L’utilisation de la capture de mouvement dans le cinéma, ou comment un logiciel peut impliquer de lourdes conséquences juridiques et économiques

Quel est le point commun, outre leurs budgets colossaux, entre les films Deadpool, la Belle et la Bête, les Gardiens de la Galaxie ou encore Avengers : Age of Ultron ? Ils ont tous utilisé le logiciel Mova pour nous montrer des scènes (presque) plus vraies que nature. Ce logiciel est une technologie de motion capture, ou « capture de mouvement ». Désormais de plus en plus répandue, elle a révolutionné le cinéma et le trucage numérique, consistant en l’enregistrement de doublures virtuelles et permettant de créer de toutes pièces des « acteurs », voire de redonner vie à certains, s’apparentant presque alors à des hologrammes. On pense notamment à Gollum dans le Seigneur des Anneaux, interprété par Andy Serkis, constituant une référence en tant qu’avancée spectaculaire dans le monde des effets spéciaux. Il est bien loin le temps des décors manufacturés de George Méliès…

Toutefois, l’utilisation de ce logiciel de motion capture n’est pas sans risque. En effet, une affaire récente a mis dans l’embarras certains studios hollywoodiens pour l’utilisation apparemment frauduleuse du logiciel Mova.

 

L’utilisation frauduleuse du logiciel Mova par des studios hollywoodiens 

 

L’invention du logiciel Mova est revendiquée par la société américaine Rearden, fondée par Steve Perlman. Steve Perlman prétend ainsi être le créateur de la technologie motion capture, qui utilise les expressions faciales d’acteurs réels, permettant de créer des images de synthèses ultra-réalistes, et demande ainsi le respect des droits de propriété intellectuelle qu’il détient sur l’invention. Il accuse des studios hollywoodiens, tel que le studio Digital Domain 3.0 spécialisé dans les effets spéciaux, d’utiliser sa technologie (notamment le code source du logiciel) sans être licencié. Toutefois, il se trouve que ces studios ont acheté la version du logiciel qu’ils utilisent à deux sociétés chinoises, « Shenzhenshi Haitecheng Science and Technology Co. » et « Virtual Global Holdings ».

Dans les faits, les sociétés défenderesses avaient auparavant travaillé avec la société de Steve Perlman. Elles avaient ensuite conclu un marché avec la société chinoise Shenzhenshi sans vérifier que cette dernière avec eu l’autorisation de détenir la technologie litigieuse, alors qu’elle l’avait obtenue via un ancien employé de Perlman, Greg Lasalle.

Dans une décision du 17 juin 2016 (1), le juge fédéral de San Francisco a demandé à ce que la technologie litigieuse ne soit plus utilisée jusqu’à nouvel ordre par les studios hollywoodiens, occasionnant de lourdes conséquences économiques pour ces derniers. En effet, de nombreux projets onéreux se trouvaient alors paralysés, étant précisé que la société Digital Domain fournit des travaux pour d’autres studios renommés tels que 20th Century Fox, Marvel, Paramount ou encore Disney.

Le juge fédéral a ainsi retenu que les transferts de propriété effectués par la société Shenzhenshi étaient frauduleux, engageant alors sa responsabilité.

 

Le 17 juillet 2017, un jugement a été rendu par la U.S. District Court for the Northern District of California (2) (équivalent d’un tribunal de première instance) et a retenu que le logiciel de capture de mouvement Mova était la propriété de son inventeur originel, soit la société Rearden. Par ailleurs, les défendeurs à l’action (soit notamment les sociétés Digital Domain, Disney, Marvel) ont été déclarés coupables d’avoir sciemment utilisé un logiciel volé et ont alors décidé interjeter appel.

C’est donc une affaire à suivre, s’agissant non seulement de la condamnation de ceux-ci, mais également de l’avenir des productions cinématographiques issues de l’utilisation du logiciel Mova.

En définitive, on retiendra qu’une violation des droits de propriété intellectuelle peut coûter très cher…

 

La droit attaché au personnage créé par la technologie de motion capture 

 

Outre le droit propre au logiciel, d’autres problématiques plus théoriques peuvent se poser quant à son utilisation, notamment sur le droit à l’image. En effet, le dernier épisode de Star Wars, « Rogue One : A Star Wars Story », présente à l’écran un Peter Cushing ressuscité. L’autorisation d’utilisation de l’image de l’acteur avait été demandée à la famille de l’acteur. Toutefois, assez logiquement puisque la technologie de capture de mouvement n’était pas aussi aboutie que maintenant, l’acteur lui-même n’a jamais donné d’avis explicite sur la question (au contraire de Robin Williams par exemple, qui a refusé l’exploitation de son image jusqu’en 2039, le précisant dans une clause de son testament). La question s’était aussi posée à propos de Carrie Ficher pour les prochains épisodes de Star Wars. Toutefois, les producteurs y ont renoncé par soucis d’éthique.

Se pose la question de savoir comment pourrait être défendu le droit à l’image en l’espèce. Ainsi, Alain Bensoussan et Marie Soulez considèrent qu’il faudra user du droit à l’honneur, permettant ainsi de trouver un équilibre entre la protection de la personne et la liberté de création (3).

De plus, nous pouvons nous interroger sur la rémunération de l’acteur, ou plutôt de l’hologramme créé dans ces circonstances. En effet, plusieurs personnes pourraient y prétendre, que ce soit les descendants de l’acteur dont on a utilisé l’image, mais également l’acteur tiers qui aurait interprété celui représenté (en ce sens, Peter Cushing a été interprété par Guy Henri, auquel les images de représentation 3D de l’acteur défunt ont été ajoutées numériquement).

 

La technologie de motion capture ne va certainement pas cesser de s’étendre, en témoigne l’attribution à la technologie Mova en 2015 d’un Oscar scientifique et technique par l’Académie des arts et techniques du cinéma (AMPAS).

Pour aller plus loin, une exposition est actuellement présentée à la Cité des Sciences et de l’Industrie, « effets spéciaux : crevez l’écran ! » (4).

 

Jeanne Breton

 

(1) « Digital Domain’s new legal setback freezes VFX tech used by major studios », The Hollywood Reporter : https://www.hollywoodreporter.com/news/digital-domain-mova-tech-banned-906902

(2) « Inventors of MOVA Contour sue Disney and Marvel for using stolen intellectual property in three of Disney’s highest grossing films », Hagens Berman Sobol  Shapiro LLP : https://www.hbsslaw.com/uploads/case_downloads/beast/hagens_berman_disney_marvel_mova_media_kit.pdf

(3) Revue pratique de la prospective et de l’innovation n° 1, Mars 2017, entretien 2 : https://www.alain-bensoussan.com/wp-content/uploads/2017/04/34237042.pdf

(4) « Effets spéciaux : crevez l’écran ! » : http://www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-temporaires/effets-speciaux-crevez-lecran/

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