[MON MÉMOIRE EN 3 PAGES] LES OEUVRES CHORÉGRAPHIQUES : LA PROTECTION ACCORDÉE AUX OEUVRES CHORÉGRAPHIQUES EST-ELLE EFFICACE ?

Pour reprendre les mots de M. Friedrich Nietzsche « Danses avec les pieds, avec les idées, avec les mots, et dois-je aussi ajouter que l’on doit être capable de danser avec la plume ? ». Le législateur, à l’instar d’une danseuse se doit d’être agile avec les règles qu’il souhaite appliquer à cet art si populaire. S’entreprend une valse effrénée entre le législateur et sa plume où chaque faux pas aura des conséquences directes sur la protection accordée aux chorégraphies.

Mais qu’est-ce qu’une chorégraphie ? On pourrait être tenté de dire qu’il y a autant de définitions de la chorégraphie que de chorégraphes, cependant ils s’accordent pour dire que la chorégraphie est l’enchaînement de mouvements rythmés du corps. Il semble évident que cet art soit régi par le droit de la propriété intellectuelle.

Comme toute création, pour qu’une chorégraphie obtienne la qualification d’œuvre, elle doit répondre aux deux conditions posées par la jurisprudence à savoir une originalité et une mise en forme. L’originalité est définie par Mousseron comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur, en danse cette empreinte se manifeste par le style pour lequel opte chaque chorégraphe. S’agissant de la mise en forme, cette dernière impose que la création soit perceptible par les sens qui dans le cadre de la chorégraphie se manifeste par la vue.

Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que les chorégraphies sont par principe des œuvres de l’esprit. C’est ce que dispose l’article L 112-2 4° du CPI qui prévoit que « sont considérés notamment comme des œuvres de l’esprit au sens du présent code : les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement ». A la lecture de cet article, une condition supplémentaire semble s’imposer : la mise en œuvre de la chorégraphie doit être fixée sur un support quelconque. Se pose alors la question de savoir s’il s’agit d’une condition de validité ou de preuve ?

La doctrine et la jurisprudence s’accordent sur ce point et affirment qu’il s’agit d’une condition de preuve et non de validité. En d’autres termes, la danse sera protégée par les droits d’auteur si elle est originale et mise en forme mais, le chorégraphe ne pourra mettre en œuvre les droits d’auteur dont il bénéficie que s’il a fixé sa chorégraphie sur un support. Ce dernier peut être de tout type, il peut s’agir par exemple d’un écrit ou d’un vidéogramme. Ces deux méthodes sont très pratiquées, il n’est pas rare en effet de voir un chorégraphe recopier sa chorégraphie sur un cahier ou bien filmer cette dernière une fois une partie ou la chorégraphie entière terminée.

On voit alors une limite se dresser, le chorégraphe ne pourra mettre en œuvre ces droits d’auteur et donc par la même occasion défendre son œuvre que si cette dernière est fixée sur un support. La mise en œuvre des droits d’auteur est subordonnée, dépendante de cette fixation, ce qui est contraire à l’esprit même du droit d’auteur, qui naît du seul fait de la création puisqu’on fait dépendre la protection de la danse à une fixation. Si cette pratique est contraire à l’esprit du droit d’auteur, elle s’impose de facto du fait de la nature éphémère de la chorégraphie. La danse existe lors d’une représentation, vit à travers les danseurs puis disparaît aussitôt la représentation finie avant de renaître lors d’une autre représentation.

Dès lors, comment un chorégraphe peut-il revendiquer des droits sur une œuvre qui a vocation à disparaître ? Comment peut-il prouver qu’un tiers a plagié sa danse s’il ne peut même pas prouver l’existence de sa propre chorégraphie ? Il paraît inconcevable de limiter la liberté de création des chorégraphes en faveur de celle d’un autre. Mais d’un autre côté, le chorégraphe a le droit comme n’importe quel auteur  de voir son œuvre protégée.

L’adage « Non jus deficit sed probiatio » prend ici tout son sens, il peut se traduire par « ce n’est pas le droit qui est défaillant, mais la preuve ». Bien que les droits d’auteur existent, ils sont limités par la preuve de ces derniers. Si cette exigence de fixation relève uniquement de l’ordre probatoire, tel n’est pas le cas en matière de copyright. Le droit américain prévoit que ne peuvent bénéficier de la protection, les œuvres « fixées sous une forme tangible d’expression ». Cette affirmation est à tempérer par l’adhésion des pays anglo-saxons à la Convention de Berne.

Du fait de l’exigence de fixation, certaines chorégraphies échappent de facto à la protection par le droit d’auteur car ne pouvant pas être fixées. C’est le cas par exemple des danses sur l’application TikTok. Ce réseau social très populaire permet de reproduire des danses souvent nommées challenges, on peut prendre l’exemple du fameux renegade qui bien que n’étant pas protégé par le droit d’auteur a permis du fait de sa popularité à son « créateur »  d’obtenir  de la visibilité et des partenariats pouvant s’interpréter comme une sorte de compensations financières. Cette compensation s’explique par le fait que le créateur perd peu à peu l’usage de son œuvre puisqu’il ne peut pas empêcher les Tiktokeurs de reproduire sa danse.

Mais qu’en est-il des « petits créateurs », ceux qui restent dans l’ombre et qui en plus ne bénéficient d’aucune protection et voient leurs œuvres leur échapper sans aucune contrepartie ? Il est également possible qu’une personne plus populaire vole la chorégraphie d’un autre qui l’est moins, dans ce cas-là quels sont les recours possibles ? La réponse est alarmante, aucun puisque le droit d’auteur ne s’applique pas, on constate ici que les évolutions technologiques portent atteinte à la protection des œuvres chorégraphies déjà fragiles.

Cette solution bien que portant atteinte au droit d’auteur semble justifiée par un intérêt économique. Si vous écrivez dans la barre de recherche « redvelvet challenge TikTok » vous tombez sur une danse qui correspond trait pour trait à la chorégraphie du groupe de Kpop RedVelvet sur son titre « Russian Roulette ». Seule, diffère la musique qui n’est pas celle du groupe. La Corée du Sud applique le Copyright et encourage ce phénomène. La reproduction des danses par le plus grand nombre d’abonnés permet d’engendrer des bénéfices importants pour les industries au détriment de la protection de la danse.

A ces difficultés technologiques, vient s’ajouter ponctuellement la question des artistes interprètes que sont les danseurs, qui exécutent et les notateurs, qui reproduisent la danse sur un support généralement papier. Si par principe, ils ne doivent pas porter atteinte aux droits d’auteur, il peut arriver dans des hypothèses très marginales que ce soit le cas notamment lorsqu’ils se trompent en exécutant ou en recopiant la chorégraphie. La chorégraphie se trouve alors dénaturée, cependant pour que les erreurs puissent porter atteinte au chorégraphe il faut que ces dernières soient grossières. Il ne fait aucun doute quant à l’extrême rigueur dont font preuve les professionnels du monde de la danse. Cette rigueur permet d’échapper à des hypothèses qui seraient désastreuses pour les chorégraphes puisqu’elles les priveraient d’une protection efficace. Le peu de jurisprudence en la matière témoigne d’un système qui fonctionne bien.

A la question de savoir si la protection des œuvres chorégraphiques est efficace, la réponse est partagée. D’un côté le législateur n’a pas d’autres choix que d’exiger une fixation sur un support pour prouver la danse, bien que cela soit contraire à l’esprit du droit d’auteur et de l’autre côté il veut encourager la liberté de création. Le législateur se retrouve dans une valse avec 2 partenaires qu’il doit diriger avec rigueur pour ne pas que l’un empiète sur l’autre. Et vous ? Leur accordez-vous cette danse ?

Laurine Deschampt

 

Sources : 

  • CARON (C.), Droit d’auteur et droits voisins, LexisNexis, 2020, 6e édition
  • CARON (C.), « La  forme de l’œuvre doit être prouvée ! », CCE, LexisNexis, 2004
  • GROFFE (J.) et BENSAMOUNE (A.), « Objet du droit d’auteur – Œuvres protégées. Notion d’œuvre », JCP, 2019
  • PCS AVOCAT, « TikTok & Propriété intellectuelle : Contenus musicaux face au droit d’auteur », PCS Avocats droits des affaires & Nouvelles technologies [en ligne], publié le 26 août 2020, [consulté le 4 mars 2021] https://www.pcs-avocat.com
  • S (I.), « Qu’en est-il du droit d’auteur sur TikTok ? », Agence des médias sociaux [en ligne], publié le 11 mars 2020, [consulté le 5 mars 2021], https://www.agencedesmediassociaux.com
  • VINANT (A.) « Le danseur, interprète et/ou auteur ?», OpenEditionJournals [en ligne], publié en 2014, [consulté le 10 mars 2021], https://journals.openedition.org

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