Qu’il s’agisse d’une idée passagère ou d’une véritable réflexion, on a tous au moins une fois pensé à marquer son corps d’un tatouage. Au fil des siècles, le tatouage a subi de nombreuses évolutions, il est passé d’une marque d’appartenance à un réel effet de mode. Il a conquis le cœur de plus en plus de personnes adeptes de cet art corporel. Le tatouage est le fruit d’une longue réflexion, que ce soit pour le choix du motif, des couleurs, de l’emplacement voire du tatoueur, mais cette réflexion n’est guère tournée vers le droit d’auteur. Pourtant un tatouage comme tout autre art qui est susceptible d’être une œuvre protégée par le droit d’auteur, pose des questions juridiques. En l’espèce, il s’agit de savoir comment le droit d’auteur peut inclure et protéger efficacement un tatouage alors même que celui-ci est contraint par un support particulier. En effet il est difficile de faire un juste équilibre entre la protection d’une œuvre et la protection du corps humain.
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I – Une inclusion des œuvres de tatouage dans les œuvres protégeables
Le droit d’auteur protège toutes les œuvres à partir du moment où il s’agit d’une création de forme et qu’elle a une originalité. Une fois ces critères remplis les droits naissent du seul fait de la création. Le tatouage n’est pas exempt de remplir ces conditions.
Le tatouage doit donc être une création de forme, les idées doivent être formalisées, ce qui sera souvent le fait du tatoueur, qui est un expert du dessin. Ainsi la plupart du temps, le tatoueur est l’auteur de l’œuvre. Pour autant, il est tout à fait possible d’envisager qu’un client apporte une idée déjà formalisée, et que l’ajout du travail du tatoueur permette à tous les deux d’obtenir la qualification d’auteur. Ils seront donc co-auteur de l’œuvre, et l’œuvre sera plurale. Voire même, le tatoué peut apporter un motif ne méritant aucune modification et être considéré seul auteur, mais cela reste assez rare en pratique (Nous n’avons pas tous ce talent malheureusement !). La protection offerte par le droit d’auteur n’exclut en rien le cumul avec la protection offerte par le droit des dessins et modèles. En effet, la théorie de l’unité de l’art permet ce cumul. Il est également envisageable que le motif ne remplisse que les conditions du droit des dessins et modèles sans pouvoir accéder à la protection par le droit d’auteur.
Le tatouage est matérialisé sur un support spécifique, il passe d’un dessin papier à un dessin corporel. L’œuvre sur la peau ne serait donc qu’une reproduction du motif qui avait été préalablement apposé sur du papier. Le droit d’auteur est indifférent au support de l’œuvre, pour autant, ici, il s’agit d’un support particulier : le corps humain. Ce support est protégé par une législation importante, comme l’inviolabilité et l’indisponibilité du corps humain, le droit de disposer de son corps, la dignité humaine…
La confrontation de la protection de l’œuvre par le droit d’auteur et du support par ces droits peut s’avérer problématique.
La condition de l’originalité peut être plus complexe. L’œuvre doit être originale et dans la majorité des cas c’est le tatoueur qui y apporte l’originalité nécessaire à la protection par le droit d’auteur. Parfois l’œuvre peut être plurale car autant le tatoué que le tatoueur ont apporté une contribution originale à l’œuvre. Dans tous les cas, l’accès au droit d’auteur nécessite une originalité mais parfois cela est complexe, notamment en cas de reprise d’une œuvre existante qui n’est pas encore tombé dans le domaine public (70 ans après la mort de l’auteur). Aussi étonnant que cela puisse paraître (ou pas), le personnage le plus emblématique de Disney – Mickey – n’est pas encore tombé dans le domaine public. Ces œuvres ne peuvent être reprises sans l’accord de l’auteur. Pourtant en pratique, de manière inconsciente, bon nombre de tatoueurs reproduisent tant bien que mal la souris la plus mondialement connue.
Une autre qualification peut être acceptable, celle de l’œuvre composite c’est le cas si un tatoueur incorpore une œuvre préexistante à une œuvre nouvelle.
Néanmoins en cas de manquement ou de refus de la part de l’auteur, le délit de contrefaçon peut être envisagé.
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II – Une application particulière des prérogatives du droit d’auteur pour un support tout aussi particulier
Le droit d’auteur est composé de prérogatives patrimoniales et extra-patrimoniales, la particularité du support influencera tout autant les unes que les autres, pour rendre leurs applications particulières et adaptées au support.
En principe, le droit d’auteur est indifférent au support, mais en l’espèce il faut tenir compte de ce support face à l’aspect économique des prérogatives patrimoniales. L’opposition est dressée avec les libertés fondamentales protégeant le corps. Le corps humain est hors commerce il est donc difficile de le contractualiser. Les prérogatives en elles-mêmes peuvent légitimement faire l’objet d’une contractualisation car l’œuvre est incorporelle, néanmoins cela semble indirectement conférer une valeur patrimoniale au corps. Or si l’auteur est le tatoueur il semble assez utile que le tatoué se fasse céder le monopole d’exploitation, afin notamment de pouvoir disposer de son corps comme bon lui semble. Le prix du tatouage ne peut correspondre à une cession implicite. Les contrats peuvent également porter sur l’exercice des prérogatives patrimoniales. Par exemple, un suisse est devenu célèbre pour l’achat par un acquéreur de l’œuvre de tatouage sur son dos pour la modique somme de 15 000 euros. De plus, il doit être à la disposition de l’acquéreur plusieurs fois par an. A priori, le contrat semble valable néanmoins il ne sera probablement pas possible pour l’acquéreur de récupérer le morceau de peau afin de le conserver car cela contribuerait à donner une valeur patrimoniale au corps. Cette pratique est illégale.
Plus précisément pour les prérogatives patrimoniales, le droit de représentation et de reproduction seront limités partiellement à cause du support, quant au droit de suite il sera totalement paralysé. S’agissant des droits de reproduction et de représentation, le fait de reproduire le motif en lui-même pose peu de problème, par exemple en cas de reproduction du motif sur une pochette de CD, le droit d’auteur pourra s’appliquer normalement. La question reste plus sensible quand il s’agira par exemple, de photographier le corps d’un tatoué sans l’autorisation de l’auteur (reproduction d’une reproduction). Pour cela, la Cour d’appel[1] a donné une solution permettant d’autoriser la reproduction (sans l’accord de l’auteur) à partir du moment où le tatouage apparaît de manière accessoire. Ainsi, on ne peut interdire à une personne de montrer son tatouage car il s’agit de son corps, sauf si le but principal est justement ce tatouage surtout si un but commercial est présent.
S’agissant du droit de suite, celui-ci s’applique aux ventes, le corps étant hors commerce, il semble difficile de concevoir que l’œuvre de tatouage, dont le support est l’être humain, puisse être vendu. Cela reviendrait à pouvoir vendre le corps, qui plus est, si l’auteur n’est pas celui qui porte le tatouage, cela reviendrait à vendre le corps d’un autre.
Contrairement aux droits patrimoniaux, les droits moraux sont perpétuels et inaliénables, ce qui est encore plus conflictuel, car les prérogatives ne sont pas adaptées au cas particulier d’une œuvre de tatouage. L’application des droits moraux est limitée quand cela touche l’œuvre sur son support corporel. En effet, c’est la fixation de l’œuvre sur le corps qui rend laborieuse l’application des prérogatives et non sur l’œuvre incorporelle elle-même. Cependant, il faut nuancer car parfois celles-ci sont applicables.
Le droit moral est composé de quatre prérogatives qui sont le droit de divulgation, le droit de retrait et de repentir, le droit de paternité et le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre. Certaines de ces prérogatives sont quasi-inutilisables pour l’œuvre de tatouage (surtout si l’auteur du tatouage n’est pas le tatoué).
S’agissant du droit de divulgation, imaginez-vous que votre tatoueur vous impose de cacher votre tatouage jusqu’au jour où il décidera de révéler son œuvre au public ? Cela semble inconcevable car ceci irait à l’encontre de votre droit de disposer de votre corps. Pour autant, si vous consentez à le faire, la prérogative est tout à fait exploitable. Cela sera souvent possible si le tatouage est dans des zones pouvant être facilement couvertes comme les jambes.
Pour l’exercice du droit de retrait et de repentir, après avoir souffert des heures pour faire votre tatouage, l’auteur (le tatoueur) décide du jour au lendemain de revenir sur ses engagements. Le tatouage n’est pas éphémère, a priori, il n’est pas possible de vous obliger à l’enlever contre votre gré.
Concernant le droit de paternité, cette prérogative aussi semble quasi-inutilisable. A priori, l’auteur ne devrait pas avoir besoin d’obtenir l’accord de signer son œuvre. Néanmoins, il s’agit du corps d’autrui, on ne peut donc imposer la signature de l’auteur et peu de tatoués l’accepteront (à moins que celle-ci soit incorporée discrètement dans le motif)
Enfin, pour le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, cette question peut se poser tout simplement si le tatoué, grossit, vieillit, se muscle voire si après une opération, une cicatrice est présente sur le tatouage. Avant de se faire un tatouage, on ne pense pas au fait qu’on ne pourra plus faire ce qu’on veut de notre corps. On peut donc légitimement supposer qu’un auteur ne puisse interdire à un tatoué de faire du sport, de prendre des kilos ou même tout naturellement de vieillir. Pour autant, il est possible d’appliquer cette prérogative en cas de volonté réelle de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre comme en dégradant volontairement le tatouage ou même porter atteinte à l’esprit de l’œuvre. Par exemple, si une personne se fait un tatouage concernant la lutte contre la maltraitance des animaux, mais qu’ensuite une photographie avec le tatouage apparent est publiée dans une revue vantant les mérites de la fourrure, c’est contraire à l’esprit de l’œuvre.
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Une question importante subsiste, si demain votre tatouage vous insupporte à tel point que vous décidez de recourir aux techniques modernes d’effacement du tatouage, l’auteur pourra-t-il affirmer que vous portez atteinte à son œuvre ? L’intérêt de l’auteur et votre intérêt s’opposent, un droit de propriété face à la libre disposition de son corps. A mon humble avis, un juge ne retiendra pas l’atteinte au droit d’auteur, car l’effacement du tatouage ne fait pas disparaître l’œuvre en elle-même (l’œuvre est incorporelle) qui sera encore présente sur le papier alors qu’empêcher une personne d’effacer son tatouage représente une plus grande contrainte. Surtout, si le tatoué ne demande pas l’autorisation, lorsque le tatoueur s’en rendra compte il sera sûrement trop tard, à part obtenir des dommages-intérêts, le juge ne pourra pas obliger le tatoué à se refaire tatouer l’œuvre.
Le droit moral semble quasi-inutilisable ou alors conditionné au consentement du tatoué. Bien évidemment, le droit moral n’est paralysé que lorsqu’il s’agit d’exercer une prérogative vis-à-vis de l’œuvre quand elle est présente sur la peau et non de l’œuvre incorporelle en elle-même. S’il s’agit d’exercer son droit moral vis-à-vis d’une reproduction autre que celle corporelle, le droit sur le corps n’entre plus en jeu et le droit moral retrouve sa pleine effectivité
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Conclusion :
Il est incontestable que le tatouage constitue une œuvre protégeable par le droit d’auteur, bien que sa protection se heurte à la protection de son support. Le droit d’auteur est en principe indifférent au support, mais l’œuvre de tatouage, par son support particulier, oblige ce droit à en tenir en compte.
Pour autant, les prérogatives accordées à l’auteur, se suffisent à elles-mêmes. En effet, le vide juridique n’existe pas, et donc le besoin de créer un droit sui generis ne se fait pas ressentir. Les prérogatives doivent juste s’adapter à la nature particulière de l’œuvre, ce qui constitue le travail du juge. Aujourd’hui, tout semble assez hypothétique, car la théorie est difficile à appliquer à la pratique étant donné le peu d’affaires présentes sur ce sujet.
Cependant, la démocratisation du tatouage devrait augmenter le nombre de litiges. A moins que les tatoueurs, en choisissant ce métier, et ce support si particulier, se résignent en connaissance de cause, à obtenir une protection effective.
Alison Legros
1ère année Master IP/IT
[1] CA Paris, 3 juillet 1998, 1998-022806