[Mon mémoire en 3 pages] – Rémunération des artistes dans le streaming musical : rééquilibrons les balances – Pierre-Yves Thomé

L’été. Alors que le soleil a depuis quelques heures commencé sa course dans un ciel azur, vous décidez de profiter du temps radieux pour faire une promenade et déambuler dans les rues. Mais cela, vous ne le faites bien sûr pas sans votre casque. Pas question de passer une minute dehors sans avoir une mélodie pour vous occuper l’esprit. Profiter d’une matinée estivale, c’est bien. Le faire en musique, c’est mieux ! D’autant plus que, votre smartphone possédant une appli de streaming musical, les choix d’écoute sont quasi illimités.

Et zou! Vous sortez et lancez tout de go une playlist proposée par hasard. Alors que vous marchez au rythme de la mélodie, vous croisez au coin de la rue un musicien jouant avec une virtuosité quelque peu questionnable. Devant lui, un béret encore bien vide qu’il espère sans doute remplir d’ici midi.

Entrainé par le son de votre casque, vous n’accordez que peu d’importance au troubadour. Quelques minutes plus tard néanmoins vous vient une question. Si lorsqu’il joue, cet artiste de rue peut parfois récolter quelques pièces, comment sont rémunérés ceux que vous écoutez en streaming ? Cette interrogation trotte dans votre tête, intriguant le juriste tout autant que le mélomane. Vous décidez finalement de rentrer chez vous pour vous lancer dans quelques recherches, en commençant par le commencement : Qu’est-ce que le streaming ?

Le streaming se définit comme la lecture d’un flux audio ou vidéo au fur et à mesure de sa diffusion. Il est à opposer au téléchargement, qui ne permet la lecture du contenu qu’une fois celui-ci téléchargé sur l’appareil. La diffusion de contenu par le streaming est sans conteste une communication de l’œuvre au public[1].

Le musicien peut avoir deux positions par rapport à l’œuvre : il peut en être l’auteur ou l’artiste-interprète. Ces deux qualités peuvent bien sûr se juxtaposer. L’auteur est la personne physique qui « exprime sa personnalité dans une œuvre » et donc en est à l’origine. L’artiste-interprète, lui, est la personne qui va exécuter l’œuvre, par exemple en la déclamant ou en la jouant. Chacun possède sur l’œuvre un droit distinct : droit d’auteur ou droit voisin, qui peuvent tous deux permettre de rémunérer leur titulaire. Cette rémunération peut se faire grâce à une cession directe des droits auprès d’un éditeur, ou via des contrats d’exploitation collectifs.

Dans ce modèle, le streaming brise les règles : Le prix que rapporte l’écoute en streaming d’une musique n’est plus fixe, comme pour l’achat d’un CD ou un téléchargement. Ce que va rapporter chaque écoute est tributaire de nombreux paramètres : chiffre d’affaires réalisé sur la période par la plateforme de streaming ; nombre global d’écoutes enregistré ; contexte de chaque écoute (consommation gratuite ou payante) ; conditions contractuelles particulières (minimum garanti par écoute, avances non remboursables, etc.).

Le problème de cette incertitude est qu’elle concerne maintenant un tiers des revenus de la musique ![2] Une part qui continue d’augmenter face aux ventes de CD qui continuent de chuter. Et face à cette insécurité grandissante, la balance des pouvoirs entre d’une part, celui des producteurs de phonogrammes, et de l’autre, celui des auteurs et des artistes-interprètes, est remise en question, les seconds étant par nature plus vulnérables que les premiers.

Un communiqué de 2014 de l’ADAMI[3] a dénoncé la situation, estimant que sur un abonnement de 9,99€ par mois, l’ensemble des artistes-interprètes écoutés devaient se partager 0,46 centimes, tandis que les auteurs partageaient eux près d’un euro. C’est le phénomène de Value gap : Face à ces changements entraînés par la montée en puissance du streaming, comment le droit devait-il s’adapter ? Le Législateur devait-il entrer en jeu ?

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Un encadrement des contrats d’exploitation insuffisant

Les contrats d’exploitation des droits d’auteur et de l’artiste interprète sont fermement encadrés par le Code de la propriété intellectuelle. En cas de cession, celle-ci devra être établie par écrit. De plus chacun des droits cédés par son titulaire d’origine doit faire l’objet d’une mention expresse. On est dès lors face à un formalisme particulièrement ferme, visant à permettre à l’auteur comme à l’artiste la maîtrise de ses droits, et notamment de sa rémunération. Cette dernière est d’ailleurs obligatoire, par principe proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation de l’œuvre, mais peut dans certaines hypothèses être forfaitaire. Le montant de la rémunération en elle-même, néanmoins, reste soumis à la volonté des parties.

Pour éviter tout abus, le législateur a néanmoins prévu un mécanisme de révision pour lésion. L’article L.131-5 prévoit en effet un mécanisme de révision de la rémunération dans le cas où « l’auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l’œuvre ».

La gestion par des sociétés de gestion collective des droits d’auteur ne fait pas l’objet de garanties légales. Néanmoins celles-ci chercheront par essence à obtenir une rémunération maximale pour l’ensemble de leurs auteurs, pour ensuite les rémunérer individuellement selon leur exploitation (après, évidemment, avoir amputé la rémunération de frais de gestion)

Dans cet encadrement, point hélas d’exigence de rémunération « juste » ou « équitable », si ce n’est pour le système de licence légale qui n’est pas touché par le streaming. Le gouvernement, face à cette insuffisance, a décidé d’agir.

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Une première approche gouvernementale insuffisante

Après un premier rapport Création et Liberté de 2010, le gouvernement décida de mener une médiation sur la perspective d’une gestion collective de la musique en ligne. Celle-ci, menée par Emmanuel Hoog, aboutit à 13 engagements entre de nombreux acteurs du secteur musical. Outre les accords visant à l’époque à permettre un meilleur accès au marché aux plateformes, ces dernières s’étaient engagées de cœur avec les producteurs à tenir des exigences en termes de transparence et de rémunération des artistes interprètes.

On eut ainsi une première prise en compte de l’artiste-interprète dans le cas du streaming, qu’il s’agisse de l’information des artistes-interprètes, de l’engagement à un versement de la rémunération dans un délai maximum de 12 mois (engagement n°10) ou de l’engagement à la rémunération effective des artistes-interprètes et à l’évolution de l’accord en fonction des nouveaux modèles économiques de la musique numérique (engagement n°11).

On était alors sur une logique de transposition effective des mécanismes de diffusion de musique traditionnels au streaming. Cette médiation, malgré une apparente bonne volonté, reçut des accueils plus ou moins chaleureux, et n’eut que des résultats très mitigés.

En effet, suite à ce premier pas, le gouvernement commanda le rapport Phéline qui fit un état des lieux exhaustif du partage de la valeur dans la musique en ligne, et notamment dans le cas du streaming. Le rapport mit notamment en valeur le peu de résultats de la mission Hoog, l’existence de « facteurs de déséquilibre contractuel aux dépens des artistes ».

Le rapport Phéline eut également le mérite de proposer des pistes pour libérer le secteur de ces dysfonctionnements. Il évoqua notamment l’idée de mandater les sociétés de gestion d’auteurs et d’artistes pour gérer les rémunérations dues au titre de l’exploitation en ligne, afin qu’elles perçoivent ces rémunérations directement auprès des éditeurs de services en ligne. Il proposa également le nécessaire respect d’une transparence renouvelée applicable à toute l’industrie phonographique, ainsi que la fixation de principes relatifs à la rémunération des artistes dans le cadre des exploitations numériques. De nombreuses propositions qui, portées par un mécontentement grandissant d’une frange du secteur musical, amenèrent le législateur à se pencher lui-même sur la question.

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L’action législative, du protocole à la loi

Fleur Pellerin, alors ministre de la culture, mandata Marc Schwarz en Mai 2015 pour se ressaisir de la question, avec comme objectif assumé d’« assurer aux artistes une rémunération reflétant équitablement leur apport à la création de valeur »[4]. Le protocole d’accord issu de cette mission posera un certain nombre d’objectifs. Sont notamment présents la transparence dans la filière musicale au profit des artistes, déjà évoquée, ainsi qu’un objectif d’élargissement de l’assiette de rémunération des artistes. La « juste rémunération » et la transparence sont ici bien plus centraux que dans la mission Hoog.

La mission Schwarz ne fit bien sûr pas que des heureux. Lui fut notamment reproché de faire reposer la garantie de rémunération minimale sur une convention collective stipulant la cession des droits des artistes-interprètes sur leurs enregistrements pour toute utilisation à la demande des plateformes musicales, et ce contre un simple cachet forfaitaire.

Ce qui n’empêcha pas le rapport d’être en grande partie repris pour être intégré à la loi création, architecture et patrimoine[5]. Une loi qui étendit de façon non négligeable le champ d’action du protocole : si ce dernier était limité au streaming, la loi vise les artistes-interprètes dans tout le secteur musical. On peut sans conteste y voir une volonté de ne pas reproduire l’échec de l’accord Hoog en gravant dans le marbre de la loi les engagements pris.

Mais si ces avancées françaises sont encourageantes pour les artistes interprètes, il semblerait que le législateur européen veuille, lui, aller bien plus loin.

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Une volonté européenne de « juste rémunération » de l’auteur et de l’artiste interprète

La proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique parue le 14 septembre 2016 prévoit en effet un chapitre 3 intitulé « Juste rémunération contractuelle des auteurs, interprètes et exécutants » (ce dernier terme renvoyant aux artistes-interprètes).

Il faut avant tout chose noter que le législateur européen étend les protections à l’auteur. Il serait difficile de ne pas y voir une volonté de protection de ce dernier, officialisant une vision de l’auteur comme acteur désavantagé de la création, à la merci des producteurs.

Le texte européen va encore une fois reprendre cette obligation de transparence vitale à l’information des créateurs (et donc à leur maîtrise de leur rémunération), mais intègre en plus un mécanisme de révision pour lésion même dans l’hypothèse où la rémunération est proportionnelle. Il s’agirait donc de prendre l’évolution du succès de l’oeuvre ou de l’interprétation, par la mise en place d’un genre de révision pour lésion. L’idée est intéressante, et a déjà fait ses preuves en Allemagne, le droit allemand comportant un mécanisme similaire.

 

La commission démontre ici sa volonté de donner des armes concrètes aux créateurs, volonté saluée par de nombreux législateurs européens (à commencer par la Chambre des représentants néerlandais et le Sénat français[6] ; Et si le texte risque encore de subir de nombreuses modifications avant d’être voté, les premiers amendements proposés notamment par la commission des affaires juridiques[7] laissent plutôt entrevoir un renforcement supplémentaire des protections en faveur des créateurs.

S’il était au départ restreint au streaming et à l’artiste interprète, l’enjeu de la rémunération des créateurs dans l’industrie musicale semble avoir dépassé ces barrières, et c’est donc porté par un vent européen qu’il s’inscrira prochainement dans la directive.

Hélas, rien n’est encore gravé dans le marbre, et vous devrez encore profiter du streaming sans certitude que la rémunération de vos artistes favoris est correcte.

Ce qui je l’espère ne vous empêchera pas de sortir à nouveau pour profiter de l’été.

Pierre-Yves Thomé

1ère année Master IP/IT


 Sources :

[1] CJUE, 7 mars 2013 C-607/11 ITV Broadcasting Ltd et a. c/ TVCatchup Ltd

[2] « Le streaming redonne des couleurs au marché de la musique », Nicole Vulser, 28 Février 2017, disponible sur www.lemonde.fr

[3] https://artistes.adami.fr/actualite/2014/11/streaming-partage-valeur/

[4] Lettre de mission de Fleur Pellerin à Marc Schwarz du 21 Mai 2015

[5] LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine

[6]  Projet d’avis politique sur le paquet « droit d’auteur », Commission des affaires européennes du Sénat, 19 janvier 2017  ;  Questions about the package of new EU rules on copyright de la chambre des représentants des Pays-Bas, 20 Décembre 2016.

[7] Projet de rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique de la Commission des affaires juridiques, 10 Mars 2017

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