[Mon mémoire en 3 pages] La création d’un régime de l’auteur salarié en France – Emeline Goumidi

Pour citer C.Caron, l’auteur en droit français est envisagé « comme une personne physique qui, dans la solitude de sa création, exprime sa personnalité dans une œuvre ». Cependant, cette solitude évoquée ne semble plus en accord avec notre temps. De ce fait il semble apparaître une contradiction entre la notion d’auteur qui est amenée à évoluer en raison d’une dimension économique grandissante de plus en plus présente en droit d’auteur et la vison classique de l’œuvre qui est intrinsèquement personnaliste. De plus, cette dimension économique, s’accompagne inévitablement d’un rapprochement de plus en plus fort entre l’auteur et le statut de salarié. De ce ce fait, il convient de s’interroger sur le maintien d’une telle vision romantique de l’auteur et de l’importance de faire émerger un régime de l’auteur salarié en France. Toutefois, bien qu’un tel régime peut se retrouver au sein des différentes branches de la propriété industrielle, le législateur semble s’opposer à la création d’un tel régime pour ce qui est de la propriété littéraire et artistique à l’exception du régime des artistes interprètes où le salariat s’impose comme la règle. Toutefois, malgré quelques exceptions, le droit positif français ne semble pas tout à fait prêt à accueillir un tel régime au sein de sa législation relative au droit d’auteur. Ainsi, il s’agirait de réformer notre actuel droit d’auteur. Cependant, en raison de réticences exprimées  par le législateur, il est possible de se demander si l’émergence de la création d’un régime de l’auteur salarié en France est-elle réellement envisageable.

I  – L’œuvre salariée en droit positif français

Dès l’article L111-1, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) affirme de façon péremptoire: «L’existence d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu (…)». Ainsi, le législateur semble vouloir affirmer avec force sa volonté de protéger l’auteur considéré comme une partie faible face à l’employeur. Effectivement, le droit d’auteur français s’étant construit autour d’une vision romantique de l’auteur et de son œuvre, il convenait de créer un régime dans lequel l’auteur, bien que salarié, reste un auteur comme un autre et de facto, titulaire de ses droits. Cette règle s’oppose au droit du travail car comme le rappelle l’auteur C.Caron  il existe en droit du travail un principe fondamental attribuant à l’employeur le profit des fruits du travail de son salarié. Toutefois, selon le même auteur, cette opposition du droit d’auteur au droit du travail s’explique par le fait que le droit de la propriété littéraire et artistique est un droit spécial et que de ce fait, il déroge aux autres droits et de facto, au droit du travail. De plus, la protection du statut d’auteur est d’une part confortée par  le fait  que la qualité d’auteur étant  d’ordre public, on ne peut y déroger par contrat et d’autre part, par les règles de formalisme régissant la cession des droits patrimoniaux (article L131-2 et 3 CPI). Afin de palier ce problème, une cession globale des œuvres des auteurs salariés pourrait être envisagée, toutefois, ce n’est pas sans compter sur la prohibition d’une telle cession par la législateur. S’il existe de rares exceptions à ces règles de formalisme contraignantes (par exemple pour le contrat d’édition), ces atténuation ne soustraient  pas à proprement parler  l’employeur et son auteur aux règles édictées  par le législateur.

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Cependant, certains régimes de droit d’auteur constituent de réelles exceptions  à l’article L111-1 du CPI. Effectivement, pour ce qui est des auteurs de droit privé, les régimes des journalistes et des créateurs de logiciels constituent deux grandes exceptions. Pour ce qui est du régime des journalistes, trois situations sont envisagées pour la cession des droits patrimoniaux des journalistes. Soit l’exploitation de l’œuvre du journaliste ne se fait qu’au sein du même groupe de presse et dans ce cas, aucune cession des droits n’est requise pour que l’employeur puisse publier l’œuvre pendant toute la durée prévue par les accords collectifs et le journaliste ne recevra que son salaire. Soit l’exploitation se fait dans un autre titre de presse mais qui appartient à la même famille de presse et dans ce cas, une cession expresse des droits n’est toujours pas requise mais le salarié aura le droit à une rémunération complémentaire. Enfin, si l’exploitation de l’œuvre se fait en dehors du titre ou du groupe de presse, un retour à la règle posée par le CPI se fait et une cession expresse des droits est requise. Comme il est précisé dans le CPI, la loi n’indique pas la durée de la cession et renvoie pour cela aux accords collectifs ou accords d’entreprise. De ce fait, avec ce renvoi aux accords il est possible de voir l’immixtion grandissante du droit du travail au sein du régime des journalistes salariés comme le fait remarquer C. Caron.

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Le régime de l’auteur de logiciel vient un peu plus ouvrir la brèche dans un principe qui semblait pourtant intangible. Effectivement, ici, ce n’est pas une cession légale qui est présente dans le régime des créateurs de logiciels mais une dévolution légale ce qui est en somme très différent. Ainsi, il est question ici d’un nantissement, d’une cession «forcée».  De plus, les droits moraux du créateur de logiciel semblent «édulcorés» en pratique de ce fait, il exercera surtout son droit à la paternité afin de ne pas entraver le bon commerce des logiciels. De plus,  le créateur de logiciel ne pourra démontrer une atteinte à ses droits moraux que dans le cas où il y aurait atteinte à son honneur et à sa réputation. De ce fait, il semble qu’en raison de sa dimension économique le logiciel, par analogie, est assimilé au régime des inventions salariées et de ce fait, il est possible de se demander si le législateur, implicitement, n’opère pas une distinction entre les œuvres ce qui serait contraire au principe d’indifférence à la destination.

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Comme pour les auteurs salariés de droit privé, il existe une dissociation entre les différents régimes des auteurs de droit public. Jusqu’à la loi du 1er août 2006 , en théorie, l’auteur fonctionnaire bénéficiait du même traitement que les auteurs de droit privé et ainsi, le contrat de travail n’emportait pas de dérogations quant à la jouissance de leurs droits puisque le CPI n’opérait pas de distinction entre les différentes catégories d’auteurs salariés. Toutefois, comme le souligne C. Caron, la jurisprudence administrative avait : «purement et simplement réécrit le texte». Effectivement, l’avis « Ofrateme » du conseil d’état du 21 novembre 1972 a déclaré que l’administration devait être investie des droits d’auteur pour les nécessités du service public et ainsi l’auteur restait titulaire des droits seulement dans le cas où son œuvre était détachable du service public. Toujours selon l’auteur, la loi de 2006 a permis de mettre fin au fondement contra legem sur lequel s’appuyait le Conseil d’État. Effectivement, bien que la lettre de l’article L111-1 du CPI dispose aujourd’hui que: « il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’œuvre de l’esprit est un agent de l’état (…)», ce même article dispose également que le principe peut être remis en cause: «sous réserve des exceptions prévues par le présent Code ». Ainsi, implicitement, la position du Conseil d’État est ici consacrée de façon discrète. De ce fait, les œuvres créées par un agent de l’état dans le cadre de ses fonctions peuvent être cédées automatiquement à l’État dès lors que cette cession est nécessaire à l’activité du service public. De plus, l’auteur fonctionnaire ne peut s’opposer à la modification de son œuvre pour les nécessités du service public et ne peut exercer son droit de repentir ou de retrait. Pour le cas des fonctionnaires indépendants, un retour au principe est effectué et le contrat de travail ici n’emporte aucune conséquences quant à la jouissance des droits.

De ce fait, à la vue de cet article, nous pouvons en déduire qu’il existe différents traitements au sein du régime des salariés de droit public. De plus, le législateur à travers le cas des agents publics soumis à un contrôle préalable de leurs œuvres, admet qu’un rapport hiérarchique peut entraîner la cession des droits de façon automatique, certes ici l’employeur est particulier puisqu’il s’agit de l’Etat et qu’il existe une nécessité de service public mais en théorie, le législateur démontre que contrat de travail a un effet sur l’autorat.

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D’autres exceptions à l’article L111-1 du CPI se retrouvent dans le cas des œuvres plurales. Pour ce qui est des œuvres collectives, la personne physique (mais le plus souvent, la personne morale) a l’initiative d’une telle œuvre est investie par la loi, à titre originaire, des droits sur l’œuvre. Ce régime exceptionnel s’explique par le fait que l’œuvre collective a pour but principal de constituer un palliatif à l’absence de régime de création salariée en effectuant un habile compromis entre les différents acteurs de cette œuvre. Ainsi, les droits patrimoniaux appartiennent à l’investisseur et les contributeurs gardent leurs droits moraux ainsi que leur qualité d’auteur. Toutefois un arrêt du 8 décembre 1993  a accepté de concéder les droits moraux des auteurs à l’investisseur.  De ce fait, à la vue d’une telle solution on peut se demander si l’œuvre collective ne constitue plus un simple palliatif à l’absence d’un régime de l’auteur salarié mais plutôt un fléchissement implicite de la part de la jurisprudence. Toutefois, selon A.Latreille, il ne faut pas oublier qu’une telle œuvre doit rester exceptionnelle. De plus, la nature même de l’œuvre collective semble laisser bon nombre de juristes perplexes. Effectivement, le législateur ayant voulu maintenir sa position jusqu’à créer un certain paradoxe, l’œuvre collective semble être une œuvre sans auteur. Ainsi, si on suit le raisonnement du législateur, les contributeurs sont les auteurs mais l’œuvre est divulguée sous le nom de l’investisseur qui n’est qu’exploitant. De ce fait, l’œuvre collective se retrouve donc « orpheline » au sens commun du terme.  Il est alors possible de se demander s’il n’aurait pas été plus judicieux de créer une fiction juridique reconnaissant la qualité d’auteur à l’investisseur. La multiplication de ces incertitudes liées à l’œuvre collective a mené à la création du rapport Gaudrat de 1999 qui préconise la suppression de l’œuvre collective. Toutefois, si ce palliatif que constitue l’œuvre collective venait à disparaître il faudrait la remplacer en soit par un outil juridique tout aussi complexe… De ce fait, cette œuvre « hybride » semble simplement constituer un rempart face à l’émergence d’un régime de l’auteur salarié en France.

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L’auteur travaillant dans l’audiovisuel est peut-être le parachèvement des exceptions au principe de droit commun. Effectivement, on ne peut dénier les similitudes entre le contrat d’auteur travaillant dans l’audiovisuel et le contrat de travail à proprement parler. Tout d’abord l’œuvre audiovisuelle étant une œuvre de collaboration, elle n’implique normalement aucune titularité originaire des droits au profit du producteur ni de cession automatique de ces mêmes droits. De ce fait, si l’employeur souhaite exploiter les œuvres audiovisuelles de ses salariés, il doit en obtenir les droits par une cession. Toutefois, dans le cas précis de l’œuvre audiovisuelle, il s’agit d’une présomption de cession qui doit tout de même revêtir la forme écrite. De plus, dans un arrêt de la chambre sociale du 3 mars 2004  il a été affirmé  que la présomption de cession des droits d’exploitation découlait du contrat de travail. Solution bien étonnante puisque la présomption des droits née normalement du contrat de production audiovisuelle et non du contrat de travail. Ainsi, on peut en conclure que dans cette espèce, la Cour opère une confusion entre le contrat de travail et le contrat de production audiovisuelle. Enfin, on peut se demander si à la vue du régime des œuvres audiovisuelles l’application du régime de l’œuvre collective n’aurait pas été plus judicieux.

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II – Une possible émergence d’un régime de l’auteur salarié

Le droit d’auteur a aujourd’hui vocation à traverser les frontières et c’est pour cela que des conventions internationales, comme celle de Berne, ont été mises en place afin de pouvoir créer une protection internationale du droit d’auteur. La convention ne mentionne pas l’œuvre salariée, elle renvoie simplement aux droits nationaux. De ce fait, il n’existe pas au sein des législations européennes un régime de l’auteur salarié à proprement parler. De plus, la titularité des droits n’est jamais abordée en tant que telle dans les directives européennes. La jurisprudence européenne se fait aussi rare à ce sujet. Ainsi, on ne peut que déplorer le manque d’intérêt que la jurisprudence, et au sens plus large, le droit européen, porte à la condition de l’auteur salarié.

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Si le droit européen, à l’instar du droit français, ne consacre pas de régime de l’auteur salarié, ce n’est pas le cas des pays anglo-saxons. Effectivement, le copyright américain affirme que l’employeur ou le commanditaire d’une œuvre est considéré comme auteur. Cette affirmation, aux antipodes de notre article L111-1 du CPI, semble créer une fiction juridique dénommée le « works made for hire » qui reste jusqu’alors impossible pour ce qui est du droit français. Toutefois, cette conception américaine du droit d’auteur ne semble pas si éloignée de l’œuvre collective ou de l’œuvre de logiciel. En effet, pour ces œuvres, la titularité des droits patrimoniaux (et quelques fois celle des droits moraux) est reconnue à l’employeur. On peut ainsi se demander s’il existe un réel empêchement à ce que le législateur reconnaisse la qualité d’auteur à l’employeur.

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Au carrefour de la vision française et américaine, se trouve le copyright anglais. Effectivement, empreint de sa tradition anglo-saxonne et de ses influences continentales, l’Angleterre a institué un régime alliant à la fois le radicalisme de copyright américain et la protection de l’auteur à la française. Pour le cas de l’Angleterre, l’option de la dévolution légale des droits à l’employeur a été retenue dès lors que l’œuvre est conçue dans le cadre d’un contrat de travail. Cette solution pourrait constituer un habile compromis pour le législateur français et permettrait de mettre fin à la surmultiplication des exceptions à l’article L111-1 du CPI. Toutefois au lendemain du Brexit, on peut craindre que le droit anglais se libère du droit européen pour se rapprocher du copyright américain.

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Enfin, dans le cas où le législateur suivrait les exemples anglo-saxons, on peut s’interroger sur les conséquences qu’aurait l’émergence d’un régime de l’auteur salarié en France. Effectivement, le principe de la cession des droits serait sensiblement différent. Plusieurs solutions ont été envisagées par la doctrine : soit la cession globale des œuvres serait permise et dans ce cas la cession serait plus aisée, soit il faudrait envisager de transférer le régime des inventions de mission à la propriété littéraire et artistique. Enfin, comme le propose l’auteur Caron, il serait également tout simplement possible de déclarer que l’article L111-1 du CPI ne soit pas applicable aux auteurs salariés.

De façon plus radicale, il serait possible d’envisager de se tourner vers le régime du copyright anglo-saxon et admettre que l’employeur est le titulaire initial des droits ou bien de généraliser tout simplement le régime applicable aux auteurs travaillant dans l’audiovisuel. Au regard de ces différentes propositions doctrinales il est possible d’en déduire que le contrat de travail emporte bien des conséquences quant à l’autorat.

Enfin, dès lors qu’un régime de l’auteur salarié serait créé en France, il conviendrait de s’interroger sur le fait de concilier les principes du droit du travail et ceux de la propriété intellectuelle.

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Dès l’origine il existe un véritable antagonisme entre le travail et la création et de facto entre le droit du travail et le droit d’auteur. Effectivement, le droit du travail s’étant construit autour d’une idée de subordination entre le salarié et son employeur on voit mal comment une possible articulation avec le droit d’auteur pourrait exister, lui qui revendique et consacre la liberté de création.  Effectivement, en droit du travail il est affirmé que le fruit du travail du salarié appartient à l’employeur. A cet égard, si on venait à appliquer le droit du travail à la création, cela reviendrait à une cession automatique de l’œuvre à l’employeur et de facto des droits qui lui sont attachés.

De plus, cette cession relève en droit du travail du seul contrat de travail alors que le droit d’auteur exige le plus souvent une cession expresse. De ce fait, le droit du travail s’oppose radicalement au principe de spécialité propre au droit d’auteur. Il est donc possible de voir qu’en l’état actuel de notre droit positif, l’émergence d’un régime de l’auteur salarié semble impossible en raison des règles du droit d’auteur qui paraissent faire rempart contre une possible immixtion de l’employeur dans les droits de son salarié

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Enfin, il convient de rappeler que le droit d’auteur s’oppose à ce que l’auteur soit une personne morale or l’employeur étant souvent une personne morale ledit employeur ne peut être considéré comme auteur. Cependant, avec la possible création d’un régime de l’auteur salarié à l’image du copyright américain, la qualité d’auteur pourrait être reconnue à l’employeur qui pourrait être une entreprise donc une personne morale. Toutefois, reconnaître la qualité d’auteur à l’entreprise entraînerait peut être la cession implicite des droits moraux à l’employeur ce qui entacherait l’inaliénabilité des droits moraux tant chérie par le législateur Français. De plus, si on pousse l’analyse un peu plus loin certains auteurs affirment aujourd’hui qu’il est possible de déceler l’empreinte de la personnalité d’une entreprise dans une œuvre. Cette réforme chimérique entraînerait inéluctablement une refonte totale de notre droit d’auteur actuel qui ne semble pas être à l’ordre du jour pour le moment.

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Le législateur français s’obstinant à refuser de couper définitivement le cordon ombilical entre l’auteur et son œuvre, le création d’un véritable régime des auteurs salariés en France demeure impossible. On ne peut que déplorer un manque de cohérence entre les divers régimes, ce qui  renforce l’insécurité juridique. Effectivement, plus un principe se voit opposer des exceptions, plus sa force diminue. Ainsi, il semblerait plus approprié de créer un véritable régime de l’auteur salarié plutôt que de sur-multiplier les exceptions. Enfin, il est possible de se demander si le refus persistant du législateur de fonder un tel régime n’aurait pas pour seule source les conflits d’exploitation qui, comme l’affirme l’auteur Lantz, prennent des questions théoriques en otage.

Emeline Goumidi

1ère année Master IP/IT

MasterIPIT