Les “loot boxes”, un phénomène controversé

En novembre dernier, la sortie du jeu Star Wars Battlefront II a causé une vive polémique. Ce jeu payant proposait, pour débloquer l’intégralité de son contenu, d’acheter des “loot boxes”. Ces dernières sont des sortes de “pochette-surprise virtuelles” qu’il est possible d’acheter avec de l’argent ou avec des points gagnés au fil des parties. Si ce système est devenu commun, ce qui a outré la communauté des joueurs est l’importance qu’elles avaient sur l’expérience de jeu. En effet, pour pouvoir obtenir l’intégralité du contenu, il fallait jouer durant 4528 heures ou bien débourser pas moins de 2100$ en “loot boxes” (1). Le mouvement de protestation qui en a découlé a entraîné un questionnement sur la régulation d’une telle pratique et ce dans différents Etats.

Les loot boxes, un nouveau type de microtransaction dans les jeux vidéo

Depuis leur création dans les années 1950, les jeux vidéo ont bien changé. Leur développement a progressivement requis de meilleures technologies, plus de temps, plus de personnes et ainsi un budget de plus en plus important. Aujourd’hui, le marketing est aussi devenu un élément essentiel pour la visibilité d’un jeu et les éditeurs n’hésitent pas à y investir des sommes monumentales, faisant alors rivaliser le coût de production d’un jeu vidéo avec celui d’un blockbuster américain. Par exemple, le jeu Destiny 2, qui détient l’actuel record de coût de production, a coûté 500 millions de dollars à Activision (2) quand Spectre, présenté en 2015 comme “un des films les plus chers de l’histoire”, avait coûté 350 million de dollars (3).

Pour s’adapter à ces augmentations de coûts de production et être plus certains de faire des bénéfices, les éditeurs de jeux vidéo ont alors adopté de nouvelles techniques. Une idée reçue consiste à dire qu’ils auraient alors augmenté les prix des jeux. Mais cela est faux, les prix n’ont quasiment pas changé (4).

En réalité se sont alors développés diverses pratiques comme les DLC (DownLoadable Content) qui permettent de rajouter du contenu au jeu principal, que ce soit des missions supplémentaires ou simplement des items inédits. Leur rentabilité repose sur leur production puisqu’ils sont en général créés à partir d’éléments ayant servis lors de celle du jeu principal. De plus, à chaque sortie d’extension, ce dernier gagne en visibilité ce qui permet de réaliser de nouvelles ventes.

Une autre technique ayant permis de gagner en rentabilité repose sur les abonnements, qui permettent à un éditeur d’obtenir un revenu régulier et sur une longue durée.

Puis sont arrivées les microtransactions. Le principe est qu’à l’intérieur même du jeu, il est possible d’acquérir divers éléments virtuels avec de l’argent bien réel et notamment les fameuses “loot boxes”. Elles ont d’abord été une source de revenu pour les jeux gratuits, les “free to play”. Mais si la plupart du temps elles ne servaient que pour obtenir des éléments cosmétiques n’ayant aucune influence sur l’expérience de jeu, il y eut de vives critiques lorsque ce ne fut plus le cas. Cependant, les jeux étant gratuits, les critiques se sont limitées à surnom

mer les jeux comme étant des “pay to win” (payer pour gagner).

Les profits obtenus par le biais des microtransactions étant conséquent, les éditeurs de jeux payant n’ont pas tardé à adopter ce nouveau système. C’est ainsi que les “loot boxes” se sont retrouvées dans des jeux payants tels que FIFA 18 ou encore le controversé Battlefront II.

Les “loot boxes” se sont ainsi démocratisées dans les jeux vidéo. Cependant, leur fonctionnement est aujourd’hui au cœur de débat sur leur possible règlementation.

Un fonctionnement à l’origine du débat

Les “loot boxes” ont pour origine les “gacha games” japonais. Ces derniers tirent leur nom des “gachapon” qui sont des machines où insérer une pièce et tourner une molette permet d’obtenir aléatoirement une sphère contenant un objet surprise. Les “gacha games” reposent aussi sur cette notion d’aléatoire. Ces jeux sont créés pour que la progression soit rapide au début mais progressivement beaucoup plus lente afin de tenter les utilisateurs de mettre de l’argent dans le jeu pour obtenir des éléments aléatoires permettant possiblement une progression plus rapide. Les “loot boxes” reprennent ce principe qui permet d’obtenir aléatoirement quelque chose contre investissement. Ce peut être le temps de jeu qui permet de gagner des points servant à acheter les “pochettes surprises” mais ce peut être aussi de l’argent bien réel. Aujourd’hui, c’est cela qui fait que les autorités s’interrogent sur la nécessité d’une régulation d’un tel système.

L’aléatoire n’est pas, en soi, ce qui dérange. En effet, le système RNG (Random Number Generator) qui est à l’origine de l’aléa est présent depuis longtemps dans les jeux vidéo sans que cela n’ait provoqué de vifs débats. Par exemple dans Diablo III, vaincre un élite permet d’obtenir des items dont la rareté repose justement sur ce système. En général même, la plupart des jeux de type MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) reposent sur de l’aléatoire pour l’obtention d’équipements ou de ressources.

Cependant ce qui dérange, c’est le fait de devoir investir de l’argent dans les “loot boxes”. Cela les rapproche d’un jeu de hasard classique. L’objectif est de tenter d’obtenir un avantage dans le jeu comme un item pour progresser plus vite ou un bénéfice purement pécuniaire.Certains jeux ont en effet vu un réel marché se développer via la vente et l’achat d’objets virtuels. Les joueurs mettent alors une certaine somme d’argent dans ces “loot boxes” en espérant avoir un item assez rare pour pouvoir le revendre en faisant un bénéfice plus ou moins conséquent. Par exemple sur le jeu Counter Strike : Global Offensive, des coffres ont une certaine chance d’être obtenus à la fin d’une partie et l’acquisition d’une clef est alors nécessaire pour pouvoir les ouvrir. Leur ouverture permet alors d’avoir un item de manière aléatoire avec une valeur plus ou moins grande (5). Des sites tiers se sont même développés uniquement pour acquérir ces coffres et revendre le contenu obtenu contre de l’argent, augmentant encore plus la ressemblance entre le fonctionnement des “loot boxes” et celui d’un jeu d’argent classique. C’est en cela que les autorités de différents Etats sont actuellement en train de réfléchir à leur possible régulation.

Quelle régulation apporter aux “loot boxes” ?

Les “loot boxes” sont-elles des jeux d’argent déguisés ? C’est la question que se posent les autorités de plusieurs Etats actuellement.

La Belgique s’est notamment penchée sur ce problème. Une enquête a été lancée par la Commission des jeux de hasard pour savoir si les “loot boxes” sont à considérer comme des jeux de hasard. Contrairement à ce qui a pu être relayé par divers sites d’informations, aucune conclusion n’a été faite pour le moment (6). Cependant, le ministre fédéral de la justice, Koen Geens, a récemment pu faire part de sa volonté de demander leur interdiction au niveau européen car il considère que « mélanger les jeux de hasard et le jeu vidéo, en particulier chez les jeunes joueurs, est dangereux pour la santé mentale de l’enfant » (7). L’affaire est donc à suivre.

Aux Etats Unis, les positions divergent entre certains politiques et l’Entertainment Software Rating Board (ESRB), une organisation autorégulée qui évalue les jeux vidéo en Amérique du Nord et au Mexique et qui les classifie en fonction de tranche d’âge (à la manière du PEGI en Europe). Cette dernière ne considère pas les “loot boxes” comme des jeux de hasard. En effet, un représentant de cette organisation a pu dire : “l’ESRB ne considère pas les loot boxes comme des jeux de hasard. Bien qu’il y ait un facteur de chance dans son fonctionnement, le joueur est toujours garanti de recevoir du contenu (même si parfois il reçoit quelque chose qu’il ne voulait pas). Nous pensons qu’elles fonctionnent de manière similaire aux cartes à collectionner : parfois vous ouvrez un paquet et obtenez une toute nouvelle carte holographique que vous convoitiez depuis longtemps. Mais parfois vous finissez avec un paquet de cartes que vous aviez déjà”. (8) Cependant, Chris Lee, membre de la Chambre des représentants d’Hawaï, met en avant les proximités d’une telle pratique avec les jeux de hasard (9) et demande même aux consommateurs de faire entendre leur voix pour pousser les législateurs à agir (9).

En France, l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne) a été saisie pour prendre position sur les “loot boxes”. Le 16 novembre dernier, le sénateur de Saône-et-Loire Jérôme Durain‏ l’a saisi et a posé une question écrite au secrétaire d’Etat chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, pour “trouver le meilleur moyen d’éviter les dérives” (10). L’UFC Que Choisir a aussi demandé à l’ARJEL une prise de position en lui demandant “de considérer comme des jeux de hasard les jeux vidéo incluant des coffres de butin payants, ce qui aura notamment pour conséquence d’en interdire la vente aux mineurs” (11). Elle demande aussi aux pouvoirs publics “de rendre obligatoire une information avant l’achat (sur la boîte et les pages internet de vente) sur la présence de ces mécanismes (probabilités de gains pour les loteries, coût total des achats intégrés, etc…)” (11). Le 20 et le 22 novembre, l’ARJEL leur a répondu (12) (13). Trois dérives majeures ont alors été identifiées :

– Des transactions quasi obligatoires dans le cours du jeu et qui se rajoutent au prix d’achat initial, sans que le joueur en ait été clairement informé ; cela relève du domaine de la protection du consommateur ;

– Un produit totalement aléatoire qui revient à introduire un jeu payant de loterie dans un jeu vidéo : c’est le fondement de l’enquête actuellement menée par le régulateur belge sur le Star Wars Battlefront 2. C’est aussi une dérive par rapport aux pratiques habituelles du pay to win : le joueur sait précisément ce qu’il achète et peut ainsi disposer d’une meilleure maîtrise de ses dépenses.

– Enfin, dans certains jeux, le joueur a la possibilité de revendre en monnaie réelle des gains remportés sous forme d’objets virtuels ou encore des niveaux de jeux, soit sur le site de jeu proprement dit, soit sur un site dédié ; nous sommes là dans l’espérance de gain en argent ». Ce qui est le cas de Counter Strike : Global Offensive précédemment cité.

Dans sa réponse au sénateur Jérôme Durain, l’ARJEL écrit vouloir entreprendre une action à trois volets à savoir :

– Un travail en commun avec la DGCCRF pour tout ce qui relève de la protection de consommateurs ;” Cela qui est éclairé par la lettre adressée cette fois à l’UFC Que Choisir où des questions comme “l’accessibilité du règlement de jeu ou le tableau des gains associés aux loot boxes” sont envisagées. Cela rapprocherait la réglementation française de celle mise en place par la Chine qui oblige les éditeurs de jeux vidéo à afficher sur un site les probabilités théoriques et pratiques de gains pour chaque boite (14).

“- Une réflexion commune avec plusieurs régulateurs européens préoccupés au même titre que l’ARJEL par le développement de ces jeux « à la frontière des jeux d’argent » : la Belgique, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas suivent avec attention le sujet ;

– Une réflexion sur la définition française du jeu d’argent dans le cadre du rapport de suivi actuellement en cours à l’Assemblée nationale, au sein du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, sur l’évolution de la régulation des jeux d’argent et de hasard en France”.

Quant à la régulation même de la pratique des “loot boxes”, l’ARJEL ne se positionne pas fermement. En effet, elle écrit qu’une “régulation de ce secteur sur le modèle de l’ARJEL semble peu envisageable à court terme” mais montre aussi les limites d’une “auto-régulation” du secteur. L’affaire est donc à suivre pour voir quelle direction va prendre cette régulation et si celle-ci se rapprochera de ce qui a été adopté en Chine ou sera plus contraignante pour les éditeurs de jeux vidéo.

Camille Bec-Lucat

 

(1) http://www.swtorstrategies.com/2017/11/it-will-take-4528-hours-of-gameplay-or-2100-to-unlock-all-base-game-content.html

(2) https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/jeux-video/destiny-le-jeu-video-qui-valait-500-millions-de-dollars_1766027.html

(3) http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/007-spectre-un-des-films-les-plus-chers-de-l-histoire-06-11-2015-5254895.php

(4) http://www.damonx.com/retrogaming-prix-des-jeux-video-cetait-mieux-avant/

(5) Pour en savoir plus sur les prix qu’il est possible d’avoir pour des items virtuels, vous pouvez aller consulter ce site qui répertorie tous les prix ainsi que leurs fluctuations : https://csgo.steamanalyst.com/

(6) https://www.rtbf.be/info/medias/detail_non-la-belgique-n-a-pas-qualifie-star-wars-battlefront-ii-de-jeu-de-hasard?id=9769751

(7) https://nieuws.vtm.be/vtm-nieuws/binnenland/geens-wil-gokken-games-verbieden

(8) “ESRB does not consider loot boxes to be gambling,” “While there’s an element of chance in these mechanics, the player is always guaranteed to receive in-game content (even if the player unfortunately receives something they don’t want). We think of it as a similar principle to collectible card games: Sometimes you’ll open a pack and get a brand new holographic card you’ve had your eye on for a while. But other times you’ll end up with a pack of cards you already have.” https://kotaku.com/esrb-says-it-doesnt-see-loot-boxes-as-gambling-1819363091

(9) Chris Lee, membre de la Chambre des représentants d’Hawaï : “These kinds of lootboxes and microtransactions are explicitly designed to prey upon and exploit human psychology in the same way casino games are so designed.” Pour en savoir plus : https://www.reddit.com/r/gaming/comments/7elin7/the_state_of_hawaii_announces_action_to_address/dq62w5m/

(10) https://twitter.com/Jeromedurain/status/931184414909923329

(11) Action de l’UFC Que Choisir : https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-contenus-payants-dans-les-jeux-video-jeux-de-gains-jeux-de-vilains-n48636/

(12) Réponse de l’ARJEL au sénateur Jérôme Durain‏ https://cdn2.nextinpact.com/medias/arjel-lootboxes.pdf

(13) Réponse de l’ARJEL à l’UFC Que Choisir https://cdn2.nextinpact.com/medias/arjel-lootboxes-ufc.pdf

(14) https://amp.nextinpact.com/news/105681-loot-boxes-arjel-repond-a-ufc-que-choisir.htm?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter&utm_campaign=social&__twitter_impression=true

MasterIPIT