[Mon mémoire en 3 pages] Intelligence artificielle et droit d’auteur : les créations issues d’une intelligence artificielle devraient-elles faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur ? – Isabelle Jallageas

« On n’en est pas encore à l’intelligence consciente. A ce jour, la créativité de la machine n’existe pas : les hommes créent et les machines calculent » – Alexandra Bensamoun [1]

 

L’intelligence artificielle est définie comme étant « l’ensemble des techniques visant à permettre aux machines d’imiter une forme d’intelligence réelle »[2]. En ce sens, l’intelligence artificielle est une composante associée à un robot, qui va lui permettre d’affiner la barrière qui le sépare de l’homme au point qu’elle en devient presque invisible.

 

Le robot n’est pas une personne susceptible de bénéficier de la qualité d’auteur

L’apport créatif était initialement le critère de distinction fondamental entre l’homme et le robot[3]. Bien qu’il ait été créé à l’effigie de l’homme, il s’en distingue par son impossibilité de créer « au sens du droit d’auteur. »[4] Toutefois, la distinction, bien que de plus en plus minime, reste de marbre. A ce jour, l’homme n’est toujours pas parvenu à créer un « être entièrement artificiel ». En ce sens, même le robot le plus intelligent créé aujourd’hui a besoin d’un minimum d’intervention humaine pour réaliser des actes, ne serait-ce que des indications. C’est pourquoi ses créations ne peuvent pas bénéficier aujourd’hui de la qualité d’ « œuvres de l’esprit » et sont donc privées de protection par le droit d’auteur.

Le droit français prône une vision personnaliste du droit d’auteur[5]. En effet, il vient davantage protéger la personne de l’auteur plutôt que l’œuvre elle-même, à condition que l’œuvre soit originale, c’est-à-dire qu’elle porte « l’empreinte de la personnalité de son auteur »[6], pour citer Henri Desbois.

Il est important de distinguer le droit national des droits étrangers. Chaque État possède une vision propre, pouvant amener à des décisions différentes. Comme indiqué plus haut, le droit français montre une vision personnaliste du droit d’auteur. Ainsi, seule une personne physique peut bénéficier de la qualité d’auteur[7].

Cette vision n’est pas partagée par l’ensemble des pays du globe. Par exemple, le droit d’auteur chinois, bien que très proche du droit d’auteur français, prévoit au contraire qu’une personne morale peut tout à fait être considérée comme auteur[8].

Cependant, nous remarquons que ces deux types de droit exigent de l’auteur qu’il soit une personne.

Le robot, même doté d’une intelligence artificielle, n’est ni une personne physique, ni une personne morale. Par conséquent, il ne peut bénéficier, ni en France, ni en Chine et dans les Etats partageant ces visions, de la qualité d’auteur. Ce faisant, leur créations ne peuvent être qualifiées d’ « œuvres de l’esprit » et sont donc privées de protection par le droit d’auteur.

Toutefois, comme indiqué plus tôt, l’homme n’est pas encore parvenu à créer une intelligence artificielle suffisamment autonome pour créer seule. Le plus souvent nous serons confrontés à des « créations assistées par intelligence artificielle ». Ces créations sont issues d’une collaboration entre le robot et l’auteur. C’est là que la différence entre le droit national et les droits étrangers tels que le droit chinois peut porter à confusion.

Une jurisprudence récente en Chine a fait valoir qu’une œuvre de collaboration entre un robot et une personne morale était protégée par le droit d’auteur. Cette solution a fait l’objet d’une grande confusion. Les médias français ont cru qu’il s’agissait d’un renouveau, que la Chine acceptait de protéger les créations issues d’une intelligence artificielle par le droit d’auteur, qu’elle acceptait que l’intelligence artificielle soit auteur.

En réalité, il n’en est rien. Cette solution aurait été différente en France car la personne morale ne peut bénéficier de la qualité d’auteur[9]. Étant donné que ni le robot, ni la personne morale ne peut bénéficier de la qualité d’auteur, la création n’aurait aucun auteur. Or, le droit d’auteur protège l’auteur, n’ayant personne à protéger, il ne pourrait pas s’appliquer.

Cependant, la vision chinoise est différente. Une personne morale peut tout à fait prétendre à la qualité d’auteur. Ainsi, en présence d’une création issue d’une collaboration entre un robot et une personne morale, l’un des deux créateurs peut bénéficier de la qualité d’auteur. Ainsi, le droit d’auteur a une personne à protéger et peut donc s’appliquer.

L’œuvre n’a en réalité été protégée que parce que la personne morale a pu être considérée comme auteur, et non l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle reste aujourd’hui, du moins en droit français, en droit chinois et, à ma connaissance, dans la majorité des pays du globe, insusceptible à la prétention de la qualité d’auteur. Par conséquent ses créations ne peuvent bénéficier d’aucune protection par le droit d’auteur.

 

Une vision contestée en raison d’une forte ressemblance de ces créations avec des œuvres de l’esprit :

A première vue, la création issue d’une intelligence artificielle ressemble pourtant fortement à une œuvre de l’esprit. En effet, pour qu’une création soit qualifiée d’ « œuvre de l’esprit », elle doit être originale et perceptible par les sens[10].

Ce n’est pas contestable, les créations issues d’une intelligence artificielle sont perceptibles par les sens. Elles peuvent être vues, touchées ou encore entendues. Le goût faisant encore aujourd’hui l’objet de controverses, il n’est pas utile de l’envisager.

En revanche, ces créations ne sont pas originales. L’originalité se traduit comme dit plus tôt par « l’empreinte de la personnalité de l’auteur. »[11] Le robot, étant un objet, n’a pas de personnalité, et ne peut donc pas la transmettre à sa création. Toutefois, la définition de l’originalité est assez floue. Il n’existe aucun critère strict indiquant si une création est ou non marquée de la personnalité de son auteur. D’autant plus qu’une intelligence artificielle peut imiter la personnalité d’un auteur, rendant la distinction encore plus difficile.

Une création issue d’une intelligence artificielle peut donc au premier regard, être assimilée à une œuvre de l’esprit. Pourtant, elle ne l’est pas en raison d’un défaut d’originalité[12]. En voici deux exemples :

 

L’exemple du tableau « Edmond de Belamy »

 

Edmond de Belamy, par Obvious

Le collectif français Obvious a créé un robot doté d’une IA, composé de deux algorithmes[13]. Le premier permettait au robot d’analyser les tableaux d’artistes célèbres sélectionnés par le collectif. Tandis que le second était une sorte de « test de Turing », visant à déterminer si la création finale était issue d’un être humain ou d’un robot. L’objectif du collectif était de tromper le second algorithme, c’est-à-dire de lui faire croire que la création de l’intelligence artificielle est le fruit d’un travail humain. Un objectif brillamment atteint par le tableau « Edmond de Belamy ». Ni une machine ni un être humain n’a été capable de constater que ce tableau avait été réalisé par une IA. Le seul indice aurait été la signature apposée sur la création par l’intelligence artificielle qui est une formule mathématique : « Min (G) max (D) Ex [log(D(x))] + Ez [log(1-D(G(z)))] »[14] qui correspond en réalité à son « nom ».

 

L’exemple du tableau « The Next Rembrandt »

 

The Next Rembrandt, par l’Université de Delft, en collaboration avec Microsoft, ING et Mauritshuis

Une équipe de spécialistes hollandais, de l’Université de Delft, a créé une intelligence artificielle capable de réaliser des tableaux « à la manière » du célèbre peintre Rembrandt Van Rijn[15]. Pour cela, ces spécialistes ont « alimenté » le robot de plus de 300 œuvres réalisées par Rembrandt Van Rijn. Tout artiste a son propre style qu’il transmet dans son œuvre. C’est d’ailleurs ce qui la rend originale et ainsi susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. L’intelligence artificielle créée par ces spécialistes est capable de reproduire le style d’un artiste et ainsi imiter sa personnalité. Grâce à des capteurs, elle a pu étudier et apprendre grâce au processus de « machine learning » la façon de l’artiste de dessiner les traits du visage, d’utiliser la luminosité etc. Une fois prête à créer, les concepteurs de l’intelligence artificielle lui ont demandé de réaliser le portrait d’un « homme caucasien barbu, de 30 à 40 ans portant de vêtements sombres, un col et un chapeau, et regardant vers la droite »[16]. Si l’artiste n’était pas décédé en 1669, il aurait été possible de se méprendre et de croire à une nouvelle de ses créations.

 

Mon avis personnel sur la question :

Certains trouvent cette absence de protection injuste et prônent des palliatifs, tels que l’émergence d’une personnalité robotique.

A mon humble avis, je ne pense pas qu’accorder une personnalité juridique à un robot lui permette de protéger sa création. La personnalité qui doit ressortir dans la création est une personnalité humaine, et non une personnalité juridique.

Toutefois, il me semble qu’une protection de l’œuvre pourrait être envisageable, mais très compliquée à mettre en place. Derrière un robot, une intelligence artificielle, se cache toujours un être humain. La création pourrait donc à mon sens toujours être rattachée à une personne humaine. Le problème interviendrait dans le choix de la personne humaine rattachée à la création[17]. Serait-ce le concepteur du robot ? Son utilisateur ? Son propriétaire ?

Face à ces questions qui se multiplient, une législation stricte ne me semble pas envisageable. Mais d’un autre côté, laisser le sort de la création à une appréciation in concreto du juge porterait une atteinte considérable à la sécurité juridique…

C’est pourquoi je ne pense personnellement pas, du moins pour le moment, que les créations issues d’une intelligence artificielle devraient faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur. Mais le débat persiste et tous les avis se valent, se défendent. D’autant plus que le débat et nos opinions risquent d’évoluer en même temps que l’intelligence artificielle.

 

Isabelle Jallageas

 


 

[1] A. Bensamoun, « Lorsque l’intelligence artificielle est capable de créer, qui encaisse les droits d’auteur ? », France-Inter, 20 Fév.2018

[2] A. Bensamoun, « La protection juridique face à la puissance des algorithmes », colloque, 9 Janv.2020

[3] A. Bensamoun, N. Nevejans, « Les robots, objets scientifiques, objets de droits », coll presses universitaires de Sceaux, 2016

[4] C. Caron, « Droit d’auteur et droits voisins », 5e édition, n°51, LexisNexis, 2017

[5] Art. L113-2 et L113-8 CPI

[6] H. Desbois, « Le droit d’auteur en France : propriété littéraire et artistique », 3e édition, coll. Propriété littéraire et artistique, Dalloz, 1978

[7] Cass., 1ère chambre civ., 17 Mars 1982 ; Cass., 1ère chambre civ., 15 Janv. 2015

[8] Entretien avec S. Feng du 7 Fév. 2020

[9] Entretien avec le Professeur S.Feng

[10] A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, « Traité de la propriété littéraire et artistique », LexisNexis, 2017

[11] H. Desbois, « Le droit d’auteur en France : propriété littéraire et artistique », 3e édition, coll. Propriété littéraire et artistique, Dalloz, 1978

[12] Cass., 1e civ. 15 Janv. 2015

[13] G. Rozières, « Ce tableau a été créé par une intelligence artificielle, mais est-ce de l’art ? », Huffingtonpost, 2018

[14] S. Seibt, « Obvious, les français derrière la première peinture d’une IA vendue aux enchères », france24, 2018

[15] Admin, « Un « nouveau » Rembrandt conçu par les algorithmes et imprimé en 3D », club-innovation, 2016

[16] J-dL Goudet, « Un ordinateur fabrique un faux Rembrandt, à s’y méprendre », futura-sciences, 2016

[17] Entretien avec le Professeur J.Lapousterle

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