L’homéopathie à l’épreuve du droit des brevets

Avant de s’intéresser à la potentielle brevetabilité des procédés homéopathiques, il convient avant tout de rappeler ce qu’est l’homéopathie.

 

Qu’est-ce que l’homéopathie ?

L’homéopathie trouve ses racines à la fin du XVIIIème siècle ; mais pour comprendre dans quel cadre celle-ci a pu voir le jour, il faut avant-tout comprendre ce qu’était la médecine au moment de sa création. Jusqu’au XVIIIème siècle, la médecine n’était encore qu’à ses balbutiements. Il était préférable à cette époque de ne pas consulter un médecin que d’en consulter un si l’on souhaitait guérir d’une potentielle maladie. Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le pseudonyme de Molière, parodiait dans de nombreuses comédies issues de sa plume les diverses pratiques absurdes des médecins de ce temps pour soigner (notamment le Médecin malgré lui étant la plus célèbre de toute). Entre les saignées, l’administration de substances laxatives et autres procédés plus ou moins douteux pour nous contemporains, la médecine manquait terriblement de sens et de résultats concrets pour soigner.

C’est ainsi que Samuel Hahnemann (1755-1843), médecin et pharmacologue, estimait que la médecine de son temps était beaucoup trop rude et que celle-ci manquait de pertinence dans l’identification et l’analyse des symptômes d’un patient pour déterminer un traitement adapté. En réponse aux moyens de l’époque il propose l’homéopathie pouvant être défini comme étant une méthode thérapeutique consistant à prescrire à un malade, sous une forme fortement diluée et dynamisée, une substance capable de produire des troubles semblables à ceux qu’il présente. Selon lui, l’homéopathie est un moyen moins agressif et plus naturel de guérir les patients.

 

Pourquoi l’homéopathie pose intrinsèquement problème ?

Dans l’Organon de l’art de guérir (1810), Hahnemann expose les trois principes fondamentaux de l’homéopathie :

1er principe – l’individualisation du patient : selon Hahnemann, il ne faut jamais traiter un patient selon des symptômes déterminés mais toujours dans sa globalité.

2nd principe – le semblable guéri le semblable (ou principe de similitude) : Pour guérir un patient d’un symptôme qu’il aurait, il faut le guérir par une plante ou une substance dont les effets connus sont de causer ledit symptôme en question. Par exemple, la belladone, plante connue pour causer de la fièvre, doit être utilisée pour faire guérir un individu ayant de la fièvre selon ce principe.

3ème principe – la potentialisation (ou principe d’infinitésimalité) : Selon Hahnemann, pour activer les effets d’un ingrédient il faut les diluer dans un solvant que ce soit de l’eau ou de l’alcool. Ensuite, le protocole recommandé par Hahnemann préconise de prendre une dose de la solution diluée et de la diluer à nouveau dans une nouvelle dose de solvant puis d’agiter le contenu. Une fois ce processus répété dans 99 doses de solvant, on obtient une solution censée guérir un individu comme le préconise l’homéopathie. C’est justement de ce principe que l’homéopathie pose autant d’interrogations que ce soit au niveau médical ou de sa potentielle brevetabilité.

 

 

Ainsi, quelles sont les perspectives de brevetabilité d’un procédé homéopathique ?

 En partant du postulat précédemment évoqué, admettre la brevetabilité d’un procédé homéopathique semble compliquée sur plusieurs aspects. Par analogie avec la brevetabilité des médicaments, qui est reconnue depuis de nombreuses années, n’a elle jamais réellement posé problème si le médicament répond des conditions de la brevetabilité nationale ou européenne.

Premièrement, les composants traditionnels en homéopathie selon Hahnemann sont le plus souvent des éléments déjà présents dans la nature (tels que des plantes, des légumes, ou des minéraux dans la majorité des cas…). Ils ne sont en rien nouveau, et les solvants permettant la dilution desdits éléments eux aussi restent présents dans la nature : l’eau ou l’alcool ne sont en rien des nouveautés en eux-mêmes. En dépit de ce fait, inclure les éléments au sein d’une dilution pourrait ressortir de l’application nouvelle de moyens connus. Il sera de l’appréciation de l’homme du métier de savoir si un procédé homéopathique, au moment du dépôt de brevet, relève ou non de l’état de la technique.

Deuxièmement, l’article L.611-15 du Code de la propriété intellectuelle exige que l’invention soit susceptible d’une application industrielle si son objet peut être fabriqué dans tout genre d’industrie y compris l’agriculture. Sachant que l’invention doit « seulement » être susceptible d’application, , on peut légitimement penser que cette condition puisse être remplie pour un procédé homéopathique, sachant que l’homéopathie peut être commercialisée.

Troisièmement, on peut sérieusement s’interroger sur la capacité d’un procédé homéopathique à faire preuve d’une activité inventive. Dans les faits il semble presque impossible de démontrer qu’un procédé homéopathique ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique pour un homme du métier. Par analogie avec les médicaments, l’Office Européen des Brevets a estimé concernant une substance médicamenteuse qui se lie dans certains cas à des récepteurs chimiques du corps humain que « tant qu’elle n’a pas trouvé d’application pratique sous la forme d’un traitement défini et réel d’une pathologie, la découverte selon laquelle une substance […] même si elle constitue un apport important sur le plan scientifique, ne constitue pas une contribution d’ordre technique par rapport à l’état de la technique permettant d’y voir une invention brevetable. »  En dépit du fait que l’arrêt portait sur l’absence d’application industrielle de la substance en question et notamment de l’absence d’association de l’usage de la substance pour traiter une pathologie déterminée. Par comparaison, il semble impossible de prouver qu’une substance homéopathique soit, en plus d’être une avancée scientifique, un remède reconnu et efficace pour traiter une pathologie. D’où les débats qui peuvent persister à ce sujet.

En septembre 2017, le Conseil scientifique des académies des sciences européennes a publié un rapport confirmant l’absence de preuves de l’efficacité de l’homéopathie. A contrario, 56% des Français ont déjà consommés au moins une fois un procédé homéopathique. La question du déremboursement de ceux-ci s’est même posée du fait du manque de preuves de leur efficacité scientifique (sachant que ceux-ci sont actuellement remboursés par la Sécurité Sociale à hauteur de 30%). Se demander si l’homéopathie est réellement une invention brevetable ou non revient à se demander si les procédés homéopathiques fonctionnent réellement pour guérir un patient. Certains médecins sont absolument contre cette idée en comparant l’homéopathie à du sucre dilué dans de l’eau ou à une tasse de thé. D’autres médecins défendent une thèse contraire en arguant l’efficacité de l’homéopathie en tant que placebo tout en défendant l’idée qu’il n’y a pas que les médicaments qui permettent de soigner des patients (la psychologie d’un individu, le repos, le réconfort sont des remèdes qui dans certaines situations déterminées fonctionnent sans forcément coupler ceux-ci à la prise de médicaments). Certains affirment même que l’homéopathie fonctionne, mais personne ne sait réellement comment. Une seule certitude, faire breveter de tels procédés relève presque de l’inimaginable, avec pour preuve le nombre très restreint de brevets liés à des procédés homéopathiques présents sur la base de données de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

 

 Naji Abboud

 


 

Bibliographie :

Jurisprudence

  • OEB ch. rec. tech., 14 juin 2000, T. 241/95: D. 2002. Somm. 1188, obs. Galloux; JO OEB févr. 2001. 103

 

Doctrine

  • Répertoire de droit euroépen – Médicaments, Nathalie DE GROVE-VALDEYRON ; Dalloz (2007)
  • Répertoire de droit commercial – Brevets, Nicolas BINCTIN ; Dalloz (2007)

Sites internet

 

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