pratiques commerciales trompeuses sur les réseaux sociaux. Il est également rappelé qu’ ”au même titre que les acteurs traditionnels du secteur publicitaire, les influenceurs doivent respecter l’ensemble des règles s’appliquant aux publicités” et que “les pratiques commerciales trompeuses, comme le fait de masquer le caractère commercial d’une publication, peuvent en effet être punies de deux ans d’emprisonnement et jusqu’à 300 000€ d’amende.”
Ce n’est pas tout, car Le Monde précise qu’au début de janvier 2023, “le groupe Meta a été contraint par le tribunal de Paris de retirer trente-sept publications d’influenceurs sur Instagram”. En effet, elles ont été jugées non conformes à la loi Evin. Plus précisément, cette loi du 10 janvier 1991 encadre strictement la publicité en faveur des boissons alcooliques. Jusqu’en 2009, il n’était pas possible d’effectuer promouvoir l’alcool sur le net. La publicité est aujourd’hui réglementée par le Code de la santé publique (articles L. 3323-2 à L. 3323-6). Les influenceurs doivent notamment faire apparaître la mention légale “L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération” sous leurs publications ou storys.
De nombreux scandales ont éclaté ces derniers temps concernant des pratiques trompeuses telles que le “dropshipping” réalisé de façon mensongère par certaines personnes (achat de produits et les revendre plus chère dans son magasin en ligne) et les agences d’influence par exemple. Le hashtag #deinfluencing sur Tiktok accumule plus de 277 millions de vues selon le site internet The Conversation.
Aujourd’hui, de nombreux internautes ont cessé de faire confiance et d’écouter les recommandations de ces influenceurs. Par exemple, une maquilleuse américaine avait effectué un placement de produit pour un mascara et avait été soupçonnée d’avoir utilisé des faux cils.
La DGCCRF (Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) a récemment réalisé une enquête sur les pratiques commerciales de ces influenceurs. Dans son communiqué de presse du 23 janvier 2023, elle indique que “sur la soixantaine d’influenceurs qu’elle a ciblés depuis 2021, 6 sur 10 ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs”. Elle a essentiellement contrôlé des influenceurs (comportant un “nombre significatif d’abonnées” actifs dans la promotion ”de produits et services tels que les compléments alimentaires, les programmes “minceur”, les cosmétiques, les services de trading ou de paris en ligne.”)
Un métier bientôt encadré en France ?
Afin de lutter contre les abus dans le domaine du marketing d’influence, des propositions de loi ont récemment été déposées par des députés. Par exemple, une loi proposée par le Parti socialiste et Renaissance sera débattue au mois de mars à l’Assemblée nationale.
L’objectif de cette législation serait de créer et d’encadrer le statut d’influenceur. Arthur Delaporte, qui porte cette proposition de loi, explique qu’il souhaite “rendre la publicité faite par les influenceurs beaucoup plus transparente, voire visible”. En effet, est mis en avant le fait qu’il manque une véritable régulation au niveau des produits vendus par les influenceurs et que, de ce fait, les consommateurs, le plus souvent les jeunes, sont victimes d’arnaques sur les réseaux sociaux. Selon France Bleu, “plus d’un quart des influenceurs ont été reconnus coupables de publicités mensongères.” La protection des consommateurs est donc essentielle pour le législateur.
Quelles sont donc les solutions proposées afin de mieux contrôler les influenceurs ?
De manière générale, il est prévu par le texte d’encadrer le statut des agents d’influenceurs. Le premier article de la proposition de loi donne une définition du statut d’influenceur : “toute personne physique ou morale qui fait la promotion, directement ou indirectement, de produits, d’actes ou de prestations contre une rémunération (…) de manière active sur les réseaux sociaux et qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique dispose d’une audience pouvant influencer la consommation.”
Il est également prévu de faire en sorte de définir un représentant légal pour les expatriés (dont nombreux sont relocalisés à Dubaï) sur le territoire français afin qu’ils ne puissent pas échapper à la justice française en cas de violation de la loi.
L’interdiction d’effectuer la promotion de certains produits ou services (alcool, paris sportifs, chirurgie esthétique…) est souhaitée par les députés.
La création d’un contrat nommé est également proposé afin d’encadrer l’activité. Un certain nombre d’informations devra s’y trouver comme par exemple, l’objet, la nature et la durée des prestations, les conditions de rémunération, les caractéristiques essentielles du bien ou du service objet des contenus à caractère publicitaire envisagées… mais aussi les obligations de l’influenceur.
De plus, les influenceurs seraient obligés de préciser lorsqu’une publication sur un réseau social serait sponsorisée. Cette pratique n’est malheureusement pas toujours respectée même si elle a déjà été rendue obligatoire par la loi LCEN comme nous avons pu le voir précédemment.
Enfin, les réseaux sociaux devront prendre leur responsabilité afin de pouvoir mieux réguler les pratiques et de notamment signaler les publications illicites des influenceurs.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Une consultation publique sur le métier des influenceurs a été ouverte du 8 au 31 janvier 2023 par le Ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique dans le but de mettre en place une nouvelle réglementation. Selon le site du gouvernement, les quatre thématiques de cette consultation comprenaient :
- “les droits et les obligations des influenceurs pour permettre de poser une définition légale de l’influenceur et de l’agent d’influenceur” et d’”imposer un contrat écrit et des obligations contractuelles entre influenceurs et marques ainsi qu’entre influenceurs et agences d’influence.
- la propriété intellectuelle avec notamment le souhait de créer un site d’information à destination des influenceurs pour les protéger.
- la protection des consommateurs avec notamment l’idée de renforcer les obligations des plateformes numériques ou la création d’un guide de bonnes pratiques et d’un site dédié pour les créateurs de contenus.
- la gouvernance du secteur en proposant par exemple la création d’un label ou en encourageant la fondation d’une fédération professionnelle pour aider les influenceurs”.
Les mesures retenues vont être communiquées courant mars 2023.
Lili POURHASHEMI
Sources :
https://theconversation.com/deinfluencing-quand-les-internautes-disent-non-aux-influenceurs-200291
https://fashionunited.fr/actualite/business/rgpd-guide-pratique-pour-les-influenceurs/2018051015630
https://siecledigital.fr/2023/02/09/projet-loi-influenceurs-france/
https://addictions-france.org/presentation/respect-loi-evin/loi-evin-et-reseaux-sociaux/
https://www.economie.gouv.fr/consultation-publique-donnez-votre-avis-sur-le-metier-des-influenceurs#