[Mon Mémoire en 3 pages] La protection du street art par le droit d’auteur – Bérénice Moreau

« Si j’ai peint dans la rue, c’est tout d’abord parce que je voulais être libre » – M. Hobz [1]

Les oiseaux, par monsieur Hobz (Beaugency, France, 2015)

Par ces mots, M. Hobz, graffeur et adepte du street art nous témoigne de son désir de liberté lorsqu’il œuvre dans l’espace public. L’expression de liberté peut être interprétée comme l’envie pour l’artiste de s’affranchir d’un cadre et de règles et ainsi de créer sans contrainte. Or, si le street art peut se manifester par la recherche de liberté, il faut néanmoins ne pas occulter l’encadrement juridique dont ce mouvement fait l’objet.

Le street art peut se traduire par « art urbain », expression qui désigne les fresques murales, les tags et les graffitis. Le street art dans sa manifestation contemporaine apparait véritablement dans les années 1960 [2], prend de l’ampleur dans les années 1970 avec la vente de la bombe aérosol dans les commerces, puis s’exporte en France dans les années 1980, avec la médiatisation de la culture Hip Hop.

La particularité de ce mouvement réside en ce que le street art, par définition, est un art qui est ouvert sur la rue. Cet art est donc, en principe, gratuit et accessible à tous. Il est également souvent illégal. Traditionnellement, l’artiste œuvrait de manière clandestine et en violation du droit. De ce fait, le street art a été initialement appréhendé par le droit pénal et perçu comme un art transgressif et sanctionné par l’article L. 322-1 du Code pénal.

Il semble opportun de se pencher sur ce qui fait la particularité du street art : l’illégalité, son opposition avec le droit, ainsi que son caractère éphémère qui va avoir des conséquences sur la mise en œuvre de sa protection par le droit d’auteur.

 

La reconnaissance d’un droit d’auteur aux œuvres transgressives de street art

 

Les œuvres de street art peuvent répondre aisément aux conditions de protection du droit d’auteur : elles présentent une forme, laquelle peut être originale. En outre, le caractère éphémère de l’œuvre de street art ne fait pas obstacle à sa protection puisque, la protection par le droit d’auteur des œuvres éphémères est admise [3].

Or, se pose la question de la reconnaissance d’un droit d’auteur pour une œuvre illégale. Le caractère illégal du mouvement du street art s’oppose-t-il à la reconnaissance de la protection par le droit d’auteur d’une œuvre transgressive ? Le Code de la propriété intellectuelle est silencieux sur ce point. Certains auteurs ont vu dans une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation l’exigence d’une licéité de l’œuvre comme condition d’accès à la protection par le droit d’auteur.

Toutefois, selon le professeur Nathalie Blanc il conviendrait de distinguer l’illicéité de l’œuvrel’illicéité interne – et l’illicéité du contexte dans lequel l’œuvre est crééel’illicéité externe[4]. Selon elle, la Cour de cassation faisait référence à une illicéité interne de l’œuvre laquelle ferait barrage à la protection par le droit d’auteur. Pour ce qui est du street art, elle relève que l’illicéité paraît externe. Ce n’est pas son contenu qui est illicite, mais la façon dont l’œuvre est réalisée, sans l’autorisation du propriétaire du support de l’œuvre et en violation de certaines dispositions du Code pénal. Par conséquent, l’œuvre de street art est protégeable par le droit d’auteur en dépit de son caractère transgressif. A titre d’illustration, le Tribunal de grande instance de Paris a même admis qu’une mosaïque réalisée par des squatteurs puisse être qualifiée d’œuvre de l’esprit. [5]

L’œuvre de street art est apposée sur des murs, des panneaux, des rames de métro : sur des supports qui le plus souvent n’appartiennent pas à l’artiste. Ainsi, se pose la question de savoir à qui appartiennent les œuvres de street art ? Appartiennent-elles à leur créateur ou alors reviennent-elles au propriétaire du support de l’œuvre ?

Le Code de la propriété intellectuelle distingue la propriété immatérielle de l’œuvre de l’esprit et la propriété du support matériel de l’œuvre. De cette manière, le propriétaire des murs sur lesquels est apposée l’œuvre de street art, ne serait pas titulaire des droits d’auteur sur cette œuvre. Il n’y aurait donc pas d’abdication des droits de l’auteur du fait de la réalisation de son œuvre dans la rue. [6] En théorie, le graffeur se verrait ainsi reconnaître les droits d’auteur sur l’œuvre de l’esprit qu’il a créée et ce, en dépit du droit de propriété du propriétaire du support de l’œuvre.

 

La difficile protection des œuvres de street art

 

L’œuvre de street art, du fait de son support et de sa localisation dans la rue, est en interaction avec de nombreux acteurs. Le street artist doit tenir compte des œuvres préexistantes lorsqu’il crée, autrement celui-ci risque d’être sanctionné pour contrefaçon.

Le caractère éphémère de l’œuvre a des conséquences sur sa protection et peut constituer un obstacle à la mise en œuvre des droits d’auteur. L’œuvre de street art doit son caractère éphémère à son illégalité et à son exposition au public. Exposée à ciel ouvert, l’œuvre va subir les aléas météorologiques, les actes de détérioration, volontaires ou non des passants. Il est également fréquent que les œuvres de street art soient volées. Le caractère éphémère va donc poser des problèmes probatoires : il est difficile de prouver l’existence d’une œuvre disparue.

En outre, du fait de son exposition publique, l’œuvre va se voir opposer deux exceptions jurisprudentielles. En vertu de la théorie de l’accessoire [7], la reproduction à titre secondaire et accessoire d’une œuvre visible sur la voie publique ou visible depuis celle-ci, échappe à cette autorisation. L’exception d’inclusion fortuite [8] peut également s’appliquer lorsque la reproduction de l’œuvre de street art n’est pas volontaire. Par conséquent, dans ces deux cas, il ne sera pas nécessaire de demander une autorisation et les droits patrimoniaux du street artiste sont considérablement limités.

Le recours fréquent à l’anonymat et au pseudonymat est également un obstacle pratique à la mise en œuvre de la protection par le droit d’auteur. En effet, il faut mener d’importantes recherches pour connaître la véritable identité de l’artiste et ainsi lui demander l’autorisation d’exploiter son œuvre. Si cette tâche s’avère trop difficile, l’autorisation d’exploiter ne sera pas demandée et l’œuvre sera contrefaite.

Mais surtout, l’obstacle le plus important à la protection des œuvres de street art, est le propriétaire du support de l’œuvre, qui peut la détruire. Le propriétaire a son mot à dire sur le devenir de l’œuvre et peut la supprimer si elle porte atteinte à la jouissance de son droit de propriété [9]. Le dernier mot appartient donc au propriétaire du support. Toutefois, le juge, conscient de la valeur artistique des œuvres de street art, offre parfois un délai afin que l’artiste puisse récupérer son œuvre. En ce sens, les juges ont, dans une décision du 13 octobre 2000 [10], accordé à des squatteurs un délai de deux mois pour que les artistes puissent retirer leur mosaïque.

On peut s’interroger sur l’opportunité d’offrir une protection juridique à l’œuvre de street art. La démarche traditionnelle du street artist est une démarche gratuite et désintéressée, et il peut paraître paradoxal d’offrir un droit d’auteur à une œuvre s’inscrivant dans un mouvement contestataire qui ne se soucie que peu du droit.

Toutefois, le mouvement de street art a beaucoup évolué. Le marché de l’art entraîne une spéculation sur certaines œuvres et les grandes galeries d’art ouvrent leur porte à l’art urbain et aux graffeurs. Le street art perd sa dimension illégale et s’institutionnalise. Le droit moral, est un outil qui permet aux street artistes de garder la mainmise sur leurs œuvres et d’éviter qu’elles deviennent des objets publicitaires monétisés. Cette protection par le droit d’auteur permet donc de répondre à la marchandisation des œuvres de street art.

 

Bérénice MOREAU

 


 

[1] Propos recueillis lors d’un entretien téléphonique avec le street artiste Mr Hobz, le 28 mars 2020

[2] CLERGET Patrick, Réconcilier le Street Art et le Droit, mémoire de Master 2 Droit du Patrimoine Culturel, sous la direction de Géraldine Goffaux-Callebault, 2015/2016, p. 5

[3] TGI Laval, 16 février 2009, Propr. Intell. 2009, p. 260 obs. J.-M. Bruguière, pour des sculptures en chocolat

[4] Nathalie BLANC, « Art subversif et droit d’auteur : le Street Art peut-il être protégé par le droit d’auteur’, G. Goffaux Callebaut, D. Guével, J-B SEUBE (dir) dans Droit(s) et Street Art, De la transgression à l’artification, LGDJ, 2017 p. 66

[5] TGI Paris, 13 oct. 2000, RIDA, janv. 2003, p. 378, Comm. Com. Electr. 2002, n°10, comm. 126, obs. Ch. Caron ;

[6] Nathalie BLANC, « Art subversif et droit d’auteur : le Street Art peut-il être protégé par le droit d’auteur », G. Goffaux Callebaut, D. Guével, J-B SEUBE (dir) dans Droit(s) et Street Art, De la transgression à l’artification, LGDJ, 2017 p. 67

[7] Cass. 1re civ., 15 mars 2005, Bull. I, n° 134, D., 2005, p. 1645, obs. P. ALLAEYS, D., 2005, p. 1026, obs. J. DALEAU, RTD Com., 2005, p. 306, obs. F. POLLAUD-DULIAN, CCE, n° 5, mai 2005, comm. 78, noteC.CARON,JCP,n°23,8juin2005.II.10 072,noteT.LANCRENON,RLDA, n° 82, mai 2005, p. 35, obs. L. COSTES, RLDI, n° 4, avr. 2005, p. 14, obs. L. COSTES. 8

[8] Civ. 1re, 12 mai 2011 : D. 2011.AJ 1409, obs. Daleau; D.2011.1875,noteCastets-Renard;RTD com. 2011. 553, obs. Pollaud-Dulian ; CEE 2011, n° 62, note Caron ; JCP 2011. 814, note Vivant ; Légipresse 2011. III. 627, note Renault ; RIDA juill. 2011, p. 341, note Sirinelli.

[9] GUEVEL Didier, « Banksy : à qui appartiennent les œuvres de Street Art ? » dans La question du jour, France Culture, le 05/09/2019

[10] TGI Paris, 13 oct. 2000, RIDA, janv. 2003, p. 378, Comm. Com. Electr. 2002, n°10, comm. 126, obs. Ch. Caron ; Adde CA Paris, 27 sept. 2006, Légipresse 2007, III, p. 84 et s., note B. Gleize.

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